Rechercher
Rechercher

Société - ÉCLAIRAGE

La ligne bleue ou l’histoire d’une frontière politiquement difficile à fixer

De Ras Naqoura à Wazzani, zoom-in sur 13 bouts de territoire revendiqués par les autorités libanaises, le long de la ligne de retrait israélienne. Treize points qui, réunis, totalisent moins d’un demi-kilomètre carré, mais qui sont à l’origine du gel des négociations de tracé de la ligne bleue.

La ligne bleue ou l’histoire d’une frontière politiquement difficile à fixer

On l’appelle ligne bleue ou ligne de retrait, en référence au retrait de l’armée israélienne du Liban-Sud achevé le 25 mai 2000. Elle est reconnaissable aux quelque 260 barils bleus qui la délimitent, longeant approximativement la frontière terrestre méridionale libanaise de Ras Naqoura, située à la pointe sud-ouest du littoral, à Wazzani et son pont romain qui surplombe la localité israélienne de Metula. Bien visibles à l’œil nu, ils s’élèvent à quelques mètres du sol, fixés sur de solides blocs de béton, protégés de fils de fer barbelés. « Entrée interdite », est-il écrit sur ces barils qui portent la signature de la Finul, la Force intérimaire des Nations unies au Liban, déployée au Sud depuis 1978 et chargée depuis la guerre de 2006 entre le Hezbollah et Israël de surveiller la bonne application de la résolution 1701 du Conseil de sécurité. « La ligne bleue n’est pas une ligne frontière, elle ne présage pas non plus de futurs accords frontaliers entre le Liban et Israël. Elle est toutefois considérée par l’ONU comme la meilleure approximation de la ligne frontalière d’armistice (de 1949) et de l’accord Paulet-Newcombe (de 1923) », soulignait à L’Orient-Le Jour en juin dernier, lors d’une tournée au Liban-Sud, le porte-parole de la Finul, Andrea Tenenti, également chef des communications stratégiques. Pour le pays du Cèdre, c’est là que le bât blesse.


Quelque 260 barils bleus délimitent la ligne bleue. Portant la signature de la Finul, ils sont surélevés pour être bien visibles à l’œil nu, et entourés de barbelés, car il est interdit de les dépasser. Photo A.-M.H.

Manque de volonté de part et d’autre

C’est en 2000, à l’issue du retrait israélien après une occupation de 22 ans du Liban-Sud, qu’a débuté le marquage de la ligne bleue à l’initiative des Nations unies, « dans le but pratique de confirmer le retrait des forces israéliennes du sud du Liban », affirme le général de division Stefano Del Col, commandant de la Finul. Les Casques bleus se sont attelés à la tâche en coordination avec les deux pays, en principe toujours tenus par l’accord d’armistice de 1949 : le Liban, d’une part, représenté par l’armée libanaise, l’État hébreu d’autre part. Les barils bleus ont donc été placés sur les seuls points agréés des deux parties, sur base de données numériques et de relevés topographiques. « Lorsqu’un désaccord survenait, même sur quelques centimètres, il fallait recommencer les calculs à zéro et tenter, sur un terrain escarpé et souvent difficile d’accès, de tomber d’accord sur un nouveau point », précise Andrea Tenenti. Mais en 2017, l’opération capote. Les pourparlers pour le marquage de la ligne bleue s’interrompent. « Par manque de volonté de part et d’autre », regrette le porte-parole. Entendre volonté politique. On est encore bien loin de l’objectif approximatif des 540 barils bleus nécessaires pour tracer la ligne bleue, selon les estimations la force onusienne. Alors le Liban, qui craint de se voir priver de quelques centaines de milliers de mètres carrés de terres qu’il considère siennes, et qui dénonce un parti pris onusien pour Israël, émet des réserves sur le tracé de la ligne bleue proposé par l’ONU. Des réserves sur treize points plus exactement, dont certains stratégiques, car ils surplombent une zone militaire, une localité, une route, un centre de télécommunications, ou se situent carrément sur un point de passage névralgique pour le voisin. Mais au-delà d’un différend sur des bouts de territoire qui, réunis, n’atteignent pas un demi-kilomètre carré, se joue le tracé de la future frontière maritime libano-israélienne. Du point de départ de la ligne bleue à Ras Naqoura sur lequel le Liban a émis des réserves dépend en effet le point de départ de la ligne sur la mer revendiquée par le Liban. Une ligne disputée par les deux pays et qui est au cœur d’enjeux pétroliers de taille, vu la découverte de gisements de gaz et de pétrole en Méditerranée orientale. Il faut aussi compter avec les enjeux politiques du tracé frontalier entre les deux pays voisins. Des enjeux qui sont source de clivage entre détracteurs du Hezbollah et sympathisants du parti chiite proche de l’Iran. D’une part, on assure que le conflit libano-israélien n’a rien de technique. Il part d’un refus libanais de parvenir au moindre accord frontalier avec son voisin hébreu, à l’heure où la décision politique est confisquée par le Hezbollah, aux intérêts alignés sur ceux de son parrain iranien. « Les réserves frontalières techniques ne sont que prétextes. Ne concernant parfois que quelques centimètres, elles sont soulevées sciemment pour empêcher toute entente », martèle à L’OLJ le général à la retraite Maroun Hitti, ancien conseiller du Premier ministre, qui accuse le Hezbollah et l’Iran de chercher à exercer davantage de pression sur Israël et sur l’Occident. Et ce, alors que l’Iran, sous sanctions américaines, entretient le flou sur son intention de raviver ou pas l’accord nucléaire de 2015. « Les roquettes lancées la semaine dernière contre Israël par le Hezbollah sont bien la preuve que cette opération commanditée par l’Iran n’est que surenchère », insiste le général Hitti. Une situation qui ne présage rien de bon, vu qu’« aucun recul n’est possible pour l’instant de part et d’autre ». Car ce blocage fait craindre un conflit armé. « Dans cet état des lieux, on se dirige tout droit vers un conflit », observe ce fervent opposant au parti chiite. Une analyse totalement rejetée par les milieux proches du Hezbollah pour qui le dossier n’a « rien à voir avec les négociations iraniennes ». « Le dossier est lié à la cupidité israélienne, à son occupation de parties de territoire à Ghajar et sur les hauteurs de Kfarchouba. Il est aussi lié au tracé de la frontière maritime commune », réagit l’analyste politique Kassem Kassir, connu pour être proche du parti de Dieu. Il rappelle à cet effet que le Hezbollah a toujours annoncé, concernant le tracé des frontières, « soutenir toute décision prise par le gouvernement et par le chef de l’État, sans pour autant entrer dans les détails ». Et si pour le Hezbollah, « l’accord d’armistice de 1949 est toujours en vigueur, Israël refuse les réclamations libanaises et viole cet accord à travers ses agressions constantes ».


Le général à la retraite Riad Chaya et son ouvrage sur le traité d’armistice libano-israélien. Photo A.-M.H.

Les frontières de 1923 selon Paulet-Newcombe

Retour un siècle en arrière, en 1920, lorsque après la Première Guerre mondiale, la France et le Royaume-Uni se partagent les pays du Proche-Orient sous domination ottomane. Selon les accords Sykes-Picot, le Liban et la Syrie constituent la part de la France. La Palestine, la Jordanie et l’Irak, celle du Royaume-Uni. Faciliter le quotidien des habitants, organiser les transports, les routes, la distribution de l’eau… nécessite de tracer des frontières entre les pays. Les deux puissances forment alors le comité Paulet-Newcombe (PN) qui dessine les frontières entre le Liban et la Palestine d’une part, la Syrie et la Palestine d’autre part. Il identifie et balise 71 points, parmi lesquels 38 points entre le Liban et la Palestine, et le reste entre la Syrie et la Palestine. L’opération nécessite moins d’un an. Entamée en juin 1922, elle est achevée en mars 1923. Le rapport est alors présenté à la Société des nations, ancêtre de l’ONU. Les frontières internationales du Grand Liban sont désormais tracées dans sa partie sud, sur base des accords PN. Au passage, sept villages convoités par le Liban sont rattachés à la Palestine.


Ce point marque l’accès à la caserne de la Finul qui surplombe le point frontalier entre le Liban, la Syrie et Israël. Photo A.-M.H.

Entre le traité d’armistice de 1949 et les frontières, un lien étroit

La suite de l’histoire de la frontière libanaise méridionale se déroule en 1949, au lendemain de la création de l’État d’Israël, le 14 mai 1948, et de la première guerre arabo-israélienne (15 mai 1948 -10 mars 1949). L’État hébreu signe des accords séparés d’armistice avec ses quatre voisins arabes qui lui avaient déclaré la guerre : l’Égypte, la Jordanie, la Syrie et le Liban. L’armistice entre le Liban et Israël est signé le 23 mars 1949 dans le cadre d’un traité tripartite sous l’égide de l’ONU. Il interrompt l’état de guerre entre les deux pays, sans y mettre fin. Cet accord ne sera jamais remis en question. Pas même après la guerre de 1967 qui a opposé Israël à ses trois voisins, la Jordanie, la Syrie, l’Égypte, entraînant l’annulation de leurs traités d’armistice respectifs et leur remplacement par deux résolutions qui mettent fin à la guerre et réglementent les relations entre ces pays arabes et Israël. C’est cette réalité qu’a voulu rappeler dimanche dernier le patriarche maronite Béchara Raï dans une homélie qui a déclenché un tir nourri de critiques et d’insultes à son encontre dans les milieux favorables au Hezbollah.

Pour mémoire

Après les frappes aériennes israéliennes, Nasrallah exclut toute modification des règles d'engagement dans le Sud

« Le traité d’armistice entre le Liban et Israël est partie prenante de l’accord 62 du Conseil de sécurité signé par le Liban, Israël et l’ONU, qui ordonne un cessez-le-feu et un armistice entre les belligérants, les sommant de tracer une ligne d’armistice et de retrait des forces le long de cette ligne », explique à L’Orient-Le Jour le général à la retraite Riad Chafic Chaya, docteur en droit international et expert sur la question du traité d’armistice libano-israélien. Autrement dit, « le traité d’armistice, placé sous le chapitre VII (de la Charte) des Nations unies, est contraignant ». Il sera « à la base de toutes les résolutions à venir régissant le conflit entre le Liban et Israël, qu’il s’agisse des résolutions 425-426 invitant Israël à se retirer totalement des territoires du Liban-Sud envahis en 1978, ou de la 1701 au lendemain du conflit de 2006 entre Israël et le Hezbollah ». Quant au lien entre l’armistice et la ligne frontière, il réside dans le fait que la ligne d’armistice suit les frontières internationales entre le Liban et la Palestine tracées par PN. « Israël a signé la reconnaissance de ces frontières internationalement reconnues selon le tracé PN. Il lui est donc interdit de violer cette frontière », insiste le général Chaya, auteur d’un ouvrage intitulé L’accord d’armistice libano-israélien de 1949 à la lumière du droit international. La signature de l’armistice en 1949 s’accompagne d’un nouveau marquage des frontières entre le Liban et Israël, les balises placées en 1922 ayant disparu ou ayant été détériorées. Les 38 points PN sont reconstruits. Ils sont identifiés à ce jour par l’appellation BP accompagnée des chiffres de 1 à 38. Afin que la ligne soit continue, le comité de surveillance de l’armistice y ajoute des points intermédiaires, appelés B suivis d’un chiffre. Le tout formant un alignement de 141 points. Mais déjà apparaissent des points de conflit entre le Liban et Israël sur la question. Conflits qui s’exacerbent en 2000, après le retrait israélien, lorsque la Finul entame le tracé de la ligne bleue. « Et pour cause, explique le général Chaya, il fallait régler les nombreuses violations commises par l’armée israélienne en territoire libanais, résultant de la construction de casernes, de routes, de clôtures… » La question est loin d’être réglée. Le Liban émet déjà des réserves. Survient alors la guerre de 2006. Guerre particulièrement destructrice pour le Liban, au terme de laquelle le comité onusien chargé de retracer la ligne bleue reprend sa mission. Mais les cartes numériques tracées par les Nations unies sont difficiles à transcrire sur le terrain. « Les points de la ligne bleue apparaissent loin de la ligne frontalière internationale de PN, commente l’expert libanais. Ce qui pousse les autorités libanaises à émettre au final des réserves sur 13 points de la ligne bleue. »


À Adayssé, derrière le mur construit par l’État hébreu, la localité de Misgav Am. Avant le tracé de la ligne bleue, elle se trouvait à la frontière internationale. Elle paraît si loin aujourd’hui, observe l’expert libanais Riad Chaya. Photo A.-M.H.

De Ras Naqoura à Wazzani

Le premier point concerne le site de Ras Naqoura, point de départ aussi bien de la frontière terrestre que maritime. Selon les autorités libanaises, la ligne bleue rogne 18 mètres du territoire libanais. « Elle est située sur un promontoire à 18 mètres de la frontière PN à l’intérieur du Liban. Ce qui a encouragé le voisin hébreu à déplacer sa porte frontière en 2000, sur la ligne bleue », accuse Riad Chaya. Aux dires du Liban, le point frontalier de Ras Naqoura devrait pourtant être situé au ras des rochers, point de départ de sa frontière maritime. Or, selon le tracé de la ligne bleue, « ce point est aujourd’hui situé en territoire israélien ». L’enjeu est de taille pour les deux parties, lié à leurs zones économiques exclusives respectives et à l’exploitation des hydrocarbures. Sans oublier qu’à cet enjeu s’ajoute pour Israël la nécessité de préserver et développer le site de Rosh Hanikra, devenu hautement touristique au fil des ans.

Un peu plus à l’est, le village de Alma el-Chaab est traversé par la ligne bleue, selon les autorités libanaises. En trois points, elles ont émis des réserves. Car « la ligne ne respecte pas le parcours naturel de la vallée » et « le tracé grignote des terres libanaises pour protéger deux localités israéliennes, parmi lesquelles le kibboutz de Hanita ». Même état des lieux dans le village frontalier d’al-Boustan face à Yarine, où « l’État hébreu a bâti une clôture technique en territoire libanais, afin de protéger deux importantes bases militaires érigées lorsque l’armée israélienne occupait le Liban ».

Si la réserve libanaise concernant le village de Marwahine ne concerne qu’une partie minime de territoire, « le problème de Rmeich est lui plus grave, car il concerne 105 188 mètres carrés (0,1 km2) pris par Israël, qui y a construit une route pour relier les deux localités de Biranit et de Dovev », la première étant un camp militaire, la seconde une communauté agricole. Mais le pays du Cèdre revendique cette zone. « Il s’agit d’oliveraies et de terres agricoles », affirme Riad Chaya, précisant qu’Israël autorise toutefois les agriculteurs libanais à cultiver leurs terres. Même problème à moindre échelle sur la route reliant les deux villages libanais de Yaroun et de Maroun el-Ras, qui se situe selon le tracé de la ligne bleue en territoire israélien. « Et pourtant, cette route appartient au Liban si l’on s’en tient à la frontière internationale PN », assure le général Chaya. Le village de Blida ne revendique, lui, qu’un petit bout de territoire. « La ligne bleue y zigzague au lieu de suivre le tracé naturel frontalier. Mais sur cette terre se trouve un puits que s’est approprié Israël en 1949, alors que les terres qui l’entourent appartiennent aux Libanais. Ces derniers ont d’ailleurs accès à l’eau du puits », observe le chercheur. Entre Meis el-Jabal et Houla, la superficie revendiquée par le Liban est encore plus étroite. « Elle est en revanche stratégique pour Israël », parce qu’elle se situe « à proximité de la localité israélienne de Manara qui abrite un centre militaire de télécommunications ».

Des textes parfois flous

Direction Adayssé et Kfar Kila pour remonter le doigt de Galilée, où le Liban a émis des réserves sur deux points de 144 886 mètres carrés et 12 734 mètres carrés. Nous sommes exactement sur le balcon qui surplombe la localité israélienne de Misgav Am, quelque peu cachée par le mur construit par l’État hébreu, où les habitants du Sud prennent plaisir à se prendre en photo devant le panneau « I Love Odaisseh ». « Avant le tracé de la ligne bleue, la localité israélienne se trouvait à la frontière libanaise internationale. Elle paraît si loin maintenant », regrette M. Chaya. La treizième et dernière réserve du Liban se situe à l’extrémité est de la frontière libano-israélienne, à proximité de la frontière syrienne, sur les hauteurs du village de Wazzani. Là-bas, se trouve un vieux pont romain qui donne sur la localité israélienne de Metula, et qui est revendiqué par le pays du Cèdre, mais aussi une route qui relie la ville libanaise de Marjeyoun au Parc national syrien de Banyas. « La ligne bleue a accordé à Israël cette route et le vieux pont pour des raisons stratégiques et militaires. Le texte sur ces points est d’ailleurs si flou qu’il prête à interprétation », déplore le général à la retraite.

Onze ans déjà qu’a démarré le marquage de la ligne bleue. Mais depuis les réserves libanaises, son tracé est interrompu. Comme d’ailleurs le sont les négociations indirectes entre le Liban et Israël sur le tracé de leur frontière maritime commune, sous l’égide des Nations unies et du parrain américain. À moins d’un revirement de situation, rien ne présage pour l’instant le moindre dénouement heureux sur la question.

On l’appelle ligne bleue ou ligne de retrait, en référence au retrait de l’armée israélienne du Liban-Sud achevé le 25 mai 2000. Elle est reconnaissable aux quelque 260 barils bleus qui la délimitent, longeant approximativement la frontière terrestre méridionale libanaise de Ras Naqoura, située à la pointe sud-ouest du littoral, à Wazzani et son pont romain qui surplombe la...

commentaires (3)

Bon article qui explique l'histoire de cette ligne bleu ...

Stes David

18 h 13, le 14 août 2021

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • Bon article qui explique l'histoire de cette ligne bleu ...

    Stes David

    18 h 13, le 14 août 2021

  • FRONTIERE ASSADO-PERSO-HEZBOLLAHIQUEMENT INTRACABLE. AUTREMENT TRES FACILE A TRACER.

    LA LIBRE EXPRESSION

    17 h 40, le 14 août 2021

  • tout ca c est de la litérature quand il y aura la paix un jour avec Israel et c est inévitable car tous les pays arabes sont d accords la preuve deja plusieurs ambassades arabes sont installés en Israel. l histoire de la frontière surtout pour quelques metres carrés sera oublié .

    barada youssef

    15 h 10, le 14 août 2021

Retour en haut