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Nos Lecteurs ont la Parole

À ceux qui s’en vont

L’été commence à peine à tirer à sa fin et déjà mon fil d’actualité se remplit de messages d’adieu. Les enfants rentrent chez eux, « à l’étranger », laissant la famille au Liban.

Cette année, les messages sont plus nombreux. L’explosion du 4 août a poussé des Libanais à émigrer pour la première fois, alors qu’ils hésitaient jusque-là. Les autres, dont les allers-retours sont routiniers, s’étonnent encore de ne pouvoir s’habituer à cette déchirure annuelle. Et cette année, c’est pire. Ils laissent leurs familles dans le noir, la chaleur et l’incertitude. Ils ont beau partir, leur tête, leurs pensées vont rester là, dans les pots d’échappement, dans les manifestations, devant les stations-service.

Je me souviens du jour où je suis partie pour de bon. À l’aéroport Rafic Hariri, j’ai pris ma mère dans mes bras en retenant mes larmes. J’étais pourtant heureuse de quitter un pays qui, à mon sens, n’avait rien de bon à m’apporter.

Je me souviens de la fois où mon père m’a fait la surprise de venir à Montréal passer le Nouvel An chez moi. Nous avons tous les deux attrapé la grippe et sommes restés confinés dans mon minuscule appartement tout le long de son séjour. Mais cela n’avait aucune importance, car nous étions ensemble. J’ai pleuré comme un enfant après l’avoir déposé à l’aéroport, dans le bus bondé, sous le regard de tous. J’étais à ce moment la seule au monde avec mon chagrin.

Beaucoup cette année vont connaître la douleur de quitter leur famille pour la première fois. Mais ils découvriront aussi un phénomène qui leur sera peut-être jusque-là inconnu : la stabilité. Ils savoureront des plaisirs simples que les Européens et les Américains tiennent pour acquis : une douche chaude, à tout moment de la journée. Ne pas avoir besoin de débrancher le frigo avant d’utiliser un séchoir. S’endormir la nuit et retrouver, le lendemain, le monde exactement tel qu’il était la veille.

Une chose qu’on ne nous dit jamais avant qu’on parte, c’est que l’on met du temps à s’habituer à la paix. On a du mal à se reconnaître dans le monde qui a connu une enfance heureuse et sans remous. On jalouse ces peuples qui n’ont pas besoin de s’expatrier pour s’épanouir. Même ceux qui comme moi sont partis depuis une décennie ou plus sans regarder en arrière se retrouvent aujourd’hui accros aux nouvelles, parcourant internet tous les jours à la recherche d’une lueur d’espoir pour le pays du Cèdre, l’angoisse au ventre pour la famille et les amis qui y vivent encore.

Je me demande si dans les années 70, on se rassurait aussi les uns les autres en disant que ce n’était qu’une crise passagère et que bientôt tout rentrerait dans l’ordre. Je me demande si « le Paris du Moyen-Orient » n’était pas en fait une hallucination collective. Si ça n’a pas toujours été le bordel mais qu’on se réconfortait déjà à coups de « ma fi ahla men lebnen ! » (il n’y a pas plus beau que le Liban).

Mais ce Liban idéal, même s’il n’existe pas dans la réalité, existe dans tous ces petits gestes que nous recréons partout où nous sommes. Il existe dans l’odeur du romarin qu’on froisse entre nos doigts. Il existe dans l’eau de fleur d’oranger qu’on boit en tisane pour se calmer les nerfs et qui parfume nos citronnades l’été. Il existe dans les « albé » et « hayété » qu’on susurre à nos amoureux blancs qui n’y comprennent rien.

À ceux qui partent pour la première fois cette année, j’ai envie de dire que le Liban n’est jamais vraiment très loin. En fait, on ne le quitte jamais complètement. On le porte en nous comme on porte nos parents dans nos gestes et dans nos traits. Et la douleur du départ cède de temps en temps sa place à la douceur du souvenir.

Montréal, Québec

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

L’été commence à peine à tirer à sa fin et déjà mon fil d’actualité se remplit de messages d’adieu. Les enfants rentrent chez eux, « à l’étranger », laissant la famille au Liban.
Cette année, les messages sont plus nombreux. L’explosion du 4 août a poussé des Libanais à émigrer pour la première fois, alors qu’ils hésitaient jusque-là. Les autres, dont les allers-retours sont routiniers, s’étonnent encore de ne pouvoir s’habituer à cette déchirure annuelle. Et cette année, c’est pire. Ils laissent leurs familles dans le noir, la chaleur et l’incertitude. Ils ont beau partir, leur tête, leurs pensées vont rester là, dans les pots d’échappement, dans les manifestations, devant les stations-service.
Je me souviens du jour où je suis partie pour de bon. À l’aéroport Rafic...
commentaires (1)

douceur de vivre ? c'est au liban qu'on ressent ca ? en cet ete 2021 ?

Gaby SIOUFI

15 h 25, le 18 août 2021

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Commentaires (1)

  • douceur de vivre ? c'est au liban qu'on ressent ca ? en cet ete 2021 ?

    Gaby SIOUFI

    15 h 25, le 18 août 2021

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