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Culture - En librairie

Le jasmin de Tania Bonja Honein ne dépérit pas

Ce roman biographique édité chez Antoine est l’œuvre posthume de l’écrivaine. « Ritournelle de jasmin » est l’histoire de sa famille, dispersée entre Beyrouth, Alep et Damas. Un acte d’amour pour ce Liban, pays hôte qu’elle a tant aimé.

Le jasmin de Tania Bonja Honein ne dépérit pas

C’est la fragrance de ce jasmin persistant et entêtant qui nous guide à travers les pages du roman posthume de Tania Bonja Honein. Photo DR

Cet ouvrage s’est finalement achevé en janvier 2018, quelques jours avant son grand départ. Tania Bonja Honein, partie après une longue maladie, a remis le manuscrit à son époux comme un legs dont il avait la responsabilité. Il s’en est bien occupé en remettant à son tour l’ouvrage à Léna Bonja, la sœur de son épouse. Après une mise en page et de petites corrections – car elle était trop fatiguée à la fin, raconte Léna–, l’ouvrage Ritournelle de jasmin a vu le jour et a été édité chez Antoine.

Entre deux respirations saccadées, deux douleurs lancinantes, Tania Bonja Honein écrit. Elle écrit pour raconter son Alep, ses parents, l’Alexandrette de ses grands-parents, le Deir el-Qamar des parents de son mari, mais surtout de sa grande famille d’exilés, d’émigrés qui, en faisant tous ces allers-retours, forment la trame du Liban qu’elle chérit. L’auteure qui invite le lecteur dans son univers d’entre-deux, celui du passé et du présent mais aussi celui de la terre et de l’air, nous introduit dans son monde, nous ouvre grandes les portes de son intime et la magie opère. Après avoir interrogé les plantes et les fleurs, ainsi que les étoiles, l’auteure de Dame Nature (2008), d’Un coin de ciel bleu (2012) et de L’Étoile Phénicienne (2012) fait un travelling arrière et se réfugie à cause du mal qui hache son corps dans les bras de sa mère absente. Elle la fait revivre ainsi que ses ancêtres en partageant la douleur avec eux « pour la dompter », dit-elle. C’est là que Tania Bonja Honein puise son souffle, ce même souffle qui la retient à la vie terrestre. Elle se téléporte comme si elle voulait sortir de son corps blessé, noyé dans les souffrances physiques. Elle y puise aussi sa sève, comme un arbre qui s’enracine dans la terre.

Maman, les petits bateaux

Brusquement, mais doucement, par un coup de plume et par les circonvolutions du mot chargé d’émotions tendres et fluides comme son écriture, on est dedans. C’est la fragrance de ce jasmin persistant et entêtant qui nous guide à travers les pages. Cet arôme envoûtant mais si subtil qui traverse les murs du temps, nous emporte comme hypnotisés dans le passé pour nous ramener délicatement vers le présent. Dans ce passé où l’auteure s’abrite loin de sa fatigue extrême, faute de se lover dans les bras de sa mère et de son père, ce « marchand de rêves ».

Tania Bonja Honein a toujours écrit. Elle n’a cessé d’écrire malgré la maladie qui la rongeait et qui la jetait au fond des draps. Des draps blancs qu’elle noircira avec sa douleur comme elle avait noirci auparavant les pages blanches de ses ouvrages. Sur ces pages, car elle a toujours écrit manuellement en raturant, effaçant et brisant les mines de ses crayons, on trouvait, dit-on, toujours dans un coin des petits bateaux qu’elle gribouillait.

Un bateau en partance...

Était-ce le départ de tous ses ancêtres qu’elle reproduisait, ou celui de ses enfants partis comme des centaines et des milliers d’autres Libanais désenchantés, pour un avenir meilleur ? Vivement, atrocement attachée à son pays, elle les avait laissés partir sans un mot pour les retenir. Elle savait que malgré l’amour qu’elle porte au pays, ce pays du Cèdre n’était plus fait à leur mesure, à la mesure de leurs ambitions et de leurs valeurs qu’ils avaient acquises dans une maison pétrie d’amour et de respect pour l’autre. L’écrivaine au cœur de poète se réfugiera dans l’écriture. Elle écrira pour se raconter, raconter Fadi son mari, leur amour, mais aussi pour remonter le fil du temps. Son écriture, rempart solide contre la maladie, fait revivre dans Ritournelle de jasmin les figures du passé.

Un jasmin enivrant

Son livre porte bien son titre de ritournelle, cet air répétitif déjà entendu et que peuvent fredonner tous les Libanais de tous les temps et les âges dans les pays d’accueil. On peut tous se retrouver dans les personnages de Wadih, Pandély, Élias ou Olga et Houda. Nos destins sont enchevêtrés avec eux, lesquels sont reliés aussi par cette odeur qui ressemble à une ritournelle, puisqu’elle relie les membres de ces familles dispersées. Tant à Alexandrette qu’à Damas, Alep qu’au Liban, cette fleur étoilée aux feuilles vivaces est un lien ténu qui forme l’écheveau de la famille. Elle est tenace, enivrante et peut continuer à refleurir dans les pots de générations à venir. Elle s’enroule autour de ces destins, les enveloppant de son parfum et c’est sur fond de changements sociaux et politiques, de passage de l’artisanat à l’industrie qu’évoluent tous ces personnages auxquels on s’attache.

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De la manufacture des souliers à celle de la pâte d’abricots (qamareddine) à Alep, de l’agriculture (la vigne) à la joaillerie en passant par la cimenterie, les destins s’imbriquent et la cartographie de la région se dessine. L’histoire y est narrée avec des détails personnels mais aussi sociopolitiques.

L’écriture de Tania Bonja Honein y est ample, dense, riche, mais au fur et à mesure que le mal la gagne et que la peur du départ s’installe, son écriture caracole, se précipite pour gagner le temps. Et dans cette course contre la mort, l’auteure laisse une traînée d’un arôme familier, celui du jasmin… qui ne périra jamais.

Cet ouvrage s’est finalement achevé en janvier 2018, quelques jours avant son grand départ. Tania Bonja Honein, partie après une longue maladie, a remis le manuscrit à son époux comme un legs dont il avait la responsabilité. Il s’en est bien occupé en remettant à son tour l’ouvrage à Léna Bonja, la sœur de son épouse. Après une mise en page et de petites corrections...

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