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Lifestyle - Un peu plus

Un peuple en souffrance

Un peuple en souffrance

La commémoration du 4 août 2021, entre peine et colère. Kameel Rayes/AFP

Il y avait un parfum étrange dans les rues de Beyrouth ce mercredi 4 août. Un parfum à la fois acide et sucré, doux et violent. Il y avait ces émanations d’amour et de haine, de recueillement et de bouillonnement, d’impuissance et de toute-puissance.

Ce 4 août était troublant. Troublant parce qu’en nous se sont entremêlés ces sentiments qui nous habitent depuis un an. Troublant parce que le ciel était trop bleu et nos cœurs rouge sang. Troublant parce que nous avons vécu des émotions d’une violente contradiction. Tout d’abord, la crainte que nous ne soyons pas assez nombreux. La crainte que trop de gens soient restés chez eux et que ceux qui étaient en route soient empêchés de nous rejoindre. La peur aussi. La peur de ce 18h07. De cette minute de silence. Ce silence de trop. De revivre ces secondes qui ont fracassé nos vies, détruit des familles. Ces secondes où tout a basculé. Et ces mois d’après où tout a stagné. L’inquiétude de ne pas pouvoir tenir le coup. De craquer, de lâcher tout ce qu’on a tu depuis l’année dernière. De se prendre en pleine gueule des souvenirs enfouis, la souffrance des autres. De voir les familles des victimes portant les photos de leurs enfants, de leurs pères, de leurs mères, de leurs frères et sœurs, de leurs amis. L’angoisse de ne pas savoir ce qui allait se passer ou pas se passer ce mercredi 4 août. Et la colère.

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Mais sous ce soleil écrasant, les rues de Beyrouth vides au petit matin ont commencé à se remplir. Les gens se sont rassemblés ici et là pour prendre le chemin du port. Le port. Un tombeau à ciel ouvert. Et nous avons marché comme dans un cortège funéraire, passant à côté des hôpitaux où tant de vies se sont éteintes. Où des centaines de médecins et d’infirmiers ont tenté le tout pour le tout afin de sauver des corps meurtris. Nous les avons applaudis. Nous avons applaudi ces héros dont on ne connaît même pas les noms. Puis nous sommes passés à côté d’une des stations de pompiers. Ces membres de la Défense civile qu’ils ont envoyés en enfer, alors qu’ils savaient. Nous avons longé les rues de Mar Mikhaël et de Gemmayzé où l’odeur du sang et de la mort est encore palpable. Il y avait une femme endeuillée qui criait le nom de son fils, un vieil homme au regard hagard assis devant sa maison, de jeunes internes en blouse blanche, des avocats dans leurs robes, des journalistes d’ici et de là-bas, ces derniers tentant de saisir l’insaisissable : la douleur de tout un peuple.

Et malgré l’incroyable et inattendue foule rassemblée devant le port, malgré la chaleur et la moiteur de ce mois d’août qui ne sera plus jamais le même, malgré la rage qui sommeillait en chacun de nous, régnaient le calme et le silence. Même avant le moment fatidique. Et 18h07 sonna. Plus un murmure. Rien. Un silence aux antipodes du vacarme assourdissant et terrifiant de l’année dernière, le même jour, à la même heure. Nos cœurs ont arrêté de battre, nos larmes se sont mises à couler et nous avons commencé à applaudir. À nous applaudir. Nous avons applaudi chacun d’entre nous. Chaque parcelle de nous, chaque morceau de nous qui, au-delà de toutes les souffrances, a réussi à survivre à l’innommable. Et lorsque les applaudissements se sont faits moins nombreux, nous avons entamé notre marche vers le Parlement. Vers la place des Martyrs désertée depuis le 8 août dernier. Et la tristesse, l’impuissance et la résignation ont laissé la place à la rage qui nous anime depuis des mois et des mois. Oui, la colère a grondé. Oui, la violence a resurgi. Et malheureusement, oui, la brutalité des forces de l’ordre s’est teintée d’inhumanité.

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Cette colère, cette haine et ce désir de vengeance ne nous quitteront pas. Parce que la soif de justice et de liberté ne sera pas étanchée tant que les responsables, les coupables, tous les criminels qui nous ont assassinés, vivront encore en toute impunité. Et parce qu’on ne peut pas faire taire un peuple pris en otage. On ne peut pas faire taire un peuple en souffrance. Et on ne peut surtout pas faire taire un peuple comme le peuple libanais. Ne l’oubliez pas.

Chroniqueuse, Médéa Azouri anime depuis plus d’un an avec Mouin Jaber « Sarde After Dinner », un podcast où ils discutent librement et sans censure d’un large éventail de sujets, avec des invités de tous horizons. Tous les dimanches à 20h, heure de Beyrouth.

Épisode 48 avec Dima Sadek

https ://youtu.be/dTGoKsOFDAQ

Il y avait un parfum étrange dans les rues de Beyrouth ce mercredi 4 août. Un parfum à la fois acide et sucré, doux et violent. Il y avait ces émanations d’amour et de haine, de recueillement et de bouillonnement, d’impuissance et de toute-puissance. Ce 4 août était troublant. Troublant parce qu’en nous se sont entremêlés ces sentiments qui nous habitent depuis un an. Troublant...

commentaires (3)

MERCI pour ce texte qui exprime si bien nos sentiments ??

Danielle Sara

14 h 51, le 13 août 2021

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Commentaires (3)

  • MERCI pour ce texte qui exprime si bien nos sentiments ??

    Danielle Sara

    14 h 51, le 13 août 2021

  • Chère Medea (vous permettez?) , quoi vous dire : que vous savez si bien mettre en mots notre tristesse, notre violence et notre absolue determination, notre dignité et notre liberté inaliénables, et notre immense fierté d'être Libanais .... Vous dire surtout merci et vous demander de continuer à nous parler et à nous inspirer

    Madi- Skaff josyan

    20 h 02, le 08 août 2021

  • Bouleversant de verité!

    rolla aoun

    16 h 41, le 07 août 2021

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