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Politique - En toute liberté

Dans l’arène de l’enceinte portuaire

Aujourd’hui, nous entrerons dans l’enceinte portuaire comme les premiers chrétiens entraient au Colisée, prêts à être déchirés par les fauves. Mais nos fauves à nous, ce seront les souvenirs de ceux que le souffle d’enfer de l’explosion a emportés : des époux et des amants, des pères et des mères, des frères et des sœurs, des amis et des voisins, des résidents et des passants. Ce sera aussi le souvenir des maisons dévastées, des foyers éteints, des lieux aimés déchiquetés, des vitres devenues lames de rasoir, couperets et dagues, des portes et chambranles devenus massues…

Un peu comme dans la messe sur le monde de Teilhard de Chardin, l’autel patriarcal, ce sera l’enceinte portuaire toute entière, avec ses hangars tordus, son silo éventré, son chaos de ferraille. De cet autel s’élèvera le vent d’un sacrifice plénier qui éteindra les feux de l’enfer et rajeunira le monde. C’est à la participation la plus sincère à cette offrande que nous sommes invités, dans la confiance en la parole de celui qui a dit « Invoque-moi et je te répondrai » (Jer 33 :3) et encore « Si mon peuple sur lequel est invoqué mon nom s’humilie, prie et cherche ma face (…) Je guérirai son pays » (2 Ch 7 :14-16). Car la prière qui s’élèvera de l’enceinte portuaire ne doit pas se limiter aux seules victimes de l’explosion du 4 août. Elle doit s’élever pour les victimes du Liban tout entier.

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Entrons dans l’enceinte portuaire avec notre mémoire nationale. Les immunités dont s’obstinent à se prévaloir ceux qui ont négligé de nous protéger de la catastrophe sont comme les amnisties des années 90. Cela bloque la mémoire, infeste un peu plus le climat social et exacerbe les frustrations des parents des victimes. Il n’y a qu’à regarder ces jours-ci du côté de Khaldé pour apprendre où conduit le déni de justice qui pousse un homme à venger un tort impuni, à se faire justice lui-même. « Il n’y a pas de paix sans justice », nous a opportunément rappelé le pape François le 1er juillet dernier.

Quelle est donc cette patrie que nous avons édifiée, voulue, ravie au mandataire, où deux hommes se disputent un ministère et laissent se débattre dans sa faim et son malheur une large partie de leur peuple ? Est-ce bien ainsi que « les droits des chrétiens » se défendent ? Est-ce là les droits des dépositaires de la vision historique du Grand Liban ? Nous le savons mieux aujourd’hui : le Grand Liban était une entreprise prophétique, et non seulement historique ; et elle n’a jamais disposé de moyens suffisants pour s’édifier. On croyait que nous avions à construire un pays, une sorte de « foyer national » chrétien. Or ce n’était rien moins que la « civilisation de l’amour » de Paul VI qui nous sollicitait. Et comme nous en sommes en deçà ! Il a fallu Jean-Paul II pour réveiller ce « projet de paix » (Jer 29), et encore ! L’Église, en tant que peuple de Dieu, ne l’a toujours pas saisi, comme une Blanche-Neige partagée entre le baiser du prince et le petit-déjeuner continental qui lui sera servi. En vérité, nous ne sommes, pour le moment, qu’un peuple dupé par le rêve d’un système bancaire qui nous a fait croire que nous pouvions « jouir sans entrave » en regardant les intérêts de notre argent fructifier sans effort. Et qui, comme l’a dit un poète, est aujourd’hui « rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! ».


Aujourd’hui, nous entrerons dans l’enceinte portuaire comme les premiers chrétiens entraient au Colisée, prêts à être déchirés par les fauves. Mais nos fauves à nous, ce seront les souvenirs de ceux que le souffle d’enfer de l’explosion a emportés : des époux et des amants, des pères et des mères, des frères et des sœurs, des amis et des voisins, des résidents et des...

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