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Société - Solidarité

À Jeitaoui, Nation Station fait renaître une humanité oubliée

À Jeitaoui, Nation Station fait renaître une humanité oubliée

Un jeudi sur deux, Nation Station organise un apéritif dînatoire. Ici, le dernier en date. Photo Matthieu Karam

Ils s’appellent Hussein, Irène, Paul, Emma, Thomas. Ensemble, ils ont fondé et développé Nation Station, pierre après pierre, ou plutôt morceau de tôle après morceau de tôle. Au cœur de Jeitaoui, dans une station d’essence abandonnée depuis six ans, cette organisation de la société civile libanaise nourrit, soigne et reconstruit un quartier brisé par une crise sans fin.

Johnny, 27 ans, coordinateur des volontaires, raconte la genèse du projet : « Nous sommes nés le 5 août 2020 dans le seul but d’aider après l’explosion au port de Beyrouth. Nous ne pensions même pas rester sur le long terme, mais nous avons fini par grandir organiquement. » Organiquement, certainement, mais au fil des mois, force est de constater que Nation Station a dû s’organiser plus solidement afin de cerner au mieux les difficultés des habitants de Jeitaoui.

Pour ce faire, explique Johnny, les volontaires ont dû d’abord obtenir leur confiance. Puis ils ont rigoureusement recensé les personnes les plus vulnérables ainsi que leurs besoins. Si certains nécessitaient de l’aide pour désencombrer leur appartement à la suite des explosions, d’autres n’avaient plus de quoi manger ou avaient parfois besoin de soins médicaux. Il a donc fallu évaluer et, afflux de demandes oblige, classer ces besoins par ordre de priorité.

Soudain, Johnny s’interrompt dans ses explications. Une femme d’une cinquantaine d’années demande de l’aide à la station pour payer ses dettes de factures d’eau. Ici, c’est le quotidien : on solutionne, on rafistole, mais surtout, on ne laisse jamais pour compte. Les habitants les plus vulnérables du quartier l’ont bien compris et demandent à l’organisation ce que l’État ne peut (ou ne veut) pas leur donner : « Nous sommes là pour celles et ceux qui ont été négligés. On fait le travail du gouvernement », poursuit Johnny, un peu dépassé, mais pas moins exalté par la place prise par Nation Station dans la vie des gens de Jeitaoui.

La façade de l’ancienne station-service, investie par les volontaires de Nation Station. Photo Paul Guillot

Un essaim de solidarité

Ici, la cuisine, qui emploie une dizaine de personnes, a remplacé l’ancien lave-autos. Les files de voitures ont fait place à des plans de travail et à des équipements flambant neufs, offerts par diverses organisations, qui trônent désormais dans ce grand espace aménagé. Le potager fraîchement installé sur le parking devrait profiter à 300 habitants du quartier. Le toit de l’ancienne station-service, actuellement en cours de réhabilitation, devra quant à lui permettre aux cuisines d’être autosuffisantes en légumes frais.

Actuellement, 48 personnes profitent des livraisons de repas à domicile, tandis que 103 autres se déplacent pour récupérer leurs plats chauds. Trois fois par semaine, les lundis, mercredis et vendredis, les volontaires grimpent sur leur scooter pour livrer les repas aux bénéficiaires n’ayant pas la possibilité de se déplacer, tandis que les autres affluent vers la station. En tout, ce sont près de 40 000 plats qui ont été distribués depuis l’ouverture des cuisines, en septembre 2020.

Quant aux soins médicaux, il faut s’éloigner un peu de la station pour découvrir la clinique, inaugurée en avril dernier. Elle accueille gracieusement quelque 450 patients réguliers, dont une soixantaine qui bénéficient de séances de psychothérapie. Rien ne laisse imaginer aux badauds que là, dans cette petite maison traditionnelle, blottie dans une cour arborée, une poignée de volontaires et de médecins bénévoles s’activent pour soigner tout un quartier.

S’activer, le mot est faible. En plus de proposer des consultations adaptées à chaque bénéficiaire, la clinique de Nation Station distribue aussi des médicaments, introuvables dans la plupart des pharmacies de la capitale et pourtant vitaux pour traiter certaines pathologies. Mais quelquefois, pour soigner, il faut tout reprendre à zéro. Ici, certaines personnes ne savent rien sur leur santé. Et s’il y a bien une chose que les volontaires détestent, c’est la fatalité : à tout problème, sa solution. Alors, pour pallier ce manque de connaissances médicales, Nation Station organise régulièrement des ateliers auxquels sont conviés tous ceux qui le souhaitent. Le dernier en date, une réunion d’informations sur le diabète. Au moment de la publication de cet article, la clinique s’agrandit d’un étage « afin d’offrir plus d’intimité aux patients, notamment en psychologie et en pédiatrie », explique Jeanne, 22 ans, coordinatrice de l’établissement.

Investir dans les compétences

« L’émancipation avant la charité. » Tel est le slogan de Nation Station, dont les fondements puisent dans l’autonomisation de chacun. Le mot d’ordre est clair : investir dans les compétences, plutôt que de rendre les habitants dépendants de l’aide donnée. Et gare à celui ou celle qui osera mettre la question de genre, d’appartenance politique, d’origine ethnique ou de confession sur la table. À la station, les différences ne sont pas un frein, mais un moteur. Dans cette optique d’horizontalité, Nation Station a choisi de ne pas instaurer de réelle hiérarchie. Chacun met ses compétences et ses objectifs personnels et professionnels au profit de l’organisation.

Au quotidien, une vingtaine de volontaires et d’employés fixes travaillent à la station. Mais les expatriés de passage au Liban font, depuis toujours, partie prenante du projet. Arthur, 21 ans, a travaillé au développement de l’organisation durant les cinq derniers mois. Venu au Liban pour son stage de fin de licence, cet étudiant en sciences politiques décrit son expérience comme « une thérapie ». Il confie : « Nation Station m’a donné le sentiment d’être utile à une communauté, de ne pas brasser de l’air et de faire des choses qui avaient vraiment du sens. » À ses yeux, l’organisation est « en phase avec la prise de conscience post-thaoura de la société civile ». Lors d’une collecte de fonds lancée au lendemain du 4 août 2020, l’organisation avait pu rassembler plus de 22 000 euros, auxquels se sont ajoutés des dons spontanés et des financements accordés par la Fondation de France. Une nouvelle campagne de collecte de fonds est actuellement en cours, jusqu’à demain mercredi 4 août. Les fonds récoltés serviront au développement de l’organisation, ainsi qu’à la création de nouveaux projets, comme l’agrandissement de la clinique, la réhabilitation de la station ou encore la mise en place d’une web radio.

Pour soutenir les projets en cours (et à venir) de Nation Station, se rendre sur cette adresse

Ils s’appellent Hussein, Irène, Paul, Emma, Thomas. Ensemble, ils ont fondé et développé Nation Station, pierre après pierre, ou plutôt morceau de tôle après morceau de tôle. Au cœur de Jeitaoui, dans une station d’essence abandonnée depuis six ans, cette organisation de la société civile libanaise nourrit, soigne et reconstruit un quartier brisé par une crise sans fin.Johnny,...

commentaires (4)

Felicitations et courage a vous tous

Staub Grace

20 h 53, le 03 août 2021

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • Felicitations et courage a vous tous

    Staub Grace

    20 h 53, le 03 août 2021

  • Bravo, c'est par des gens comme vous que viendra le salut du Liban!

    Politiquement incorrect(e)

    17 h 49, le 03 août 2021

  • Un exemple de citoyenneté. Au lieu d’aller quémander la miséricorde des fossoyeurs du pays pour devenir leur chair à canon, tous les libanais de toutes les régions devraient en prendre de la graine et se montrer solidaires les uns des autres sans l’intervention des assassins du peuple qui les volent pour mieux les asservir en leur accordant des miettes contre des sacrifices qui vont jusqu’au don de soi dans des conflits militaires aux quatre coins de la région pour leur gloire personnelle au service des pays étrangers. A bon entendeur, salut.

    Sissi zayyat

    10 h 53, le 03 août 2021

  • Bravo! Et ce n'est qu'un exemple des multiples imitatives prises par les jeunes libanais, Ils font ce que ne fait pas le gouvernement dont les membres ont, bien sûr, d'autres chats à fouetter que s'occuper des épreuves de leurs concitoyens! Ils réparent, avec leur générosité, ce que, par leur cupidité, leurs aînés ont détruit. Ils sont l'espoir du Liban.

    Yves Prevost

    07 h 35, le 03 août 2021

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