22 février 1958. Gamal Abdel Nasser parade triomphalement dans les rues de Damas. Il vient de cosigner l’acte fondateur de la République arabe unie avec la Syrie. L’année précédente, le leader égyptien menait d’une main de fer la nationalisation des industries européennes – celle du canal de Suez mènera à une confrontation avec Paris et Londres dont il sortira comme le grand gagnant auprès de l’opinion publique régionale. Pour la première fois, le rêve panarabe donne des résultats concrets, il semble ouvrir la voie à un nouveau Moyen-Orient en pleine gestation…
Six décennies plus tard, l’époque où Le Caire menait le « mouvement des non-alignés » et où les discours du président égyptien étaient retransmis sur les ondes arabes, rythmant le quotidien des habitants de la région, est bel et bien révolue. L’Égypte dispose certes toujours de ses traditionnels atouts – sa démographie, sa position géographique stratégique et sa puissance militaire –, mais elle a été paralysée par les années d’instabilité qui ont suivi la révolution de janvier 2011 ayant mené à la chute de l’ancien dictateur Hosni Moubarak. Surtout, l’ancienne puissance régionale a été doublée par les pays du Golfe et d’autres forces émergentes comme la Turquie, la Russie ou l’Iran qui, au même moment, formulent de nouvelles politiques offensives à travers la région, notamment en Libye, traditionnel pré carré du Caire, et en Syrie, allié de longue date. Sur le plan culturel, là où l’allégeance iranienne ne fait pas loi, ce sont les séries télévisées turques à la gloire du néo-ottomanisme qui ont remplacé les vieux feuilletons égyptiens.
Contre-offensive
Pour contrer cette perte de vitesse, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, au pouvoir depuis le coup d’État de 2013, tente depuis plusieurs années de mettre au point une stratégie de contre-offensive. Après avoir mené une politique sécuritaire visant à stabiliser le pays et à le prémunir contre la menace jihahiste, notamment en poursuivant la modernisation de l’armée grâce au soutien de Paris et de Moscou, le président égyptien adopte quelques années après son arrivée au pouvoir une nouvelle ligne plus pragmatique en matière de politique étrangère. Il renoue avec d’anciens alliés, se rapproche de rivaux idéologiques ou encore réaffirme le rôle de médiateur du pays.
Le premier indicateur de cette volonté émergente au sommet est une série de rapprochements diplomatiques initiés dans le but de réintégrer le jeu régional après des années d’absence marquées par une ligne particulièrement intransigeante vis-à-vis des autorités proches des Frères musulmans. Dès 2017, une baisse des tensions a lieu entre le régime de M. Sissi et le mouvement du Hamas à Gaza, grâce notamment aux efforts de ce dernier pour se distancier du mouvement des Frères musulmans dont il est issu, et en matière de coopération sécuritaire. Dans une même démarche visant à privilégier le pragmatisme sur l’idéologie, l’Égypte reprend ses relations diplomatiques avec Doha en janvier dernier, après une rupture de trois ans en raison du soutien qatari au mouvement islamiste interdit en Égypte depuis le coup d’État de 2013 ayant mené à la destitution du président Morsi.
Profitant de l’isolement diplomatique d’Ankara, Le Caire était également parvenu, en mai dernier, à initier un réchauffement avec la Turquie après des décennies de tensions en Méditerranée orientale. Début mai, une délégation du ministère turc des Affaires étrangères effectuait une visite officielle au Caire, la première depuis la prise de pouvoir de M. Sissi que le président turc avait alors qualifié de « gangster ». Enfin, l’arrivée fin juin du président égyptien à Bagdad dans le cadre d’un sommet tripartite entre l’Égypte, la Jordanie et l’Irak participe d’une tentative, amorcée deux ans plus tôt, visant à resserrer les liens entre ces pays afin notamment de prendre le contre-pied des influences iraniennes, turques ou saoudiennes au Moyen-Orient. Comme au Liban, où l’Égypte tente de profiter du vide laissé par l’Arabie saoudite afin de rasseoir son influence dans le pays. Pour Le Caire, il s’agit tout particulièrement de multiplier les soutiens régionaux afin de renforcer sa position dans certains dossiers qui lui sont chers, notamment en Méditerranée orientale.
Puissance stabilisatrice
Autre signe du volontarisme égyptien, Le Caire se démarque lors du dernier cycle de violence à Gaza. Avec l’aide de Washington, le pays déploie son arsenal diplomatique afin d’obtenir un cessez-le-feu entre les deux parties, qui aura lieu le 21 mai. Le ton plus conciliant de Abdel Fattah al-Sissi à l’égard du Hamas ainsi que le déploiement d’une large aide humanitaire comprenant le versement de 500 millions de dollars pour la reconstruction et la réouverture du point du poste-frontière de Rafah lui valent une hausse de popularité dans l’enclave palestinienne, où l’on voit refleurir des portraits du président égyptien. Si l’Égypte redouble d’efforts pour ressusciter une tradition égyptienne de médiation, c’est qu’elle se sent particulièrement menacée par la récente multiplication des accords de paix entre, d’un côté, Israël, et de l’autre les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Soudan et le Maroc – alors même qu’elle était la première capitale arabe à signer une paix avec l’État hébreu en 1979.
Gaza, mais aussi Libye ou Syrie : d’un bout à l’autre de la Méditerranée, Le Caire tente de se poser en puissance stabilisatrice dans les centres de tension. En Syrie, l’Égypte favorise un retour au statu quo lorsqu’en mars dernier, 10 ans après la suspension du régime de Damas de la Ligue arabe, le ministre égyptien des Affaires étrangères Sameh Choukry appelle au retour de son ancien allié, un « pays stable et actif qui serait vital dans le maintien de la sécurité nationale arabe ». En Libye, Le Caire soutient le maréchal Haftar, perçu comme le dépositaire d’une méthode de gouvernement calquée sur le modèle égyptien – une sorte de « Sissi » libyen qui serait le dernier rempart contre la montée en puissance des forces islamistes. Sur le plan diplomatique, la conférence de juin 2020 à l’initiative du leader égyptien vise à négocier un cessez-le-feu et à mettre fin au conflit entre l’Armée nationale libyenne menée par Khalifa Haftar et les forces du Gouvernement d’union nationale (GNA) de Tripoli – qui est néanmoins absent de la rencontre.
Le renouveau égyptien cible également son voisinage immédiat, par exemple à Djibouti en déployant de l’aide humanitaire ; au Kenya en signant de nouveaux accords de coopération de défense ; ou en resserrant les liens avec Khartoum dans le cadre du barrage de la renaissance, initié par l’Éthiopie, qui menace les apports hydrauliques des deux pays. Malgré ces efforts diplomatiques, militaires et financiers, le régime de M. Sissi peine toutefois à se montrer à la hauteur de ses ambitions, qui sous-tendent un véritable réajustement structurel de sa politique régionale. D’abord parce que les ressources économiques du pays sont limitées, notamment face aux puissances du Golfe dont les arguments financiers dépassent largement ceux du Caire. Mais également parce que l’Égypte reste elle-même dépendante de ses parrains étrangers : malgré le changement de ton face à certains acteurs comme le Hamas, l’ancrage du pays dans le camp des alliés sunnites de Washington rend extrêmement difficile toute évolution significative des relations à long terme.
L,EGYPTE EVOLUE GRACE A SISSI ET SES REFORMES. NOUS COURONS DE CATASTROPHE EN CATASTROPHE GRACE A NOTRE SISYPHE ET SES ANTI REFORMES.
09 h 25, le 02 août 2021