Après une semaine de relative accalmie, les inquiétudes des Libanais vis-à-vis des problèmes d’approvisionnement en essence du pays semblent avoir regagné en intensité dans un contexte de crise toujours aussi profonde. La pression était en effet plus forte hier dans la journée devant plusieurs stations-service ouvertes où les files de voitures avaient drastiquement diminué ces derniers jours, même si elle était globalement moins forte qu’il y a dix jours.
Si la tendance semblait principalement concerner Beyrouth et ses environs – notamment sur la corniche ou encore au niveau de l’autoroute qui relie la capitale à la Békaa –, des conducteurs de véhicules consommant du mazout ont bloqué une des entrées de Tripoli pour protester contre la fermeture de nombreuses stations-service de la ville.
Files d’attentes « moins importantes »
Interrogé par plusieurs médias, le porte-parole du syndicat des propriétaires de stations-services, Georges Brax, a assuré que les files d’attente étaient « bien moins importantes que celles d’il y a quelques semaines » et qu’elles étaient liées au fait que la journée d’hier était coincée entre le week-end qui venait de passer et les trois jours de congé pour la fête de l’Adha qui commence aujourd’hui. Or pendant ces périodes, un certain nombre de stations-service ont pris l’habitude de fermer, alimentant les « craintes de ne pas parvenir à s’approvisionner en essence » avant vendredi.
Se voulant rassurant, le syndicaliste a également affirmé que « la BDL (avait) demandé aux sociétés importatrices de carburant d’accélérer l’envoi de leurs demandes et de tous les documents pour qu’elle ouvre les lignes de crédit requises », alors que selon la MTV, deux importateurs alimentant plus d’un tiers du marché attendaient encore que la banque centrale finalise certaines procédures correspondantes pour décharger deux navires-citernes déjà arrivés dans les eaux libanaises.
Une information que L’Orient-Le Jour a pu confirmer en partie hier via une source qui a assuré que les procédures prévues n’avaient pas pu être finalisées pour au moins un des deux chargements et que cela pourrait désormais difficilement se faire avant vendredi. Contacté, le service de presse de la BDL n’a pas donné d’information concernant ces chargements, indiquant simplement que d’importants montants avaient récemment été débloqués pour assurer les besoins de financement des importateurs de carburant à moyen terme, conformément à un accord conclu fin juin avec la présidence libanaise portant sur une enveloppe de 160 millions de dollars.
Le rôle de pivot assuré par la BDL à ce niveau est lié à l’existence des mécanismes de subventions de facto mis en place en octobre 2019, soit dès les premiers mois de la crise. À travers ceux-ci, l’institution autorise les importateurs de certains produits identifiés – dont l’essence, le mazout et le gaz domestique – à échanger leurs livres contre des dollars délivrés par la BDL à un taux moins élevé que sur le marché parallèle qui sert, lui, de marqueur de la valeur d’une monnaie nationale en plein effondrement (22 000 livres pour un dollar hier, soit près de 15 fois la parité officielle de 1 507,5 livres).
Dégringolade de la livre
Avant juillet, les sociétés concernées pouvaient débloquer 90 % des dollars demandés par leurs fournisseurs à la parité officielle, un taux et une proportion qui sont depuis passés à respectivement 3 900 livres le dollar et 100 %, conduisant ainsi une importante hausse des prix en livres des carburants concernés, entre 30 % et plus de 60 %. Ces prix sont en principe modifiés chaque mercredi par le ministère de l’Énergie et de l’Eau, qui tient notamment compte des cours du brut et de certains coûts fixes calculés en dollars. Enfin, les dollars déboursés dans ce cadre sont puisés dans les réserves de la banque centrale qui n’étaient presque plus composées le mois dernier que des réserves obligatoires des banques du pays déposées chez elle, un argument invoqué par les autorités pour justifier une rationalisation ou une levée des mécanismes de subventions encore actifs.
La dégringolade de la livre combinée à la hausse des prix du carburant est loin d’être anodine dans un pays en crise où les citoyens utilisent beaucoup leur voiture et où la production de courant est en grande partie assurée par des exploitants de générateurs privés, illégaux mais tolérés, qui comblent le déficit de production d’Électricité du Liban depuis des décennies. En sus de la hausse de plus en plus effrénée des prix des biens à la consommation ou des transports privés qui s’est accélérée avec le dernier décrochage de la livre la semaine dernière, cette accumulation de mauvaises nouvelles pourrait se répercuter dès cette semaine sur les prix des transports publics, qui sont généralement fixés via des concertations entre les syndicats concernés, le ministère des Travaux publics et des Transports et celui de l’Intérieur.
Ce week-end, le président du syndicat des chauffeurs de taxi, Marwan Fayad, a annoncé que la tarification actuelle de 4 000 livres imposée aux chauffeurs de « service » (taxi partagé) n’était plus viable à la suite de l’augmentation des prix des carburants et que son organisation avait – apparemment de manière unilatérale – décidé de doubler leurs prix. Une décision qui survient alors que la réunion initialement prévue jeudi dernier pour débattre de cette question, et à laquelle devaient participer les deux ministères concernés ainsi que la Fédération des syndicats des transporteurs routiers, dont font partie les conducteurs de taxi-service et de bus, a été reportée et ne devrait pas se tenir avant la fin de la fête de l’Adha.