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Culture - Scène

En pleine pandémie, le deuil hante la scène d’Avignon

En pleine pandémie, le deuil hante la scène d’Avignon

La metteuse en scène Caroline Guiela Nguyen présente à Avignon « Fraternité, conte fantastique », spectacle aux allures de science-fiction. Joël Saget/AFP

Un monde d’avant qui ne reviendra pas, des proches éloignés... Ça vous rappelle quelque chose ? Certaines pièces au Festival d’Avignon traitant de deuil et d’époque révolue font écho, involontairement, au contexte de pandémie.

Dans Kingdom d’Anne-Cécile Vandalem, les personnages qui ont fui le monde moderne pour vivre en paix avec la nature finissent par faire le deuil d’une utopie ; dans La dernière nuit du monde de Laurent Gaudé et Fabrice Murgia, le héros qui vient de perdre sa femme va faire face à un nouveau monde effrayant. Voici deux autres exemples de pièces sur la notion de perte et de souvenir.

Soignants et soignés

Une éclipse fait disparaître la moitié de l’humanité. Ceux qui ont survécu attendent leur retour et cherchent à se consoler entre eux. C’est le propos de Fraternité, conte fantastique, spectacle aux allures de science-fiction imaginé par Caroline Guiela Nguyen (révélée avec Saïgon en 2017 à Avignon).

Ayant travaillé sur ce projet depuis des années, notamment au travers d’un travail d’immersion avec des prisonniers – ces « experts du temps » –, la metteuse en scène assure que la pièce « n’a rien à voir avec le Covid ». Mais pour le public, la pièce d’un peu plus de trois heures résonne curieusement avec l’année écoulée.

L’action se déroule dans « un centre de soins et de consolation », inspiré par le bureau de rétablissement des liens familiaux de la Croix-Rouge : dans une cabine, les personnages, interprétés en différentes langues par des acteurs professionnels comme amateurs, peuvent enregistrer des messages d’amour à leurs disparus. Il y a aussi des personnages un rien délirants comme une astrophysicienne qui mesure le chagrin et veille à ce qu’il n’affecte pas les battements de cœur... car ceux-ci sont liés au cœur battant de l’univers. Pour sauver le reste de l’humanité, les personnages doivent surmonter leur peine et se soumettre à l’expérience d’effacement des souvenirs des disparus.

« Je voulais explorer cette idée de comment on soigne collectivement une même blessure, affirme à l’AFP la metteuse en scène. Chacun est à son tour soignant et soigné. »

Selon elle, « à chaque fois qu’on évoque l’avenir, on voit à quel point l’humain est toujours en échec avec des conflits économiques et écologiques » en perspective. Dans Fraternité, « au contraire, on peut voir comment l’humanité fait tout ce qu’elle peut pour consoler, réparer l’autre ».

Se nourrir des morts

Comment garde-t-on nos disparus près de nous ? Pupo di zucchero (« la statuette de sucre ») de la metteuse en scène Emma Dante s’empare d’une tradition du sud de l’Italie pour répondre à cette question. « À Palerme, le 2 novembre, on prépare des friandises délicieuses et colorées pour les offrir aux morts pendant la nuit, explique l’artiste italienne à l’AFP. En laissant les portes ouvertes, les parents décédés sont invités à dîner... La valeur originelle des sucreries anthropomorphes est de représenter les âmes des morts, et en les mangeant, c’est comme si l’on se nourrissait de ses propres proches. »

Dans le spectacle en danse et en musique qui s’ouvre aujourd’hui vendredi, un vieil homme se souvient de ses trois sœurs, mortes très jeunes du typhus.

Et d’évoquer « la maison avec ses voix, ses bruits et sa vie ». « On entend deux œuvres du (compositeur italien) Ezio Bosso qui est mort pendant la pandémie à 46 ans, non pas de Covid mais d’une maladie dégénérative », indique Mme Dante.

« Nous aurions dû présenter ce spectacle il y a exactement un an (au festival, annulé pour cause de pandémie) car il était presque prêt. Le spectacle était figé, momifié. En reprenant les répétitions, nous avons ressenti une correspondance extraordinaire avec ce que nous avons vécu », assure la metteuse en scène.

« La présence des morts, leur permanence avec nous, derrière nous, est la chose la plus forte que nous portions dans cette période postpandémie et qui fera partie de notre vie future. Il est important de ne pas oublier », ajoute-t-elle.

Rana MOUSSAOUI/AFP

Un monde d’avant qui ne reviendra pas, des proches éloignés... Ça vous rappelle quelque chose ? Certaines pièces au Festival d’Avignon traitant de deuil et d’époque révolue font écho, involontairement, au contexte de pandémie.
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