À travers la collection Tony Ward haute couture automne-hiver 2021-22, on découvre une profonde réflexion sur l’état du monde, sublimée en textures irisées. À l’origine de ces cascades scintillantes, la panne qui guette nos écrans. Qui n’a pas senti son cœur s’arrêter en voyant son ordinateur – seul lien avec l’extérieur quand la pandémie avait enfermé tout le monde chez soi – faire un refus bizarre et des bruits incongrus, ou pire, décomposer les images et les couleurs sur son écran en surchauffe ? Tony Ward le sait aussi bien que nous tous, une panne d’ordinateur, une rupture de connexion, une image illisible dans un monde d’images et de liens virtuels, sont sources de panique. Mais tout est relatif, il suffit de se souvenir du temps où nous étions indépendants de l’informatique, se dire que ce phénomène est avant tout une bien jolie chose en plus d’être utile, tout en se répétant aussi qu’on a vécu sans, et qu’on peut encore survivre sur un mode organique en observant avec distance l’outil joli qui nous propulse dans le futur.
L’esthétique des années 1920
Voici donc, avec des fulgurances venues des années 1920, de grands plissés rouge métallisé tombant en traîne majestueuse des épaules d’un fourreau de velours noir, voici des motifs d’écailles s’amplifiant jusqu’à terre en paillettes noires et argentées, floutées par l’élargissement des détails. Voici une robe longue bustier blanche zébrée d’éclairs de cristaux froids, ornée en jupon de froufrous plissés découpés dans la nacre. Une jupe brodée de cristaux et paillettes, tel un paysage rendu par satellite, semble coupée dans la matière des isthmes et des océans, image déchirée par le passage d’un nuage ou d’un anticyclone qui y laisse des vides sensuels. Çà et là, avant la mire qui annonce l’arrêt de toute diffusion, apparaissent des rangées de cristaux magenta sur le bustier d’un fourreau violine sculptant, surligné de noir.
Gel de l’image et pixels éclatés
La collection, présentée le 5 juillet dans le cadre de la Semaine parisienne de la haute couture, rompt parfois avec le thème complexe de la panne informatique pour laisser place à un romantisme éthéré, tout d’amples voiles transparentes, de broderies florales et de pétales en 3D. Ce rappel organique casse la froide géométrie désorganisée par le « gel » de l’image et les pixels éclatés avec cependant une exception : l’architecture contemporaine, inépuisable source d’inspiration à laquelle Tony Ward emprunte non seulement ses formes sculpturales, mais également ses techniques innovantes et ses jeux de transparence et de translucidité, s’exprime dans cette collection à travers un hiératique fourreau blanc agrémenté en buste d’une structure tridimensionnelle futuriste. Le film qui illustre la collection en confirme la touche psychédélique et la profondeur inquiète sublimée en coupes magistrales et broderies complexes.
Il savait déjà
Venu à la couture à la suite de son père Élie Ward qui fut l’un des piliers de la confection lors de la grande époque beyrouthine, Tony Ward savait déjà, à l’âge où il jouait dans l’atelier familial, qu’il embrasserait ce métier avec passion. Cet enfant de la guerre décide de tenter sa chance à Paris où il est dans un premier temps engagé dans les ateliers de Lanvin. Il y rencontre Claude Montana qui croit en lui au point de financer ses études à l’École de la chambre syndicale de la couture parisienne. Sept années de formation, de Chloé sous la direction de Karl Lagerfeld à Dior sous Gianfranco Ferré, le mûrissent et préludent à la fondation de sa maison éponyme à Beyrouth, en 1997. Très vite, il se retrouve à l’étroit dans l’atelier confidentiel où officiait son père. Il y a quelques années, pour célébrer le 60e anniversaire de la maison dont il incarne la deuxième génération, il installait ses quartiers généraux dans un immeuble contemporain, avenue de l’Hôtel-Dieu, à Achrafieh. Depuis 2003, c’est à partir de Beyrouth qu’il rayonne sur les tapis rouges, habillant les stars les plus en vue, de Whitney Houston à Pink, d’Ashanti à Rihanna, de Beyoncé à Sharon Stone.
commentaires (1)
Un créateur qui arrive a sublimer notre dure réalité pour en faire une source d'innovation! Bravo!
Kfouri Emilie
10 h 08, le 14 juillet 2021