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Lifestyle - Rencontre

Joseph Achkar et Michel Charrière, deux noms désormais associés à l’hôtel de la Marine, à Paris

Les deux décorateurs ont joué la carte de l’authenticité en innovant la méthode de restauration pour faire revivre le faste de ce monument emblématique commandé par Louis XV et dessiné par son premier architecte, Ange-Jacques Gabriel. Aujourd’hui entièrement rénové, il bénéficie du statut de monument national.

Joseph Achkar et Michel Charrière, deux noms désormais associés à l’hôtel de la Marine, à Paris

Chambre à coucher de Madame Thierry de Ville-d’Avray. Photo DR

Le temps semble s’être arrêté à l’hôtel de la Marine, ouvert au public depuis le 12 juin. Ce bâtiment prestigieux vient d’être restauré par les décorateurs Joseph Achkar et Michel Charrière, tous deux passionnés d’histoire et de patrimoine, à la demande de Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux (CMN) qui les a sollicités pour apporter un « supplément d’âme ». Le pari semble réussi pour le duo qui n’en est pas à son coup d’essai. Les deux hommes avaient déjà restauré leur résidence parisienne qui n’est autre que l’ancien hôtel particulier du duc de Gesvres, gouverneur de Paris sous Louis XIV, où un long et minutieux travail a permis de dégager des décors surprenants et même un cabinet datant de 1680. À leur actif également, la restauration en 2014 du château de Ravel datant du XIIe siècle, une perle architecturale du Forez, en Auvergne. Ils ont ressuscité des demeures prestigieuses, tels le Palazzo Bernardo à Venise ; la maison de l’illustre grammairien de Saussure (1704) à Genève ; l’ancien hôtel Mégret de Serilly à Paris (XVIIe siècle, inscrit sur la liste des monuments historiques) et des palais du XIVe siècle à Alep. Leur leitmotiv ? Réveiller « l’esprit des lieux ». À l’hôtel de la Marine, « l’effet est saisissant », relève le magazine Géo. La nouvelle méthodologie employée par Joseph Achkar et Michel Charrière va, selon le quotidien Le Monde, modifier les connaissances et les savoir-faire en matière de restauration. Le duo a en effet réussi à restituer à l’identique et au plus près de son état originel le décor de l’hôtel de la Marine, un joyau de l’Ancien Régime. L’édifice, situé place de la Concorde, à Paris, servait jadis de garde-meuble et de boîte à bijoux de la couronne, avant d’être occupé par le ministère de la Marine, de 1798 à 2015, d’où son nom. Il a abrité le mobilier des résidences royales : meubles, étoffes, tapisseries, pièces d’orfèvrerie, armes et armures d’apparat, ainsi que les bijoux et pierreries des rois et reines de France. C’est là aussi qu’ont vécu dans un luxe inouï les intendants, Pierre-Élisabeth de Fontanieu et Marc-Antoine Thierry de Ville-d’Avray, qui se sont succédé pour veiller sur les collections, et dans lesquelles ils puisaient pour décorer leurs logements. « Ils faisaient même leurs propres commandes chez les fournisseurs des résidences royales, comme Georges Jacob, Jean-Henri Riesener, Jérémie Delaroue et Lescuyer », racontent Joseph Achkar et Michel Charrière lors d’un entretien accordé à L’Orient-Le Jour. « Leurs appartements rayonnaient par la magnificence du mobilier qui s’y trouvait, la somptuosité des objets, des tapisseries et des textiles qui s’y déployaient. » Il a fallu donc aller à la pêche des meubles et des objets pour restituer à l’identique le décor et repérer et maintenir l’intégralité des éléments décoratifs originels, qui ornaient les murs et les plafonds de l’édifice.

Joseph Achkar et Michel Charrière dans la salle à manger des appartements des intendants du garde-meuble de la couronne.Photo DR

La pêche au trésor

Les découvertes sont de taille dans les appartements des intendants, où l’on a retrouvé l’ancien cabinet doré. « Aménagé en cuisine par la Marine, on le croyait perdu. Mais en dégageant les carreaux et les plaques d’aluminium qui recouvraient les murs, on découvre les boiseries d’origine. Le gros travail a été d’assurer les réintégrations sur les parties manquantes », expliquent Joseph Achkar et Michel Charrière. Ensuite, strate par strate, comme en archéologie, « il a fallu décaper patiemment et minutieusement 18 couches de peinture (que la Marine avait appliquées au cours des années, sans jamais enlever la couche précédente) pour retrouver la peinture d’origine ainsi que les corniches et les moulures dorées ». Les peintures ont été ensuite restaurées selon la technique pratiquée pour la remise en état d’un tableau ancien. « Cette méthode n’a jamais été utilisée par l’administration française. Nous avons innové la façon de réhabiliter un bâtiment historique. D’où l’intérêt suscité dans la presse spécialisée, qui nous a encensés », confie Michel Charrière. S’il est vrai que le travail a été plus long et les dépenses astronomiques, ajoute-t-il, « de la moindre écaille de la peinture à la plus petite corniche d’origine, nous sommes restés dans le jus de l’Ancien Régime ».

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C’est dans ce même esprit rigoureux qu’ils ont décidé d’employer uniquement le mobilier XVIIIe provenant du garde-meuble de la couronne. S’appuyant sur les inventaires conservés aux Archives nationales, qui fournissent la description des meubles et des objets, ainsi que leur emplacement d’origine, les deux décorateurs ont pu identifier les meubles et les tissus présents autrefois sur les lieux. La plupart était dispersée entre le Muséum (Meuble national), les ministères et les administrations publiques, le musée des Arts décoratifs et le palais de l’Élysée. Ce dernier a restitué une enfilade (un grand buffet, NDLR) de Riesener qui avait été « empruntée » par Valéry Giscard d’Estaing.

Mais il a fallu aller à la pêche d’autres pièces disparues, notamment la Table des Muses et le secrétaire en armoire estampillés Riesener, qui faisaient partie du cabinet doré. « Un jour, on apprend que le secrétaire est mis aux enchères à Londres », raconte Joseph Achkar. « On a réussi à le sortir de la vente et à l’acheter de gré à gré au propriétaire. » Quant à la Table des Muses, elle se trouvait au musée du Louvre qui l’a restituée. Une commode de Riesener s’était également volatilisée. « Elle était en vente chez Christie’s à New York, il n’y a pas longtemps, elle a été remportée par l’ancien émir du Qatar, cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani, pour 1,4 million d’euros. Une somme qui n’était pas dans notre budget », souligne-t-il. L’ancien émir l’a finalement offert à l’hôtel de la Marine.

Néanmoins, toutes les pièces n’ont pas pu être récupérées, notamment le lit et les sièges de la chambre d’un des intendants, précédemment acquis par le musée de Boston. Pour les remplacer, les décorateurs partis en quête de leurs « équivalents » chez les antiquaires. « Nous ne faisons jamais de concessions, ni en ce qui concerne la qualité d’un décor ni celui des objets. Meubles ou tableaux, tous sont d’origine, ou du moins de la même époque. Tout doit être cohérent. »

Les notes en plus…

Pour habiller le mobilier de tissus du XVIIIe, ils se sont référés à « l’inventaire très précis ». Mais rien n’était évident. Ils ont beaucoup navigué, couru les salles de vente, et puisé dans les stocks des textiles anciens des marchands, pour trouver des soieries d’époque qui étaient « en parfait état », signale Joseph Achkar. À défaut, ils font tisser des modèles chez le fameux soyeux lyonnais Tassinari & Chatel, et recréent des panneaux de soie à l’atelier des frères Reese. « Nous avons voulu un musée aux allures de maison habitée, des intérieurs qui semblent avoir toujours été là », souligne les deux complices. Pour ce faire, la salle à manger présente une fin de repas : une veste est nonchalamment jetée sur une chaise, les verres sont encore remplis et les serviettes dépliées. « Le cadre est somptueux mais en y ajoutant de la poésie, nous avons fait en sorte qu’il ne soit pas ostentatoire. Notre but est d’apporter de la vie, et de réconcilier les jeunes générations avec le XVIIIe siècle », précisent-ils.

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Il restait la magie de l’éclairage pour mettre en lumière l’atmosphère spécifique de ce siècle. Les décorateurs ont opté pour des ampoules LED adaptées aux lustres et qui ressemblent à s’y méprendre à une bougie de cire, imitant la couleur et le halo lumineux d’une flamme qui vacille, similaire à l’ambiance de l’époque.

De même, pour rappeler certains événements du passé de l’hôtel de la Marine, des éléments ont été préservés. Dans le salon diplomatique, qui abrite le bureau sur lequel Victor Schœlcher a signé, en 1848, le décret d’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises, l’une des fenêtres porte la trace de l’effraction commise en 1792 par des cambrioleurs qui s’étaient emparés des bijoux de la couronne, dont le diamant dit le Régent considéré comme le plus pur et le plus beau du monde (conservé depuis 1887 au musée du Louvre). Les pillards ont été appréhendés par les forces de l’ordre et condamnés à mort par guillotine. La plupart des bijoux furent retrouvés deux ans plus tard. Le diamant Le Bleu de France réapparaît, lui, vingt ans plus tard en Angleterre, entièrement retaillé ; il est désormais connu sous le nom de diamant Hope (espoir). « Nous n’avons pas non plus colmaté le trou découpé dans le volet d’une chambre d’angle, qui est dans l’axe de la rue de Rivoli. Il a été fait par les Allemands lors de la dernière guerre », raconte Michel Charrière.

Grand péristyle donnant sur la place de la Concorde. Photo DR

Un projet qui fera date

La restauration de l’hôtel de la Marine a été abondamment couvert par la presse nationale et internationale. Le New York Times y a même consacré dix pages. Les critiques à l’égard de Joseph Achkar et Michel Charrière sont dithyrambiques. « Vous avez fait un véritable miracle, d’une justesse et d’une sensibilité remarquables, écrit ainsi à leur sujet Hervé Lemoine, directeur du Mobilier national, qui assure que ce projet fera date dans l’histoire de la restauration du patrimoine. » « Tout Paris parle de vous, de votre réussite exemplaire de l’hôtel de la Marine », salue Emmanuel Ducamp, historien, célèbre spécialiste de l’architecture et des arts décoratifs de la Russie des XVII et XIXe siècles. Le Monde rapporte les propos de Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux (CMN) : « On a fait appel à des décorateurs qui ont l’habitude d’aménager des maisons, des appartements, des lieux de vie. […], ils ont un goût très sûr. » Quant aux administrateurs du château de Versailles, ils se disent « troublés » par cette nouvelle méthodologie de restaurer un bâtiment ancien, et leur demande de participer à des débats et à partager leur expérience.

Le magazine Connaissance des Arts se demande si « la méthode appliquée à l’hôtel de la Marine vient-elle pour autant bousculer la déontologie appliquée jusqu’à maintenant dans la restauration ? En quelque sorte oui, car il sera désormais difficile de ne pas opter, comme là, pour une sauvegarde maniaque du moindre élément ancien ».

« Nous avons vécu un grand succès », souligne Joseph Achkar. « Mais à l’égal de ma joie, j’avais un sentiment profond de tristesse, car je ne peux m’empêcher de penser avec amertume à la détresse des Libanais et à l’état actuel du pays. Je suis indigné. »

Le temps semble s’être arrêté à l’hôtel de la Marine, ouvert au public depuis le 12 juin. Ce bâtiment prestigieux vient d’être restauré par les décorateurs Joseph Achkar et Michel Charrière, tous deux passionnés d’histoire et de patrimoine, à la demande de Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux (CMN) qui les a sollicités pour apporter un...

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