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Moyen-Orient - Éclairage

Un nouvel axe Amman-Bagdad-Le Caire se dessine

Les trois puissances ont renforcé leur coopération politique et économique lors d’un sommet tripartite qui s’est tenu dimanche dernier dans la capitale irakienne.

Un nouvel axe Amman-Bagdad-Le Caire se dessine

Le Premier ministre irakien Moustafa Kazimi (à droite) recevant le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi (à gauche) et le roi Abdallah II de Jordanie à Bagdad, le 27 juin 2021. Photo AFP, service de presse du Premier ministre irakien

C’est une rencontre symbolique qui s’est déroulée dimanche dernier à Bagdad. Accueilli par le président irakien Barham Saleh et son Premier ministre Moustafa Kazimi, Abdel Fattah al-Sissi a inauguré la première visite d’un chef d’État égyptien en Irak depuis l’invasion du Koweït par Saddam Hussein en 1990. Le roi de Jordanie Abdallah II s’est peu après joint à ses homologues irakien et égyptien dans le cadre de son second déplacement à Bagdad après la première visite en 10 ans organisée en juin 2019. Réunis en sommet tripartite, l’Irak, la Jordanie et l’Égypte ont abordé plusieurs questions régionales et discuté des moyens de renforcer leur coopération « dans les domaines de la sécurité, de l’énergie et du commerce », selon un communiqué conjoint publié à l’issue de la réunion.

Ce sommet s’inscrit dans la continuité d’une nouvelle dynamique inaugurée par un premier cycle de pourparlers entre ces trois pays qui s’est tenu au Caire, en mars 2019. Deux réunions ont eu lieu par la suite aux États-Unis et en Jordanie. Cette quatrième rencontre constitue « un message éloquent face aux énormes défis régionaux », a déclaré le président irakien Barham Saleh.

« Le redressement de l’Irak ouvre la voie à un système intégré pour notre région fondé sur la lutte contre l’extrémisme, le respect de la souveraineté et le partenariat économique », a-t-il ajouté. Bagdad fait régulièrement part de son refus de voir l’Irak utilisé comme un terrain pour régler les comptes entre l’Iran – via les factions armées pro-Téhéran – et Washington. Lundi avant l’aube, le territoire irakien a de nouveau été pris pour cible, alors que le Pentagone a effectué des raids de représailles contre la milice paramilitaire pro-iranienne du Hachd el-Chaabi (PMF), qui attaque régulièrement les intérêts américains pour obtenir le départ des troupes de Washington. Dimanche, le ministre jordanien des Affaires étrangères avait d’ailleurs indiqué après le sommet que l’Irak « devrait être isolé des interventions régionales », en référence à l’influence de l’Iran dans le pays.

Remise en question des axes traditionnels

« Bagdad, qui a été mis à l’écart depuis le début des années 1990, veut avant tout utiliser ce nouvel axe pour retrouver sa position dans le giron arabe et contrebalancer l’influence iranienne sur sa politique intérieure », observe Randa Slim, chercheuse et directrice du Conflict Resolution and Track II Dialogues Program au sein du Middle East Institute. Soucieux de diversifier ses alliances, l’Irak entend également jouer un rôle de médiateur régional afin d’éviter de faire les frais de la rivalité entre Riyad et Téhéran.

Des délégations de haut niveau d’Arabie saoudite et d’Iran se seraient ainsi rencontrées en secret à Bagdad au cours du mois d’avril, selon des révélations faites par le journal britannique Financial Times, suivant la visite du Premier ministre irakien Moustafa Kazimi en Arabie saoudite fin mars.

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Tout comme l’Irak, la Jordanie et l’Égypte ont également à gagner dans ce partenariat qui vise à augmenter leur marge de manœuvre dans la région au détriment des axes traditionnels. « Cette alliance est motivée par des intérêts géopolitiques partagés par les trois pays pour contrebalancer l’influence de l’Iran, de l’Arabie saoudite et de la Turquie dans les affaires régionales », indique Randa Slim. Alors que la monarchie hachémite souhaite que ses deux alliés soutiennent la solution à deux États dans le conflit israélo-palestinien ainsi que son rôle de protecteur des lieux saints à Jérusalem, l’Égypte cherche pour sa part à consolider une alliance arabe au vu de ses relations tendues avec la Turquie en Méditerranée orientale ou encore en Libye. « Le Caire et Amman veulent regagner leur ancienne influence sur les questions régionales, qu’ils ont perdue face aux puissances économiques du Golfe, Riyad et Abou Dhabi », poursuit la chercheuse. Si la politique menée par Donald Trump au Moyen-Orient a consolidé une ère centrée sur les monarchies du Golfe dans la région, à la faveur de leur opposition commune à Téhéran, Amman, Le Caire et Bagdad souhaitent désormais restaurer leurs rôles régionaux respectifs. « La Jordanie a été largement mise à l’écart pendant les années Trump et s’efforce activement de restaurer sa position régionale, observe Curtis Ryan, professeur en sciences politiques à l’université américaine Appalachian State University. Mais la relation entre Israël et les pays du Golfe a également marginalisé l’Égypte, l’Irak et la Jordanie. Tous les trois sont donc incités à travailler ensemble afin d’établir des voix arabes au-delà de celles du Golfe ». Le 15 septembre dernier, l’État hébreu avait en effet normalisé ses relations avec Abou Dhabi dans le cadre des accords d’Abraham, censés constituer le point de départ d’un rapprochement entre Israël et l’Arabie saoudite. Aux yeux de la Jordanie, sa coopération avec Le Caire et Bagdad revêt peut-être une importance particulière après la récente tentative de complot contre le monarque dans laquelle l’Arabie saoudite pourrait avoir joué un rôle aux côtés de l’ancienne administration américaine et israélienne.

En marge des considérations géopolitiques, les trois pays réunis dimanche entendent également renforcer leur partenariat économique. Selon le spécialiste au Chatham House Neil Quilliam, l’alliance entre l’Égypte – qui dispose de capacités militaires importantes, l’Irak – qui possède des ressources énergétiques considérables – et la Jordanie – riche de son capital humain – est particulièrement prometteuse si ces pays capitalisent sur leur complémentarité. Plusieurs accords de coopération dans les secteurs de l’énergie, de la santé et de l’éducation ont déjà été signés au cours des dernières années entre les trois pays, alors que Bagdad a renouvelé son contrat d’approvisionnement de brut irakien à l’Égypte de 12 millions de barils pour 2021. L’Irak prévoit également de construire un oléoduc visant à exporter 1 million de barils par jour de brut depuis la ville irakienne de Bassora vers le port jordanien de Aqaba.

Retour sur la scène régionale

Cette coopération étendue comporte cependant des limites. « Même avec les vastes ressources énergétiques de l’Irak, les trois pays ne peuvent pas rassembler suffisamment de puissance économique pour soutenir leurs ambitions politiques, estime Randa Slim. Au mieux, leur alliance peut jouer un rôle de médiation et désamorcer les tensions entre l’Iran et les États-Unis d’une part et entre le Conseil de coopération du Golfe (CCG) et l’Iran d’autre part. » Si Amman a notamment besoin de son parrain américain et de ses alliés du Golfe pour payer ses dettes, ces derniers figurent également comme les donateurs principaux en vue de la reconstruction de l’Irak après la défaite de l’État islamique.

« Les trois États ne représentent pas un nouveau défi militaire ou un changement d’équilibre dans la région. Il faut davantage voir cela comme des pays qui ont été absorbés par une myriade de problèmes intérieurs pendant des années et qui reviennent maintenant sur la scène régionale en restaurant au moins une partie de leur influence antérieure », résume Curtis Ryan.

C’est une rencontre symbolique qui s’est déroulée dimanche dernier à Bagdad. Accueilli par le président irakien Barham Saleh et son Premier ministre Moustafa Kazimi, Abdel Fattah al-Sissi a inauguré la première visite d’un chef d’État égyptien en Irak depuis l’invasion du Koweït par Saddam Hussein en 1990. Le roi de Jordanie Abdallah II s’est peu après joint à ses...

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