« Il faut y mettre fin », lance d’emblée Mohammad, 25 ans, le visage de Hassan Nasrallah tatoué sur son bras droit. Quinze ans après la signature de l’accord de Mar Mikhaël entre le Hezbollah et le Courant patriotique libre, le jeune homme exprime un avis tranché. S’il semble plus catégorique que la majorité des partisans au sein des deux camps, il reflète tout de même une ambiance générale de malaise, voire d’amertume, par rapport à une alliance politique qui n’a pas nécessairement eu les effets escomptés. Le temps de l’accolade entre Michel Aoun et Hassan Nasrallah semble loin. La crise économique est passée par là, tout comme la double explosion du port de Beyrouth le 4 août dernier. Deux évènements tragiques qu’une partie importante du public aouniste attribue au Hezbollah.
Du côté du parti chiite, on accepte de moins en moins l’agitation permanente du gendre du président, Gebran Bassil, qui a interpellé directement le « sayyed » la semaine dernière, une façon de faire qui ne passe pas auprès de beaucoup de partisans du Hezbollah. « C’est nous qui avons permis à Michel Aoun et son gendre d’accéder au pouvoir. Mais Bassil, je le déteste. Ils veulent toujours plus, alors qu’ils ont déjà tout pris ! » fulmine Farida*, la quarantaine, qui tient un magasin de vêtements dans la banlieue sud de Beyrouth. « Bassil est un raciste ! Sayyed Hassan est le seul à œuvrer pour le bien du pays. Tous les autres nous laissent mourir de faim », s’emporte pour sa part Mohammad.
Le dernier discours du numéro un du CPL, dans lequel il demandait au leader du Hezbollah de choisir son camp dans la formation du gouvernement, a laissé des traces. « Qu’est-ce qu’il croit, lui ? Que Nasrallah va le choisir plutôt que (Nabih) Berry ? » demande Ahmad*, assis dans un café de Haret Hreik. Le chef du Parlement a pris parti en faveur du Premier ministre désigné Saad Hariri dans le bras de fer qui oppose ce dernier à Michel Aoun et à son gendre concernant la formation du gouvernement. Le Hezbollah a, quant à lui, soutenu l’initiative de son allié chiite tout en rappelant à plusieurs reprises son « attachement » à Saad Hariri. « Le sayyed ne reçoit pas d’ordres de Bassil. C’est lui qui les lui donne », se braque Abir, 46 ans, salariée dans une boutique à Choura.
Au sein du camp aouniste se dégage le sentiment que le parti chrétien a beaucoup donné à son allié chiite sans recevoir ce qu’il méritait en retour. « Nous sommes en train de perdre la partie à cause du Hezbollah, de l’action de ce dernier ou de son inaction », critique Laura*, étudiante en architecture et partisane du CPL. « Nasrallah doit être clair et choisir son initiative. Bassil a été lucide. De la même façon que Berry a demandé que le ministre des Finances soit chiite, nous avons le droit de demander deux ministres chrétiens supplémentaires », estime Marc, étudiant en économie, lui aussi fidèle du parti de Michel Aoun, en référence au fait que les deux camps se disputent l’attribution des deux derniers ministres chrétiens depuis des semaines. Dans la galaxie aouniste, on ne pardonne pas au Hezbollah de refuser de rompre avec Nabih Berry, considéré comme l’incarnation de la corruption et du système d’après-guerre honni et dénoncé dans chaque discours par le président et son gendre. « Aucun projet de réforme ne peut aboutir, pour la simple raison que Hassan Nasrallah protège ses alliés, en l’occurrence le mouvement Amal, avant de défendre l’intérêt national », avance Raphaël, étudiant en médecine, qui a récemment pris ses distances avec le parti aouniste. « Le Hezbollah n’a aidé le CPL ni à combattre la corruption ni même à bâtir ou former une base solide pour un gouvernement », renchérit Marc.
La carpe et le lapin
Entre les deux bases populaires, ça n’a jamais été l’amour fou. De la sympathie réciproque au mieux, mais pas de mélange dans le vrai sens du terme. Michel Aoun se présentait comme le parangon du souverainisme avant de s’allier à un parti intrinsèquement lié à Téhéran. Le Hezbollah, qui se pensait comme un mouvement para-étatique, se rapprochait pour sa part d’une formation politique qui prétendait vouloir remettre le respect des institutions au centre du village. Mais pas question, à l’époque de l’accord de Mar Mikhaël, de douter du choix des deux leaders, capables du point de vue de leurs bases respectives de donner du sens à ce mariage entre la carpe et le lapin. L’objectif officiel : éviter une nouvelle guerre civile. Concrètement, le Hezbollah y a gagné une couverture chrétienne et une influence renforcée au sein des institutions libanaises. Michel Aoun a pu réaliser, de son côté, son rêve d’accéder à Baabda en 2016.
Paradoxalement, c’est à partir de ce moment que les choses ont sérieusement commencé à se dégrader entre les fidèles des deux camps. Le leader du CPL a multiplié les déclarations provocatrices sur le rapport que le Liban doit entretenir avec Israël, tandis que le Hezbollah considérait le parti chrétien comme un allié parmi d’autres, dans un contexte de rapprochement avec Saad Hariri. « Le CPL ne protège pas les armes du Hezbollah. Au contraire, il veut qu’on les rende, mais nous ne le ferons jamais », dit Abir. La formation aouniste a dit tout et son contraire à ce sujet, promettant de mettre en œuvre une stratégie de défense nationale avant d’y renoncer. « Il n’est pas normal qu’il y ait des armes en dehors de l’État », a encore déclaré Gebran Bassil le 8 juin, avant de nuancer ses propos par la « situation exceptionnelle » dans laquelle se trouve le Liban. Sanctionné par les États-Unis, l’ancien ministre des Affaires étrangères tente de faire les yeux doux aux Américains pour rentrer dans leurs bonnes grâces, sans pour autant rompre avec son allié chiite, le dernier qui lui reste sur la scène interne.
« C’est une catastrophe »
Si les partisans des deux camps accusent les États-Unis d’être en grande partie responsables de la crise économique qui frappe le pays de plein fouet, ils n’en tirent toutefois pas la même conclusion. Côté Hezbollah, l’heure est au combat. Côté CPL, on se plaint au contraire des conséquences géopolitiques pour le pays du Cèdre. « La présence du Hezb a fait du Liban un pays ennemi pour les pétromonarchies du Golfe et les États-Unis. Elle a mis le Liban dans un certain axe international qui n’est pas économiquement puissant et l’a précipité vers la catastrophe », estime Raphaël. En juin 2020, le leader du Hezbollah avait appelé le Liban à se tourner vers l’Est. Plus récemment, il a affirmé que l’Iran pourrait fournir des hydrocarbures au pays du Cèdre, alors que celui-ci traverse une grave crise en la matière. « Le sayyed a dit que nous pourrions acheter de l’essence en livres libanaises, alors pourquoi n’accepte-t-on pas ? » se demande Fatima*, 56 ans, qui semble ignorer que la République islamique est elle-même confrontée à de sévères difficultés économiques et que le Liban s’exposerait à des sanctions américaines s’il décidait d’importer du fioul iranien par la voie officielle. « Se tourner vers l’Est, c’est une catastrophe des points de vue culturel et économique. Par ailleurs, je ne vois pas l’intérêt de s’allier avec une théocratie chiite qui n’a pas grand-chose à offrir économiquement. Je n’ai pas envie de finir comme la Syrie, l’Irak ou Gaza », s’énerve Raphaël.
commentaires (13)
On commente et on écrit comme si Aoun et son gendre avait encore droit à la parole ! Quel honneur vous faites aux vassaux des suzerains !Tout ce que je sais c’est rendez nous notre pognon ! Car des réservations en compagnies de Jeff Bezos sur les vaisseaux spatiaux affrétés à coups de milliards sera votre seul échappatoire quoique …::y a t il aussi des places pour les héritiers et les héritières?
PROFIL BAS
16 h 01, le 27 juin 2021