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Nos Lecteurs ont la Parole

« Yalla, yalla »

Lorsque la guerre civile dévastait le pays de nos parents, « Yalla, yalla » était au sein de notre diaspora un code verbal de reconnaissance identitaire spontanée, le morse gestuel de Libanais déterminés à toujours se rassembler à travers ces deux mots pour mieux affronter tous leurs maux. Face à l’urgence, ces quatre syllabes avaient le pouvoir de transformer en un instant le cours du temps. Un temps mesuré à l’oriental, dont la dextérité des aiguilles échappait à tout Phileas Fogg. Il suffisait de mettre le ton pour bousculer tous les codes. Pour courir plus vite que le vent. Rattraper la lumière avant ses derniers rayons. Et accueillir la paix bien avant d’avoir effacé tout signe d’hostilité.

Depuis les années 80, pourtant loin des snipers, des obus et des voitures piégées, des millions de Libanais expatriés, désormais porteurs du « gêne de l’urgence », continuent de traverser le temps, les terres et les océans en mode « Yalla, yalla », un impératif imparfaitement présent... même au conditionnel.

Entre les rives de la guerre et celles de la paix, cette solidarité de langage sans frontières continue d’unir tous les Libanais. De Paris à Londres, de Toronto à Tokyo, de Dubaï à Rome, de Sydney à Ottawa, de New York à Accra, on entend encore aujourd’hui à la sortie des écoles, en plein embouteillage, au check-in d’un aéroport, le « Yalla, yalla » de notre répertoire commun. On se retourne et on devine l’origine de celui qui tente encore d’apprivoiser le chaos. À travers cette reconnaissance spontanée, se redessine ainsi la réminiscence d’une solidarité innée, construite par et contre l’urgence, en amont et en aval d’un « Yalla, yalla ». Quatre syllabes qu’il suffit d’entendre pour se sentir, même au bout du monde, embarqué dans le même bateau ; un bateau à bord duquel tant de Libanais sont certainement montés, hâtés par un « Yalla, yalla ». Un bateau dont ils ont probablement voulu sortir en espérant de tout leur cœur, « Yalla, yalla ».

Tous ayant été marqués à égalité du sceau de l’urgence, qu’elle soit directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, on aurait pu légitimement s’attendre à ce que les dirigeants du Liban se retrouvent également en mode « Yalla, yalla » pour endiguer les crises multidimensionnelles qui font sombrer le pays du Cèdre à la vitesse « yallaaa ». Des crises qui confrontent aujourd’hui les enfants du Liban à des occupants de plus en plus nombreux : au-delà du cercle traditionnel des « habitués », se trouvent le spectre de la famine, la précarité, l’insécurité et, surtout, encore et toujours... l’injustice. Oui, l’histoire se répète. Et il en va de même pour celle des drames humanitaires.

Alors que nous témoignons une fois de plus de ce passage en boucle, notre « Yalla, yalla » essaye lui aussi de rattraper le temps. Ce temps historique où tout se vit encore au ralenti, sauf la progression alarmante de la pauvreté, de l’impunité, du terrorisme et de l’anarchie. Ce temps auquel résistent des milliers d’humanitaires confrontés au blocage d’une aide internationale attendant encore, en mode « Yalla, yalla », des réformes. Oui... des « réformes » dont l’élaboration de toute urgence serait désormais, à elle seule, une véritable... révolution.

Aujourd’hui, les quatre syllabes de notre « Yalla, yalla » résonnent encore plus fort dans les cœurs de millions de Libanais espérant reconstruire le puzzle d’une démocratie qui semble, elle aussi, leur avoir été volée. Et même un jour, qui sait, le « plus beau pays du monde ». Celui que ses enfants ont appris à aimer pour le meilleur et pour le pire. Malgré les déchirures, les destructions et toutes leurs cicatrices. Parce que le cœur du Libanais semble avoir des raisons que la raison du reste du monde ne peut pas connaître. Un cœur qui réussit malgré le chaos à partager, à accueillir et à protéger, même lorsqu’il n’a plus rien à offrir. Un cœur qui s’efforce désormais de bousculer tous les cadrans, même à contre-courant, face à une terreur meurtrière qui lui est étrangère et qui s’acharne à faire détoner la misère à l’intérieur de ses frontières.

C’est ce cœur qui a toujours bouleversé les amis du Liban. Parmi eux, un ancien chef d’État aurait probablement jugé cette situation politique, économique et humanitaire tout simplement « abracadabrantesque »... à l’instar de cette indifférence subie comme une ultime souffrance. D’autres n’auraient pas hésité à rappeler l’impérieuse nécessité d’une application concrète et effective des résolutions du Conseil de sécurité permettant au Liban et à son armée de récupérer le contrôle exclusif de la sécurité de son territoire, au lieu de laisser certains l’affamer pour l’affaiblir... en toute impunité.

Dans l’ombre de ce « ground zero » juridique, deux mots pour répondre aux destructions massives liées à la prolifération d’armes illégales et à toute forme de corruption qui restent, elles, suffisamment alimentées. Ceux du peuple. Le 4 août dernier, il aura suffi de quelques minutes pour que les 4 syllabes de 7 millions de Libanais surpassent toutes les formes de haine fertilisées dans ce hangar numéro 12.

Portés par les réminiscences de toutes les guerres et une urgence humanitaire imperméable à tous les virus, politiques ou sanitaires, ces deux mots ont transcendé les M16, les FFD2 et les KN95 pour aider les enfants du Liban massivement attaqués sur tous les fronts. Des enfants une fois de plus injustement sanctionnés par de multiples blocages institutionnels qui marquent désormais le périmètre d’une poudrière globale et planétaire. Des enfants qui assistent impuissants depuis plusieurs mois à une cacophonie juridique où les plus grands de ce monde se renvoient la balle sans jamais l’attraper, privant ainsi les plus âgés d’entre eux du pouvoir de contrer de manière indépendante, libre et équitable la guerre d’usure qui leur a été injustement déclarée. Des enfants auxquels aucun dirigeant d’un système confessionnel n’a eu le courage de demander pardon depuis le 4 août dernier, y compris les plus croyants d’entre eux.

Aujourd’hui, plus de 10 mois après avoir été ciblés en plein cœur à la magnitude 3,3 par ceux qui tentent de détruire de manière indiscriminée les derniers bastions de la paix, de l’intégrité et de la sécurité au Moyen-Orient, les enfants du Liban, déjà à l’œuvre pour tenter une reconstruction massive, continuent d’interpeller les organisations internationales compétentes, interétatiques et non gouvernementales à l’aide de ces quatre syllabes. Elles, et elles seules. Pour encore trouver la capacité institutionnelle de lutter contrer l’injustice maladive, la dépossession abusive et l’insécurité massive qui déciment, jour après jour, l’unité, l’indépendance et la souveraineté du Liban. Elles, et elles seules. Parce que le combat, juste, pacifique et légitime des familles des victimes du 4 août, est celui de tous les Libanais, mais aussi et surtout celui de tous les garants au niveau international du maintien de la paix, de la protection de la dignité humaine et du respect des droits individuels. Oui... elles, et elles seules. Car au-delà de tous les décalages qui nous séparent, ces quatre syllabes portent encore en elles la volonté partagée de reconstruire une République fidèle au cèdre qu’elle a pour mission de représenter. Un cèdre qui recherche, du bout de toutes ses épines, la paix qui l’a enraciné dans le berceau des civilisations.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Lorsque la guerre civile dévastait le pays de nos parents, « Yalla, yalla » était au sein de notre diaspora un code verbal de reconnaissance identitaire spontanée, le morse gestuel de Libanais déterminés à toujours se rassembler à travers ces deux mots pour mieux affronter tous leurs maux. Face à l’urgence, ces quatre syllabes avaient le pouvoir de transformer en un instant...

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