Officiellement, l’Arabie saoudite est l’un des premiers pays à avoir affirmé son soutien au royaume hachémite de Jordanie après la tentative de déstabilisation du pays en avril dernier. Le roi Salmane d’Arabie saoudite et le prince héritier Mohammad ben Salmane (MBS) ont appelé le monarque jordanien pour l’assurer de leur solidarité et de leur soutien et le palais royal saoudien a fait part dans un tweet de « son appui total aux décisions et mesures prises par le roi Abdallah II et le prince héritier Hussein pour sauvegarder la sécurité et la stabilité ». Mais de récentes révélations sur les dessous de l’affaire invitent cependant à considérer sérieusement l’implication de l’Arabie saoudite dans ce qui est présenté comme une tentative de complot contre le roi de Jordanie préparé depuis plusieurs années par l’administration Trump avec l’aide de ses alliés saoudien et israélien.
Dans un article très remarqué du Washington Post datant de vendredi, le chroniqueur David Ignatius, qui a échangé avec plusieurs anciens et actuels responsables proches de l’administration Trump, révèle l’existence d’une campagne de pression américano-israélo-saoudienne sur la Jordanie au cours des trois dernières années ayant pour but de ternir la réputation du roi Abdallah II. Ces informations surviennent alors que le procès des deux anciens hauts responsables jordaniens accusés d’avoir participé à un complot lié au demi-frère du roi Abdallah II, le prince Hamza, doit s’ouvrir la semaine prochaine. L’ancien ministre et chef de la cour royale Bassem Awadallah et un membre de la famille royale, Sharif Hassan ben Zaid, sont accusés d’avoir sapé le système politique du royaume et d’actes menaçant la sécurité publique et semant la sédition, risquant ainsi jusqu’à 30 ans de prison.
« Deal du siècle »
Au cœur des révélations faites par le journaliste américain, le « deal du siècle » présenté par Donald Trump en janvier 2020. Selon une source américaine entretenant des liens étroits avec le roi de Jordanie, ce plan de paix au Proche-Orient avait pour objectif d’unir les États-Unis, Israël et l’Arabie saoudite, et pour ce faire, de saper la légitimité dont bénéficie le royaume hachémite à travers son rôle de gardien de la mosquée al-Aqsa de Jérusalem. Abdallah II avait en effet manifesté à plusieurs reprises son opposition au « deal », en indiquant qu’il ne souhaitait pas faire de concessions sur le statut de Jérusalem et sur d’autres mesures pouvant affecter les Palestiniens. Élaboré par le gendre du président américain de l’époque, Jared Kushner, le plan de paix prévoyait notamment de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël et l’annexion de certaines parties de la vallée du Jourdain en Cisjordanie occupée. Alors qu’Israël et les Émirats arabes unis (EAU) ont annoncé quelques mois plus tard la signature sous l’égide de Donald Trump d’un accord de normalisation connu sous le nom des accords d’Abraham, l’administration républicaine aurait cherché à obtenir un accord similaire avec l’Arabie saoudite.
Mais selon le Washington Post, lorsque Donald Trump est arrivé au pouvoir en 2017, le roi Abdallah II aurait craint que le pouvoir saoudien aux mains de MBS ne sape l’influence de la Jordanie. Aux yeux du président américain et de son gendre, le monarque aurait alors été perçu comme une entrave à ce processus de paix, confie un ancien responsable de la CIA. La récente tentative de déstabilisation du roi hachémite aurait véritablement eu pour but d’affaiblir sa position au profit d’une personnalité plus favorable à l’accord de normalisation entre l’Arabie saoudite et l’État hébreu. « Kushner essayait de redessiner la carte du Moyen-Orient et du “conflit israélo-arabe” selon ses termes. Pour cela, les Américains ont estimé que le roi Abdallah II était une pierre d’achoppement et que le prince Hamza serait accommodant, car il est plus proche des Saoudiens », commente As’ad Abukhalil, professeur à l’Université d’État de la Californie.
Selon un rapport d’enquête jordanien sur l’affaire obtenu par David Ignatius, les actions des comploteurs présumés « ne constituent pas un coup d’État au sens juridique et politique, mais il s’agissait d’une tentative de menacer la stabilité de la Jordanie et d’inciter à la sédition ». « Awadallah travaillait à promouvoir le “deal du siècle” et à affaiblir la position de la Jordanie et la position du roi sur la Palestine et la tutelle hachémite des lieux saints islamiques et chrétiens à Jérusalem », indique également le rapport.
L’ancien ministre et chef de la cour royale Bassem Awadallah, détenteur de la nationalité saoudienne, avait exercé la fonction d’envoyé spécial en Arabie saoudite et aurait depuis intégré le cercle proche de MBS. Selon un ancien responsable du renseignement américain ayant parlé au Washington Post, Awadallah aurait déclaré : « Le roi Abdallah utilise cela (al-Aqsa) pour nous indigner et garder son rôle au Moyen-Orient », avant d’ajouter : « MBS est contrarié parce qu’il ne peut pas obtenir un accord car il ne peut pas gérer les réactions des Palestiniens si le roi tient sa position sur Jérusalem. » Début avril, Riyad n’a d’ailleurs pas caché ses liens avec l’ancien envoyé spécial en Arabie saoudite.
Contact
« Quelques jours après que le complot a été déjoué et après que le prince Hamza a été placé en résidence surveillée, le ministre saoudien des Affaires étrangères, qui visite rarement la Jordanie, est venu à Amman où il a essayé de faire pression sur le roi personnellement afin de libérer Awadallah et de le ramener avec lui », observe As’ad Abukhalil. Le prince Hamza aurait quant à lui profité de ce complot orchestré par l’étranger pour espérer occuper des fonctions plus importantes au sein du royaume hachémite. Selon plusieurs observateurs, ce dernier n’aurait jamais pardonné à son demi-frère de lui avoir retiré le titre de prince héritier pour le donner à son propre fils. Plusieurs indices indiquent d’ailleurs que le prince Hamza aurait été en contact avec les deux responsables jordaniens visés par le procès. Selon des écoutes téléphoniques que s’est procurées début avril le Guardian, le prince échangeait régulièrement avec Sharif Hassan ben Zaid. Les deux hommes s’appelaient en effet « bro » et employaient un surnom pour évoquer Awadallah.
Alors que ces révélations discréditent le soutien officiellement apporté par le prince héritier saoudien à la Jordanie, ce dernier se trouve dans une position bien moins confortable aujourd’hui. « Sous Donald Trump, MBS était beaucoup plus aventureux. Il savait qu’il pouvait faire ce qu’il voulait car il n’y avait aucune pression du gouvernement américain, note As’ad Abukhalil. Avec Joe Biden à la Maison-Blanche, MBS doit se montrer davantage obéissant et ne rien faire sans l’autorisation des États-Unis. » En juillet, le roi de Jordanie sera le premier dirigeant arabe à rencontrer personnellement le nouveau président américain. Un message directement envoyé par Joe Biden au gouvernement saoudien, estiment certains observateurs. « L’ambassadeur saoudien en Jordanie, qui a rencontré le roi ce week-end, aurait insisté pour avoir une photo publique de la réunion. Cela peut se comprendre comme une réponse envoyée aux Américains, autrement dit : nous ne sommes plus impliqués dans aucun complot contre le roi », estime As’ad Abukhalil.
Le Royaume Hachemite n'est qu'une invention des Anglais. Un cadeau de consolation. Faut pas oublier l'Histoire!
14 h 32, le 15 juin 2021