Rechercher
Rechercher

Moyen-Orient - Éclairage

Priorités, défis et grandes inconnues : ce qui attend le nouveau gouvernement israélien

Le vote de confiance qui s’est tenu hier au Parlement clôt une période de crise qui s’était ouverte il y a plus de deux ans et consacre la formation d’un nouveau gouvernement mené par le duo Naftali Bennett-Yaïr Lapid.


Priorités, défis et grandes inconnues : ce qui attend le nouveau gouvernement israélien

Naftali Bennett, le Premier ministre désigné, et Yaïr Lapid, ministre désigné des Affaires étrangères, lors d’une session extraordinaire de la Knesset, réunie afin d’approuver un nouveau gouvernement de coalition, à Jérusalem, le 13 juin 2021. Ronen Zvulun/Reuters

Une page de l’histoire israélienne s’est-elle vraiment tournée hier avec le vote au Parlement d’un nouveau gouvernement, dit « du changement » ? C’est ce que semblaient penser les manifestants anti-Netanyahu, réunis samedi soir à Jérusalem devant la résidence officielle du Premier ministre sortant, afin de célébrer la fin d’une ère. C’est également ce qu’avancent une majorité d’observateurs, israéliens comme internationaux, qui considèrent la mise en échec de Benjamin Netanyahu, au pouvoir depuis 12 ans, et la fin du plus long règne de l’histoire du pays, comme la fin annoncée d’une séquence. Quel que soit le titre de ce nouveau chapitre.

L’événement clos certes une période de crise, qui s’était ouverte il y a plus de deux ans, marquée par une forte instabilité et l’incapacité à faire émerger une coalition gouvernementale, et qui s’était poursuivie avec le scrutin législatif du 23 mars dernier, le quatrième en deux ans. Le vote de confiance qui s’est tenu hier en fin de journée consacre donc le succès des négociations entreprises par le centriste et leader de l’opposition, Yaïr Lapid (Yesh Atid, « Il y a un avenir » ), qui est parvenu en quelques semaines à rassembler autour de lui une (très) fine majorité et à conclure un accord avec Naftali Bennett, chef du parti de la droite radicale, Yamina. Sur les 119 députés présents (sur 120 au Parlement), 60 ont voté en faveur de la nouvelle coalition. Cinquante-neuf députés, principalement du parti Likoud de Benjamin Netanyahu, de l’extrême droite et des partis ultra-orthodoxes, s’y sont opposés.

Pour mémoire

Le jour où Israël était suspendu aux voix arabes...


L’alliance marque la formation d’un gouvernement inédit à plus d’un égard. Selon l’accord d’alternance conclu entre Yamina et Yesh Atid, le nouvel exécutif sera mené jusqu’en 2023 par Naftali Bennett, un ancien représentant des colons qui se revendique de la droite ultranationaliste et ultralibérale, tout en accueillant en son sein le leader du parti de gauche, Meretz. Le nouvel exécutif sera également le premier de l’histoire à reposer sur le vote d’un parti arabe. Et contre toute attente, ce dernier ne sera pas issu de la gauche arabe en vogue depuis plusieurs années et représentée par Ayman Odeh, mais de la mouvance islamiste…

Les questions qui fâchent

Le ciment de ce vaste melting-pot ? Une sorte de gouvernance par consensus, portant sur les grandes priorités nationales: remettre l’économie et le corps social sur pied après 12 ans de « règne Netanyahu » et une pandémie qui ont laissé le pays affaibli, clivé et divisé. Il s’agirait par exemple de rétablir la séparation des pouvoirs et la confiance dans le système judiciaire, abîmé par les assauts répétés du Premier ministre sortant ; de mettre un terme à la culture politique distillée au cours de la dernière décennie, notamment en rétablissant le crédit politique de la classe dirigeante, entachée par les nombreux scandales de corruption; de se poser en gouvernement de rassemblement « pour toute la population: religieux, laïcs, ultra-orthodoxes, Arabes », ainsi que l’a promis Naftali Bennett ; ou encore de réhabiliter un système de santé ébranlé par la crise sanitaire. De ce point de vue, l’ampleur de la tâche semble suffisamment grande pour pouvoir mettre de côté, au moins pour un temps, les questions qui fâchent.

Lire aussi

Benjamin Netanyahu : la mise en échec du « roi d’Israël »

Mais les grandes premières, les accords de principe et les effets d’annonce ne suffiront pas à garantir le changement si d’autres éléments ne sont pas au rendez-vous. Avant même d’être intronisé, la fin programmée du nouvel exécutif avait déjà été annoncée depuis plusieurs semaines. Même s’il parvenait à déjouer les plans de Benjamin Netanyahu pour la faire éclater, la coalition parlementaire, réunissant deux partis de gauche, deux du centre, trois de droite et une formation arabe, serait en effet promise à l’implosion du fait de ses propres disparités idéologiques. Ce gouvernement-là, aussi imprévisible que vulnérable, n’aurait en effet de commun que son hostilité partagée contre le Premier ministre sortant, tandis que les désaccords fondamentaux sur les visions économiques, sociales ou de politiques étrangères le condamneraient à l’avance.

Qu’adviendra-t-il par exemple de cette coalition, qui a déjà engagé sa parole sur plusieurs dossiers sensibles, lorsque la question des financements en direction des villes arabes sera soulevée, celle de la sécurité dans les zones C en Cisjordanie, ou bien encore celle du droit des personnes LGBT, auquel le parti islamiste mené par Mansour Abbas s’est déjà opposé au point de quitter les rangs de la Liste unifiée en décembre 2020 ? Un seul élément, passé relativement inaperçu, pourrait néanmoins être le signe que Yaïr Lapid, Naftali Bennett et les autres leaders ont peut-être déjà anticipé ces défis: l’accord d’alternance prévoit en effet la chute du gouvernement si ce dernier ne parvient pas à adopter un budget dans les 100 premiers jours après sa prise de fonction.

Durcir la ligne

S’il parvient à survivre à cette première échéance, le gouvernement sera ensuite tiraillé entre l’impératif de préserver l’unité de la coalition, et donc de ménager les sensibilités des uns et des autres, et la nécessité de répondre aux accusations des adversaires politiques, notamment celles en provenance du Likoud. Le Premier ministre sortant qui, non seulement n’a aucune intention de sortir du champ de la caméra, a accusé la coalition d’avoir mené la gauche au pouvoir, dénonçant une « fausse droite », selon les mots de M. Netanyahu à la Knesset hier. Ce dernier y a également annoncé vouloir rester en politique, se posant en nouveau leader de l’opposition. « Nous allons faire tomber ce mauvais gouvernement et nous serons de retour pour diriger le pays à notre manière », a-t-il déclaré avant la tenue du vote de confiance. En brandissant la menace iranienne et en accusant un « gouvernement faible », Netanyahu continue de se poser en seul garant de la sécurité nationale, selon une formule déjà connue: « L’État, c’est moi. » Pour contrer ces accusations, et tout en prouvant à ses électeurs qu’il se distingue de son prédécesseur, le nouveau Premier ministre, lui-même issu des rangs du Likoud, pourrait être tenté de durcir sa ligne ou de refuser toute concession sur les grands dossiers comme le nucléaire iranien. C’est ce qui se dessinait déjà hier à la Knesset, lorsque Naftali Bennett a rappelé qu’il « ne laisserait pas l’Iran se doter de l’arme nucléaire ». Difficile d’imaginer, dans ces conditions, comment celui qui s’est fait remarquer par un discours populiste particulièrement accommodant à l’égard des extrémistes juifs sera celui qui parviendra à « inverser » le bilan de ces dernières années. Yaïr Lapid avait beau annoncer hier sur Twitter « le matin du changement », le nouveau gouvernement ne pourrait n’avoir de neuf que le nom.

Lire aussi

Naftali Bennett : figure incontournable du « camp nationaliste »

D’autant qu’un autre grand sujet à même de renverser la coalition est susceptible de réapparaître sans prévenir. Le nouveau gouvernement est jusqu’à présent resté relativement discret sur la question palestinienne. Mais il ne pourra pas faire l’autruche pendant longtemps. Depuis Gaza, le Hamas suit de très près les tensions qui se poursuivent à Jérusalem depuis le mois de mai jusqu’à aujourd’hui. Demain, une marche organisée par l’extrême droite israélienne à Jérusalem-Est, majoritairement palestinienne, sera une première illustration de ces défis qui attendent le gouvernement – ou plutôt qui ne l’attende pas. La possibilité d’un embrasement soudain, y compris à l’intérieur d’Israël, n’est désormais plus à exclure. Et en Cisjordanie, la fragilité de l’Autorité palestinienne et la colonisation galopante ont porté un coup fatal à une solution à deux États. Tôt ou tard, la coalition sera donc rattrapée par la réalité et contrainte de prendre position sur ces dossiers.

Une page de l’histoire israélienne s’est-elle vraiment tournée hier avec le vote au Parlement d’un nouveau gouvernement, dit « du changement » ? C’est ce que semblaient penser les manifestants anti-Netanyahu, réunis samedi soir à Jérusalem devant la résidence officielle du Premier ministre sortant, afin de célébrer la fin d’une ère. C’est également ce...

commentaires (1)

Le jeu de la democratie en Israel devrait nous rendre jaloux.

IMB a SPO

16 h 15, le 14 juin 2021

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Le jeu de la democratie en Israel devrait nous rendre jaloux.

    IMB a SPO

    16 h 15, le 14 juin 2021

Retour en haut