Le Conseil islamique chérié, haute instance sunnite au Liban, a apporté samedi son soutien appuyé "dans le cadre de la Constitution" au Premier ministre désigné, Saad Hariri, qui est en plein bras de fer portant sur la formation du gouvernement avec le le chef de l'Etat, Michel Aoun, et le parti qu'il a fondé, le Courant patriotique libre dirigé par Gebran Bassil.
Dans un communiqué acerbe publié à l'issue de sa réunion, à laquelle a participé M. Hariri, les dignitaires sunnites ont appelé les responsables politiques à "œuvrer avec le Premier ministre désigné pour former un gouvernement qui sauve le pays", soulignant leur appui aux initiatives de la France et du président de la Chambre, Nabih Berry, pour la formation du cabinet. Ils ont encore fait porter au camp aouniste, sans toutefois le nommer directement, la responsabilité du blocage, l'accusant de vouloir "inventer de nouveaux usages" pour former le cabinet et "mépriser" l'effondrement que connait actuellement le pays.
Le nouveau cabinet est attendu depuis dix mois. Le gouvernement de Hassane Diab avait démissionné le 10 août dernier, suite à la double explosion au port de Beyrouth. Après un premier essai infructueux de formation d'un cabinet "d'experts indépendants" par l'ambassadeur du Liban en Allemagne, Moustapha Adib, et la récusation de ce dernier, Saad Hariri avait été désigné en octobre pour reprendre le flambeau. L'impasse des tractations semble toutefois totale malgré les efforts menés, ces dernières semaines, par le président de la Chambre, Nabih Berry, qui avait proposé, de concert avec le leader druze Walid Joumblatt, une initiative basée sur un cabinet de 24 ministres (huit pour chaque grand pôle politique du pays) dans lequel aucune partie ne pourrait obtenir le tiers de blocage. Ce tiers de blocage et la nomination de deux ministres chrétiens flottants sont au cœur des tensions entre les protagonistes. La formation d'un nouveau cabinet est pourtant cruciale pour mener des réformes qui permettraient de débloquer des aides internationales, le pays s'enfonçant dans une crise socioéconomique et financière aigue, décrite par la Banque mondiale comme l'une des trois pires crises mondiales depuis la moitié du 19e siècle. Elle est marquée par une dépréciation rapide de la livre libanaise et donc une inflation galopante, ce qui a poussé plus de la moitié du pays sous le seuil de pauvreté. Ces dernières semaines, l'effondrement systématique de toutes les institutions du pays et la fonte rapide des réserves en devises de la Banque du Liban (BDL), qui doit normalement subventionner les importations de produits essentiels, ont provoqué d'importantes pénuries de médicaments, de matériel médical et d'essence, ainsi qu'un rationnement toujours plus sévère de l'électricité, qui aggravent chaque jour un peu plus les souffrances et humiliations subies par les Libanais.
Au début de la réunion du Conseil chérié, Saad Hariri a tenu ses membres au fait des "obstacles" auxquels il doit faire face dans les tractations et des "dispositions qu'il a prises" pour franchir ces obstacles "dans l'intérêt de la nation", selon le communiqué officiel de la réunion publié par Dar el-Fatwa. Dans ce contexte, le Conseil chérié a déploré "deux phénomènes dangereux" qui poussent le Liban "au bord de l'abîme" : l'écroulement rapide du pays, d'un point de vue social, politique, financier et économique et "l'indifférence, voire le mépris, et la confusion" des dirigeants. "Le Liban est comme un bateau délabré en pleine tempête, dont le capitaine et les marins tiennent des débats stériles sur l'appartenance des ministres et leurs affiliations", a critiqué l'instance sunnite. "Le navire est sur le point de sombrer et certains de ces responsables (ou en tout cas, ces personnalités qui devraient être responsables) ne sourcillent même pas et ne font preuve d'aucune conscience nationale ou humaine", a-t-elle ajouté, accusant, sans les nommer, ces dirigeants de "narcissisme délirant". "Ils refusent de saisir les mains qui leur sont tendues".
Les prérogatives du PM désigné
"Nous ne permettons, sous aucun prétexte, que l'on touche aux prérogatives du Premier ministre désigné, et refusons toute tentative de recourir à de nouveaux usages relatifs à la Constitution ou à Taëf", a ajouté le Conseil qui a dès lors apporté "son soutien au Premier ministre désigné et à ses prérogatives, dans le cadre de la Constitution, elle-même issue du Pacte d'entente nationale". Il a encore fait porter la responsabilité du retard dans la formation du cabinet à "ceux qui essaient de créer de nouvelles façons de faire qui visent à annuler le contenu de cette entente nationale, qui est pourtant l'objet d'un consensus de la part de tous les dirigeants libanais qui tiennent à l'indépendance, l'unité, la souveraineté et l'arabité du Liban". Les dignitaires sunnites ont également dit soutenir les initiatives présentées par la France et par le chef du Parlement, Nabih Berry, pour la mise sur pied du cabinet, disant espérer qu'elles "portent leurs fruits" et appelant les responsables politiques à "œuvrer avec le Premier ministre désigné pour former un gouvernement qui sauve le pays".
Dénonçant un "écroulement catastrophique", ils ont encore accusé ces "responsables" d'avoir "transformé le Liban prospère en un Etat failli et la dignité nationale en humiliations devant les stations-service, les pharmacies et les boulangeries".
La réunion du Conseil avait été précédée d'un aparté entre le mufti de la République, le cheikh Abdellatif Deriane, et M. Hariri. Les deux hommes avaient discuté des "derniers développements politiques et de la situation générale" dans le pays et notamment de la formation du gouvernement, indique le bureau de presse de Saad Hariri dans un bref communiqué. A son départ de Dar el-Fatwa, le leader du courant du Futur avait ensuite déclaré que "le pays s'effondre économiquement et socialement et, avec le mufti Deriane, nous gardons l'œil sur le pays. C'est tout ce qui nous importe et c'est de ça que le Conseil islamique chérié a discuté".
Dans la soirée, M. Hariri s'est entretenu avec les anciens Premiers ministres Fouad Siniora, Tammam Salam et Nagib Mikati à la Maison du Centre. Les anciens présidents du Conseil ont discuté de la situation politique et de la mise sur pied du cabinet.
commentaires (13)
Pauvre LIBAN et pauvres Libanaises et Libanais. Toute la classe politique, avec elle tous les religieux qui ne veulent que garder leurs avantages financiers et leur siège. C’est vraiment malheureux de voir la population libanaise passe son temps à voir comment procurer du lait pour les enfants, ou bien un litre d’essence. Sans parler du courant électrique. Cette classe politique, avec le (président) de la BDL, à qui personne n’ose touchés. Pour pouvoir faire et changer quelque chose au Liban, il faut que les Libanais pour une fois oublient leur dépendance religieux.
Elias
20 h 10, le 13 juin 2021