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Nos Lecteurs ont la Parole

Le chef de l’État au Liban ou la genèse de l’article 49

Nombre d’amendements constitutionnels, en vertu de l’accord d’entente nationale de Taëf du 5 novembre 1989 et les révisions de 21 septembre 1990, n’ont pas été intégrés dans la culture constitutionnelle et plus généralement politique au Liban. Parmi ces amendements, il y a ceux à caractères plutôt général et culturel qui ne relèvent pas directement des techniques juridiques formelles. Il s’agit, entre autres, du préambule de la Constitution amendée et du nouvel alinéa introductif à l’article 49 concernant « le chef de l’État ».

On sait que l’article 49 a subi dans l’histoire constitutionnelle plus de cinq amendements partiels et souvent formels, de 1927 à 1989, avant le dernier amendement du 21 septembre 1990 qui ajoute la disposition suivante au début de cet article :

« Le président de la République est le chef de l’État et le symbole de l’unité du pays. Il veille au respect de la Constitution, à la sauvegarde de l’indépendance du Liban, à son unité et à l’intégrité de son territoire conformément aux termes de la Constitution (…) »

Des palabres se poursuivent à l’ancienne concernant le chef de l’État.

Le 11e round des pourparlers libano-syriens (18 janvier-26 mars 1987) tendait à créer de nouveaux postes en faveur de la communauté chiite. Il s’agit là, tout comme dans l’accord tripartite de Damas du 28 décembre 1985, d’une confessionnalisation supplémentaire du système au nom du changement, de manière à le plafonner davantage et le rendre plus rigide. C’est la genèse de l’article 49 de la Constitution qui exprime la fonction suprême du chef de l’État.

Les artifices de l’équilibrage

Pour équilibrer le système de manière à satisfaire les communautés chiite et druze, les artifices juridiques suivants ont été avancés au cours des négociations libano-syriennes :

A - En ce qui concerne le Conseil des ministres et l’équilibrage maronite-sunnite :

1. La limitation du vote en Conseil des ministres aux ministres, à l’exclusion du président maronite de la République (8 mars 1987).

2. La réunion du Conseil des ministres sous la présidence du chef sunnite du gouvernement, avec l’exigence d’une majorité qualifiée pour les décisions (15 février).

3. La distinction entre deux types de Conseil des ministres, celui présidé par le président maronite de la République et qui décide de certaines affaires importantes dont la nature est à déterminer, et celui présidé par le chef sunnite du gouvernement. Des objections ont été formulées à l’encontre de cette proposition : il y a là une source de conflit sur la qualification juridique des projets et sur l’instance habilitée à régler le conflit (15 mars).

4. La réunion du gouvernement sous la forme d’un conseil de cabinet et sous la présidence du ministre orthodoxe le plus âgé, une fois par semaine. Les projets de décrets sont transmis au président de la République et au chef du gouvernement pour approbation (7 avril).

5. L’élection du chef sunnite du gouvernement par la Chambre, ce qui accroît l’influence du chef chiite de l’Assemblée et réduit l’influence présumée du président maronite de la République dans cette désignation (10 mars).

6. La création de six portefeuilles de ministres d’État pour six grandes communautés (maronite, sunnite, chiite, druze, grecque-catholique et grecque-orthodoxe), la communauté arménienne étant souvent exclue. Ces six ministres d’État forment un conseil qui statue sur les affaires importantes. En cas de conflit, ces affaires sont transmises au Conseil des ministres (3 février).

7. L’équilibrage par les bâtiments grâce à la réunion du Conseil des ministres au Sérail, siège de la présidence sunnite du gouvernement et non pas au palais de Baabda, siège de la présidence maronite de la République, de sorte que le Conseil des ministres ait un bâtiment indépendant avec des fonctionnaires qui en relèvent directement (2 avril).

B – En ce qui concerne la communauté chiite :

8. La création d’une vice-présidence chiite de la République, proposition timidement avancée (18 janvier 1987).

9. L’affectation d’une vice-présidence du gouvernement à la communauté chiite (18 janvier).

10. La prorogation de la durée du mandat du président chiite de la Chambre pour 4 ans afin d’équilibrer par la durée le décalage tel que perçu au niveau des postes et des attributions. Cette proposition s’est heurtée à l’objection que chaque mandat présidentiel a connu en pratique le même chef du législatif.

11. La signature par le président chiite de la Chambre des décrets relatifs à la nomination du chef du gouvernement et à la formation du cabinet. Cette proposition a été critiquée parce qu’elle enfreint le principe de la séparation des pouvoirs exécutif et législatif (8 février).

12. La désignation du président chiite de la Chambre en tant que membre du Conseil supérieur de la défense (9 février).

13. L’affection permanente du portefeuille ministériel des Finances à un chiite dont le contreseing est exigé pour la promulgation des lois et décrets cosignés par le président de la République et le chef du gouvernement. Cette proposition aurait été refusée par le ministre chiite, Nabih Berry, qui réclame une participation plus effective au sein du Conseil-même des ministres (20 janvier et 9 février).

C – En ce qui concerne la communauté druze :

14. La création d’un Sénat dont la présidence serait confiée à un druze (17 février 1987).

Après l’accord tripartite de Damas (18/12/1985), la médiation diplomatique allemande-européenne-vaticane (24/9 au 3/10/1986) à laquelle j’ai participé apporte un éclairage sur le dilemme, tout à fait nouveau en droit constitutionnel comparé et dans des régimes parlementaires pluralistes : celui de la conciliation entre partage du pouvoir (power sharing) et séparation des pouvoirs.

Il avait été question d’ouvrir partiellement les trois plus hautes charges afin de sortir de la quadrature du cercle et éviter que le chef de l’État soit l’homme de Baabda ou président honoraire ! Edmond Rizk, qui a participé à Taëf, dit que des légalistes n’ont pas mesuré la portée de l’article 49 nouveau en vue de libérer le sommet de l’État des rapports de pouvoirs et de partage de prébendes. En présentant la genèse historique de l’article 49 au cours d’un séminaire, il me dit : « Tel est le but. Si on l’avait expliqué de la sorte, certains l’auraient refusé ! »

D’aucuns disent que l’article 49, ce n’est rien ! Cela découle de l’aveuglement des Libanais, dupes ou manipulés, et du brouillard dans la psychologie historique sur ce que signifie État. Il est honteux, aberrant, irresponsable, qu’un chef d’État, dans n’importe quel État au monde, dise : « Quelles sont mes salâhiyyât (attributions) ? Un directeur d’école se demande-t-il quelles sont ses attributions ? Son rôle est d’assurer le fonctionnement et la marche de l’école. Le président d’un conseil d’administration ou le directeur d’une société se demande-t-il : quelles sont mes attributions ? Sa fonction est que l’entreprise marche ! Le chef de l’État au Liban est au-dessus des salâhiyyât ! Dans le « style », suivant l’expression de Georges Naccache, donc du président Fouad Chéhab.

Je ne me suis jamais demandé, à mon modeste niveau : quelles sont mes attributions, mais quelle est ma responsabilité ? La loi n’est pas une couverture pour se déresponsabiliser, mais exhortation à l’exercice de la responsabilité à tous les niveaux ! Nous ne sommes pas face à un problème de salâhiyyât, mais d’irresponsabilité, de sociopathie !

Antoine MESSARRA

Ancien membre du Conseil constitutionnel

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