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La souveraineté d’abord, les réformes constitutionnelles ensuite

La souveraineté d’abord, les réformes constitutionnelles ensuite

D.R.

L’importance du nouvel ouvrage de Nawaf Salam réside dans son approche globale et le diagnostic précis et scientifique auquel il se livre, le tout avec une vocation d’éducateur et de passeur de culture.

Salam a raison sur la majorité de ses observations et sur les dix propositions qu’il avance pour remédier aux failles constitutionnelles, avec un bémol sur la loi électorale, dont l’objectif ne saurait uniquement être la saine représentation, mais qui devrait également permettre l’émergence d’une majorité confortable capable de légiférer et de contrôler l’action de l’exécutif.

Il est vrai, comme le dit l’auteur, que l’accord de Taëf a été le résultat de nombreux facteurs et documents préalables et le fruit d’une lutte sur les prérogatives entre les différentes parties, chacune tentant d’arracher des points au profit de son camp et de sa communauté. Ce n’est pas pour rien que Hassan Rifaï s’était abstenu d’avaliser les résolutions à Taëf, réclamant que de grands juristes et magistrats libanais soient convoqués pour formuler les amendements afin que cela ne soit pas l’œuvre des députés eux-mêmes. Du reste, il convient de rappeler que certaines idées en provenance essentiellement de l’infâme accord tripartite de 1985 entre les milices libanaises belligérantes sous le patronage étroit de Hafez el-Assad ont été parachutées dans les résolutions de Taëf et le texte constitutionnel qui en a émané.

Les propositions de réformes de Nawaf Salam devraient donner lieu à une table ronde sur les moyens d’amender et d’améliorer la Constitution. Cependant, ce débat, autrement fondamental, reste pour l’heure impossible. Car toute analyse portant sur le régime politique et l’organisation des pouvoirs, toute énumération des failles constitutionnelles à rectifier suppose d’abord que l’État puisse établir sa pleine autorité sur son territoire. Or l’arsenal du Hezbollah, les liens de ce parti armé avec un projet régional, son hégémonie sur la décision de la guerre, son aventurisme martial hors des frontières libanaises, constituent des obstacles principaux à toute convalescence d’un Liban dépossédé de sa souveraineté.

Qui plus est, une partie des Libanais s’acharne à assurer une couverture aux armes du Hezbollah aux dépens de la souveraineté et de l’intérêt du pays. Le délaissement par le président de la République de son rôle d’arbitre, les slogans sectaires et racistes de ses partisans, leurs efforts pour consolider une alliance des minorités dans la région et l’occultation, la dénaturation et le sabotage permanents de la Constitution sont autant de facteurs qui contribuent également à empêcher l’État d’émerger. Jamais la scène politique libanaise, accaparée par une classe politique corrompue dont le seul souci est de se maintenir au pouvoir par le biais d’une rhétorique sectaire et sans aucun égard pour l’intérêt général, n’a autant manqué d’hommes d’État. La révolution paraît de son côté éparse, incapable de s’entendre sur un socle de principes communs.

Le Liban se trouve donc aux prises avec une crise de souveraineté, pas de système politique, d’articles constitutionnels ou de répartition de prérogatives. Le blocage de l’échéance présidentielle et du Parlement n’avait rien à voir avec la Constitution, pas plus que l’avènement d’une majorité de députés acquise au projet iranien, selon les propos de Kassem Suleimani.

Notre crise existentielle n’est pas liée à l’âge du vote, la participation de la femme, la décentralisation administrative, la loi sur l’indépendance du pouvoir judiciaire, le retard dans la création du Sénat, ou encore à l’élaboration de tel ou tel article constitutionnel, même si toutes ces revendications sont justes. Elle est liée à la diffusion de conceptions erronées. La Constitution de Taëf n’a par exemple pas privé le président de la République de ses prérogatives ; elle a introduit certains usages parlementaires dans le texte pour instaurer des garde-fous à certaines pratiques excessives de plus d’un président de la République avant Taëf. Le rôle du président dans le régime parlementaire est celui d’un arbitre ; il n’est pas le représentant des droits d’une partie des Libanais. Le concept de cabinet d’union nationale comme nécessité après Taëf est une erreur, du reste préméditée et forcée. La répartition des postes de première catégorie, des portefeuilles ministériels et des sièges parlementaires entre les communautés n’est pas le problème de fond. C’est leur répartition entre les princes des communautés et leur clientèle, ainsi que la suprématie des discours de surenchère identitaire et des pratiques corrompues à l’ombre du silence quasi complice des hommes de religions, qui constituent le cœur de la dérive. Quant au triptyque « armée-peuple-résistance », il s’agit d’une aberration. Qu’en serait-il alors lorsque l’État se retrouve investi par ceux-là mêmes qui brandissent le slogan de la « résistance »… ?

« Le champ du possible est bien plus vaste que les hommes qui vivent dans chaque société ne se l’imaginent », écrit Montesquieu, cité par Nawaf Salam. Sans aucun doute. Mais il doit immanquablement commencer par la reconquête aussi bien de la liberté constitutive de la personne humaine que de l’État et, partant, de la souveraineté. Tant que cela reste impossible, la volonté de réforme restera pour toujours prisonnière de tous les vices et de toutes les vicissitudes.


L’importance du nouvel ouvrage de Nawaf Salam réside dans son approche globale et le diagnostic précis et scientifique auquel il se livre, le tout avec une vocation d’éducateur et de passeur de culture. Salam a raison sur la majorité de ses observations et sur les dix propositions qu’il avance pour remédier aux failles constitutionnelles, avec un bémol sur la loi...

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