Maintenant que le torchon brûle entre la présidence de la République et le courant du Futur, par communiqués interposés annonciateurs d’une impossibilité pour Saad Hariri de former un nouveau gouvernement dans de telles circonstances, les yeux se tournent vers le Parlement.
Les proches du chef de l’État avaient laissé entendre que ce dernier étudiait plusieurs options pour pousser le Premier ministre désigné à former un gouvernement au plus vite, mais les derniers développements montrent qu’elles semblent toutes inefficaces, car les deux parties concernées ne semblent pas prêtes à s’entendre sur une formule précise, utilisant chacune de son côté des termes violents, sans doute pour dissimuler leur impuissance à faire bouger les choses.
Dans ce contexte de blocage quasiment total, il ne reste plus qu’une option : pousser vers un dissolution du Parlement pour mélanger toutes les cartes politiques et modifier les priorités du pays. Il deviendra ainsi prioritaire de reconstituer tous les pouvoirs, en commençant par le législatif qui est, selon la Constitution, la source de tous les autres, puisqu’il représente le peuple. Le plus étrange dans cette option, c’est qu’aussi bien le courant du Futur que le Courant patriotique libre (CPL) y songent sérieusement. Pourtant, dans l’optique de chacune d’elles, il s’agit de coincer l’autre. Les milieux proches du courant du Futur évoquent ainsi la possibilité pour Saad Hariri de renoncer à former le gouvernement et de demander aux 17 membres de son bloc parlementaire de démissionner pour créer une vacance politique totale et pousser vers de nouvelles législatives qui aboutiraient à une réduction significative du bloc du Liban fort. De son côté, le CPL envisage sérieusement de jeter la balle politique au Parlement pour contourner le blocage de Saad Hariri dans le dossier gouvernemental. Face à l’impossibilité constitutionnelle de le contraindre à renoncer à la mission de former un gouvernement et après le retrait de la prérogative de dissoudre le Parlement que le chef de l’État possédait avant Taëf (pour rappel, Michel Aoun l’avait utilisée en tant que Premier ministre d’un gouvernement de transition en 1989), seule la démission du Parlement peut retirer de facto le mandat donné au président du Conseil désigné pour former un gouvernement.
Dans ce contexte, deux options sont étudiées, la première étant la présentation d’une proposition de loi qui réduit le mandat du Parlement actuel (qui expire en principe le 20 mai 2022) et pousse ainsi vers l’organisation d’élections législatives anticipées. La seconde option est de présenter une démission collective des membres du bloc du Liban Fort. Cette option repose sur une décision similaire des membres du bloc de la République forte (les Forces libanaises, FL) pour créer un problème consensuel au Parlement, avec la démission des deux grands blocs chrétiens. Ce qui devrait aboutir à la dissolution de facto du Parlement.
Un succès pas garanti
Mais dans tous ces scénarios, le succès n’est pas garanti et l’objectif déclaré pourrait ne pas être atteint. Les 8 députés qui ont démissionné du Parlement dans la foulée du mouvement populaire de protestation déclenché le 17 octobre 2019 en ont fait l’expérience. Ils voulaient que leur démission collective ait l’effet d’un coup de fouet adressé à la classe politique. Sauf qu’elle n’a pas changé grand-chose sur le plan concret, même si elle a eu un impact moral. Le Parlement a continué à se réunir et à légiférer malgré l’absence de ces députés et de deux autres qui sont décédés.
En effet, selon la loi libanaise, le Parlement est considéré comme démissionnaire lorsque la moitié plus un de ses membres (65 députés) présentent leur démission. Or si les députés du courant du Futur prennent ce chemin, ils sont loin d’atteindre ce chiffre, même si on leur ajoute les dix qui sont déjà partis. Même chose pour le bloc du Liban fort. Ce dernier mise sur la réclamation par les Forces libanaises de l’organisation d’élections législatives anticipées pour que les 15 députés du bloc de la République forte démissionnent à leur tour avec ceux du bloc du Liban fort. Mais même si les députés des deux blocs chrétiens démissionnent, ce qui n’est pas sûr puisque les relations entre les deux blocs ne sont pas au beau fixe, on sera encore loin du compte et le Parlement ne sera pas considéré comme démissionnaire de facto. C’est pourquoi les deux blocs chrétiens pourraient alors invoquer une faille confessionnelle dans la représentation communautaire au Parlement pour pousser celui-ci vers la démission.
Mais ce sujet est particulièrement délicat. Il ouvre la voie à de multiples interprétations et il peut même susciter une polémique qui pourrait aiguiser les clivages dans la situation actuelle du pays. De fait, si la Constitution précise clairement que toutes les communautés doivent être représentées au sein du gouvernement et si les sièges parlementaires sont partagés équitablement entre chrétiens et musulmans, elle ne donne aucune précision sur le moment à partir duquel on peut considérer qu’il y a une lacune dans la représentation communautaire. En 1994, par exemple, lorsque les principales parties politiques chrétiennes ont boycotté les élections législatives, celles-ci n’ont pas été annulées. Certains députés chrétiens ont été élus avec un nombre dérisoire de voix et leur élection a quand même été validée. Plus tard, en novembre 2006, lorsque les ministres chiites (en plus de Yaacoub Sarraf) ont démissionné du gouvernement présidé par Fouad Siniora, celui-ci est resté en place en dépit du fait que toute une communauté n’y était plus représentée.
Plus tard, le président de la Chambre s’est fait le champion du principe de la nécessité de représenter toutes les communautés au sein de tous les pouvoirs. Mais la question qui divise est la suivante : faut-il une représentation confessionnelle ou politique ? Si les députés CPL et FL démissionnent alors que ceux du parti Kataëb l’ont déjà fait, considérera-t-on que la représentation chrétienne au Parlement n’est pas assurée, alors qu’il y aura encore les députés du bloc des Marada et certains chrétiens indépendants ? D’ailleurs, l’un des objectifs de la loi électorale adoptée in extremis en 2018 était justement de ne plus permettre à un seul parti d’être l’unique représentant d’une communauté. C’est ainsi qu’Amal et que le Hezbollah se partagent la représentation des chiites, le Parti socialiste progressiste et le Parti démocratique libanais (avec toutefois des proportions différentes) se partagent la représentation des druzes, la Rencontre consultative et le courant du Futur, en plus de quelques indépendants, se partagent la représentation sunnite et plusieurs partis représentent les chrétiens.
La question de la représentation communautaire est donc plus compliquée qu’il n’y paraît et de plus en plus de voix s’élèvent pour estimer que le moment n’est pas propice à l’ouverture d’un tel débat, alors que les positions politiques sont radicalisées et que les Libanais n’en finissent plus de se débattre dans de multiples crises.
commentaires (7)
Quelle salade russe ......
Eleni Caridopoulou
22 h 19, le 03 juin 2021