La stratégie de Recep Tayyip Erdogan est bien connue. Lorsque son soutien s’érode, l’un de ses adversaires politiques se trouve subitement devant la justice. Cela n’a pas manqué pour Ekrem İmamoğlu, maire d’Istanbul et opposant de taille au reis turc. Accusé d’avoir insulté des hauts fonctionnaires lors d’un discours prononcé après l’annulation du premier tour des élections municipales de mars 2019 qu’il avait remportées à une courte majorité, Ekrem İmamoğlu encourt depuis vendredi jusqu’à quatre ans et un mois de prison. « Erdogan prépare le terrain pour décrédibiliser un rival dangereux, alors que tous les sondages d’opinion montrent que les maires d’Istanbul et d’Ankara seraient largement gagnants » si la présidentielle de 2023 avait lieu aujourd’hui, observe Ahmet Insel, professeur à l’université Paris 1 Panthéon-La Sorbonne et à l’Université de Galatasaray à Istanbul. « Le président a déjà fait le vide dans son parti depuis une quinzaine d’années : très collégial, l’AKP est devenu un parti centré autour de la personnalité d’Erdogan. Il étend maintenant cette stratégie à tous ses rivaux politiques », ajoute le spécialiste.
Baisse de soutien
Selon une étude publiée début mai par l’institut de sondage Istanbul Economic, 52,5 % des électeurs choisiraient le maire d’Ankara, Mansur Yavaş, contre 38,1 % pour Recep Tayyip Erdogan lors d’un second tour présidentiel. Ekrem Imamoğlu recueillerait quant à lui 51,4 % des voix contre 39,9 % pour le président sortant, indique l’enquête menée auprès de 1 506 personnes dans 12 des 81 provinces turques. Issu du principal parti d’opposition au reis, le CHP (social-démocrate), M. Imamoglu avait été réélu avec une avance bien plus conséquente de 800 000 voix lors des nouvelles élections municipales, mettant fin à 25 ans de règne de l’AKP à Istanbul. « La défaite d’Istanbul était symboliquement très grave pour Erdogan, qui avait lui-même remporté cette mairie en 1994, lançant sa carrière au niveau national. Mais l’AKP a également perdu lors de ce scrutin une source de financement et de clientélisme très importante par le biais des marchés publics et de l’utilisation des moyens municipaux », commente Ahmet Insel.
De récents sondages montrent également l’érosion du soutien accordé à l’AKP. Selon une enquête publiée en avril par la société Metropoll, le parti au pouvoir jouit d’une popularité de 27 %, soit une baisse de 33 % par rapport à juin 2018. Ces chiffres interviennent dans un contexte de grogne croissante à l’égard de la gestion de l’économie aux mains du gouvernement. L’AKP est ainsi accusé d’avoir vidé les caisses de la banque centrale à cause de politiques infructueuses. Depuis 2018, l’inflation s’est accrue – alors que son taux est d’environ 15 % par an – ainsi que le chômage qui avoisine les 13 % pour l’ensemble de la population et 25 % chez les moins de 24 ans. Vendredi, la devise turque est tombée à 8,61 lires pour un dollar, soit son niveau le plus bas en 10 ans, après de nouveaux changements de postes à la banque centrale de la Turquie.
La situation s’est aggravée avec les conséquences économiques de la pandémie de Covid-19. « Du point de vue de l’opinion publique, le gouvernement est perçu comme victorieux dans la lutte contre les aspects sanitaires de la pandémie, alors que les infrastructures médicales et le personnel soignant se sont révélés être efficaces », explique Sinan Ulgen, spécialiste des affaires internationales turques au Carnegie Europe à Bruxelles. « Le gouvernement a en revanche beaucoup moins réussi à contenir la propagation du virus en raison d’une mise en œuvre désordonnée des politiques mais surtout, sur le plan économique, à soutenir les entreprises et les ménages qui en avaient besoin », poursuit ce dernier.
Si le gouvernement s’attire également les critiques, c’est qu’il paraît exempté des règles de distanciation sociale imposées à la population. Ainsi, des congrès de masse du parti organisés dans tout le pays ont largement été pointés du doigt par les partis d’opposition. Le président lui-même ne cesse d’irriter la population qui l’accuse de mener une politique clientéliste. « Il y a de plus en plus de favoritisme autour de cinq, six groupes industriels qui raflent la très grande majorité des marchés publics. Même des membres du parti se sentent exclus de ce partage du gâteau, ce qui crée un mécontentement au sein de l’AKP et en général », note Ahmet Insel.
Feuilleton
Au-delà des raisons économiques, les accusations portées depuis plusieurs semaines par le chef mafieux exilé aux Émirats arabes unis Sedat Peker, ayant côtoyé de nombreux représentants de l’État, affaiblissent davantage l’AKP et son président. Le quinquagénaire, passé par la case prison plus d’une fois, apparaît sur YouTube une fois par semaine pour y accuser des membres du gouvernement ou des proches du pouvoir d’être liés à des trafics de drogue, d’avoir utilisé la justice à des fins personnelles ou encore, dernière révélation en date, d’avoir livré des armes au Front al-Nosra en Syrie pour le compte d’une société privée fondée par le conseiller militaire du président jusqu’en janvier 2020. Le ministre de l’Intérieur est notamment accusé d’avoir fourni au chef mafieux des informations sur une enquête le visant et de lui avoir demandé son aide afin de vaincre un groupe rival au parti de l’AKP. Suivis par des milliers d’internautes, ces épisodes conçus comme un feuilleton – M. Peker en a d’ailleurs promis 12 – n’ont pas manqué de créer des débats dans l’opinion.
« Le pays est secoué par les aveux de Peker. Le gouvernement a été choqué et n’a pas pu répondre aux accusations », déclare Ozgun Emre Koç, étudiant à Istanbul. « Pour l’instant, le gouvernement attend que l’onde de choc cesse silencieusement. Bien qu’Erdogan essaie de rester fort et d’avoir l’air confiant, les accusations ont causé beaucoup de tort à l’égard de son gouvernement », estime le jeune homme. Alors que Sedat Peker a fait partie des réseaux criminels qu’il dénonce et a avoué certains crimes, de nombreux Turcs estiment que ces accusations sont des preuves à l’appui d’accusations portées par certains depuis longtemps.
De leur côté, le président ainsi que son ministre de l’Intérieur ont dénoncé un complot les visant. « Nous ne savons pas encore quelle sera l’ampleur de l’impact politique de ces accusations, alors que le président les a jusqu’à présent niées en bloc et qu’aucune procédure juridique n’a été ouverte », nuance Sinan Ulgen.
SON DESTIN C,EST CELUI DE TOUS LES DESPOTES A L,APPRENTI MINI SULTAN OTTOMAN ERDO.
14 h 57, le 01 juin 2021