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Société - Social

La misère sous une tente, aux portes de Saïda


Handicapé depuis un accident de travail, Mohammad Abaza survit dans une précarité totale en bord de mer, victime de la négligence et de la méchanceté, ignoré de la plupart, sans aucune aide ou assistance, mais bénéficiant parfois de la bonté de quelques-uns.

La misère sous une tente, aux portes de Saïda

Mohammad Abaza, qui a perdu l’usage de ses jambes, s’aide de ses mains pour ramper sur le sol recouvert de cartons, jusqu’à se hisser sur sa chaise roulante, en piètre état. Photo Mohammad Yassine

Des milliers de voitures défilent chaque jour devant le barrage de l’armée sur le fleuve Awali à l’entrée de la ville de Saïda au Liban-Sud, mais leurs occupants qui vaquent à leurs occupations quotidiennes sont loin de se douter que tout près, à l’endroit même d’un ancien restaurant de funeste mémoire, se trouve une tente de fortune qui abrite tant bien que mal un homme handicapé malmené par la vie, par certains sadiques et goujats, oublié de (presque) tous.

Dans l’abri aléatoire de Mohammad Abaza, un Syrien de 54 ans, flotte une odeur âcre de pourriture due à l’eau stagnante qui s’y invite régulièrement. L’homme a perdu l’usage de ses jambes et bouge lentement son corps sous la couverture, s’aidant de ses mains pour ramper sur le sol recouvert de cartons jusqu’à se hisser sur une chaise roulante en piètre état. Des gestes bien rodés que cet ancien ouvrier, qui ne bénéficie d’aucune assistance ni d’aucune aide, répète inlassablement chaque matin. Le soleil est à peine levé, mais la toile grossière de la tente ne prémunit ni de la vive fraîcheur ni des bruits de la route toute proche.

Pour faire tenir la tente, Mohammad a dressé des branches mortes fichées dans le sol. Dans les coins, des galons d’eau en plastique remplis de galets provenant de la plage l’empêchent de s’envoler à la moindre brise. Le lit est une superposition de briques, et des ustensiles en tôle traînent ici et là, dans un semblant de vie normale. Des bûches sont entreposées dans un coin, comme pour donner l’illusion de la chaleur d’un foyer.

Mohammad Abaza est arrivé au Liban en 2012, fuyant la guerre en Syrie. Alors en parfaite santé et muni de papiers en règle, il s’est fait embaucher sur un chantier et assurait parfaitement sa survie jusqu’à la date fatidique du 1er février 2017, jour où il a été victime d’un terrible accident de travail. « Je suis tombé dans la cage d’ascenseur et suis resté immobilisé en raison de multiples fractures de la colonne vertébrale. Au cours de toute une année passée à l’hôpital, l’assurance de mon employeur a couvert mes soins et j’ai pu bénéficier de l’aide de certains amis », raconte-t-il.

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Cette sollicitude ne devait pas durer après l’hospitalisation. Désormais handicapé à vie, Mohammad s’est retrouvé tout seul dans son malheur et a tôt fait de dépenser ses maigres économies pour se retrouver à la rue. « Le premier soir, j’ai campé sur la place Élia de Saïda. Des jeunes m’ont offert une mankouché (galette au thym) que j’ai consommée sans méfiance, alors qu’ils y avaient inséré un somnifère, puis ils sont revenus pour voler ce qui me restait, quelque 190 000 livres. »

Abordé par la police municipale, Mohammad Abaza expose sa situation aux agents qui, préférant probablement l’éloigner de cette place très fréquentée, demandent à un chauffeur de taxi de l’emmener à un endroit où il pourra se déplacer librement en chaise roulante. « C’est là que le chauffeur m’a abandonné », ajoute-t-il, saisi par l’émotion au simple souvenir de cette journée terrible. « J’ai découvert un lieu cauchemardesque, jonché de détritus et envahi par les rats. Quand je me suis renseigné, j’ai su qu’il s’agissait de l’ancien restaurant du chanteur Fadl Chaker, devenu adepte du cheikh terroriste Ahmad el-Assir, et abandonné depuis que celui-ci était devenu fugitif avant d’être arrêté. Je vous assure que j’ai tout fait pour échapper à ce lieu : j’ai campé devant la municipalité, essayé d’obtenir l’appui d’une ONG, mais sans résultat. Je suis revenu ici, près du barrage du fleuve Awali, pour y dresser ma tente, tant bien que mal. »

Dans un premier temps, cet abri de fortune ne le protégeait pas des intempéries. « L’eau s’infiltrait tous les jours dans ma tente, chaque matin il fallait faire sécher au soleil mes vêtements mouillés durant la nuit », dit-il. Puis la vie a repris son cours, dans une logique de survie quotidienne, mais Mohammad Abaza ne se fait guère d’illusions. « Un homme livré à lui-même est une proie facile », lâche-t-il. S’il a souvent compté sur la générosité de certains, qui lui font parvenir régulièrement de la nourriture et parfois un peu d’argent, Mohammad a souvent été blessé par la méchanceté gratuite de ceux qui abusent de sa situation de faiblesse. « Il est souvent arrivé que des jeunes profitent de mon handicap pour me voler le peu en ma possession et s’enfuir en courant ; d’autres ont l’indécence d’entrer dans ma tente et dans ma vie pour me photographier dans des postures délicates puis poster leurs photos sur les réseaux sociaux et se moquer de moi », dit-il avec amertume.

Les agressions répétées nourrissent chez cet homme un sentiment d’insécurité permanent. « Le véritable repos, qui m’est devenu totalement étranger, c’est de poser ma tête sur l’oreiller et de dormir aussitôt, même s’il s’agit d’un oreiller de pierre », gémit-il d’une voix à peine audible.

La véritable tragédie de Mohammad, c’est qu’il n’a aucun espoir d’améliorer sa situation. Vivant hors de son pays, il ne bénéficie d’aucune aide de l’État libanais. L’ONU lui a versé une pension durant une certaine période, mais il dit ne pas connaître la raison pour laquelle cette aide a été interrompue. Le retour en Syrie semble exclu pour de multiples raisons pratiques et parce qu’il n’y a plus de famille. « J’aurais peut-être mieux fait de mourir sous les bombes chez moi », en arrive-t-il à dire.

Mohammad Abaza se déplace parfois sur le bord des routes dans sa chaise roulante, pour mendier son pain quotidien. Sa vie est une lutte de tous les instants, et malgré cela, il ne se plaint pas : « J’ai pu me débrouiller pour survivre, et je peux continuer à le faire, mais je voudrais juste qu’on me protège des agressions et de l’intolérance ! Est-ce trop demander ? »

Des milliers de voitures défilent chaque jour devant le barrage de l’armée sur le fleuve Awali à l’entrée de la ville de Saïda au Liban-Sud, mais leurs occupants qui vaquent à leurs occupations quotidiennes sont loin de se douter que tout près, à l’endroit même d’un ancien restaurant de funeste mémoire, se trouve une tente de fortune qui abrite tant bien que mal un homme...

commentaires (3)

Comment aider cette pauvre âme?

George Fares

01 h 18, le 29 mai 2021

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Commentaires (3)

  • Comment aider cette pauvre âme?

    George Fares

    01 h 18, le 29 mai 2021

  • Comment faire pour l'aider ?

    lila

    19 h 03, le 28 mai 2021

  • Histoire très touchante. Comment est-ce qu'on pourrait lui venir en aide d’une manière que tout ce qui peut lui être donné ne tombe pas dans de mauvaises mains?

    Salim FARAH

    17 h 01, le 28 mai 2021

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