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Société - Sciences agroalimentaires

Le Liban, troisième gaspilleur d’aliments dans la région arabe

Selon un rapport récent du Programme des Nations unies pour l’environnement (UNEP) et l’Institut des ressources mondiales (World Resources Institute), 105 kilos par personne sont jetés, par an, au pays du Cèdre.

Le Liban, troisième gaspilleur d’aliments dans la région arabe

Dans la région arabe, le Liban occupe la troisième place en termes de gaspillage alimentaire après le Bahreïn et l’Irak. Photo d’illustration Bigstock

Des restes de plats jetés à la poubelle parce que plus personne n’en veut le lendemain, des fruits et des légumes boudés parce qu’ils n’ont pas l’air appétissants, des produits expirés… le gaspillage alimentaire est un problème récurrent observé à l’échelle mondiale, des dizaines de milliers de tonnes d’aliments étant perdues chaque année. En cause, principalement une mauvaise gestion des produits alimentaires chez les distributeurs (supermarchés, épiceries et secteur hospitalier) et de mauvaises habitudes de consommation.

Selon un rapport récent du Programme des Nations unies pour l’environnement (UNEP) et l’Institut des ressources mondiales (World Resources Institute), un tiers des plats cuisinés dans le monde finissent à la poubelle. Dans la région arabe, ce sont 25 à 30 % de ces aliments qui sont jetés annuellement. En chiffres, ce gaspillage alimentaire se traduit au Liban par 105 kilos/personne/an contre 59 kilos aux États-Unis et 33 kilos en Russie. Toujours selon l’UNEP, le pays du Cèdre occupe la troisième place dans la région arabe en termes de gaspillage alimentaire après Bahreïn (123 kilos) et l’Irak (120 kilos). La Tunisie, le Maroc, l’Égypte et l’Algérie se retrouvent au bas de la liste avec 90 kilos/personne/an.

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Il est important à ce stade de faire une distinction entre la perte et le gaspillage alimentaires. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la perte alimentaire est la diminution de la masse des denrées alimentaires comestibles au stade de la production, de l’après-récolte et de la transformation. Le gaspillage alimentaire, en revanche, est observé au niveau du distributeur et du consommateur.

Au Liban, « tout comme dans plusieurs pays en développement, nous n’avons pas de données sur les comportements des ménages dans ce domaine », explique à L’Orient-Le Jour Hussein Hassan, professeur associé en sciences agroalimentaires à l’Université libano-américaine (LAU). Pour le comprendre, Hussein Hassan et Lama Mattar, professeure associée en nutrition à la LAU, Mohamad Abiad, professeur associé en sciences de l’alimentation à l’Université américaine de Beyrouth (AUB), et Ali Chalak, professeur associé en économie appliquée à l’AUB, ont mené une étude sur le gaspillage alimentaire dans les ménages. Les résultats des travaux, menés sur 1 264 ménages choisis sur l’ensemble du territoire, ont été publiés il y a deux ans dans la revue Journal for Cleaner Production. « Cette étude permet de mieux orienter les stratégies d’intervention en vue de limiter le gaspillage alimentaire », précise-t-il. Deux autres études portant sur le gaspillage alimentaire dans les restaurants devront être publiées prochainement dans les revues Plos One et Sustainability. Près de 500 restaurants du Grand Beyrouth ont été englobés dans ce travail.

Les mezzés

Ces études ont montré que plusieurs causes sont à l’origine de cet important gaspillage alimentaire au Liban. Du côté des ménages, « l’emploi, l’éducation, le nombre des personnes par famille et les revenus influent sur cette tendance », constate M. Hassan. Les chercheurs ont ainsi trouvé que les personnes ayant un niveau élevé d’éducation et celles qui cuisinent gaspillaient moins l’alimentation que les personnes employées et les familles nombreuses. À cela s’ajoutent certaines pratiques, comme le fait de manger souvent à l’extérieur ou de se ruer sur les promotions faites sur certains produits alimentaires. « Au Liban, le consommateur est attiré par de telles promotions, note-t-il. Il en achète même s’il n’en a pas besoin. De ce fait, les produits arrivent souvent à expiration avant même d’avoir été consommés. » Toutefois, « le sentiment de culpabilité aide à renverser cette tendance », sachant que « les ménages ruraux contribuent moins au gaspillage alimentaire que ceux urbains puisqu’ils ont plus tendance à partager le surplus de plats avec la famille et les voisins ».

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Du côté des restaurants, ceux qui proposent de la cuisine libanaise sont les plus gros gaspilleurs. À juste titre, puisque « notre table compte en grande partie des mezzés », soutient M. Abiad. « Il y a une variété telle qu’on est rassasié avant même d’avoir entamé le plat principal ou qu’il en reste beaucoup si on en commande plusieurs, ajoute-t-il. Par ailleurs, dans notre culture, la générosité consiste à offrir de la nourriture en abondance. Une table avec une quantité juste de plats est vue d’un mauvais œil, d’où la tendance à préparer plus de plats qu’on en a besoin, quelle que soit l’occasion. Par ailleurs, le fait de tirer sur son narguilé ou de boire de l’alcool augmente le gaspillage alimentaire, puisqu’on touche rarement aux plats commandés. »

Mohamad Abiad précise dans ce cadre que dans les restaurants qui proposent une cuisine libanaise, 179 grammes de nourriture sont gaspillés par personne. « Les restes de ces plats sont difficiles à emporter chez soi, puisque tout le monde les partage, constate-t-il. Ce qui n’est pas le cas avec les autres types de cuisine où chaque personne commande son plat et que seules quelques entrées sont partagées. »

Manque de sensibilisation

La crise économique et financière et la pandémie du Covid-19 ont eu un impact sur le gaspillage alimentaire. « Malgré la crise, les gens vont continuer à acheter de quoi manger, avance M. Hassan. Il est vrai qu’on achète moins, mais les produits proposés sont de plus en plus de qualité moindre. De ce fait, ils vont se détériorer plus rapidement. En ce qui concerne la pandémie, elle a réduit le gaspillage alimentaire dans les restaurants, qui étaient fermés pendant de longs mois, mais l’a favorisé au sein des ménages. En effet, avec le bouclage, les gens s’amusaient à essayer de nouvelles recettes. Même les personnes qui ne savent pas cuisiner se sont adonnées à cette activité. Avec tout ce que cela sous-entend comme plats ratés. »

Pour les chercheurs, le manque de sensibilisation au problème du gaspillage alimentaire est évident au Liban. « Les gens ont plus de facilité à jeter les aliments cuisinés qu’à les donner, les transformer ou tout simplement les garder au congélateur pour une utilisation ultérieure, fait remarquer M. Abiad. Le problème n’est pas uniquement économique. Il a un aspect environnemental également, puisque le gaspillage alimentaire reste l’une des principales causes de la crise des déchets au Liban, les produits organiques constituant 60 % des déchets solides. » D’où l’importance, selon les chercheurs, de mener des campagnes pour sensibiliser à l’importance de lutter contre le gaspillage alimentaire, d’encourager les restaurants à limiter ce gaspillage en proposant entre autres aux clients de leur emballer le reste des plats commandés, mais aussi de soutenir les initiatives qui contribuent à lutter contre le gaspillage alimentaire, comme les banques alimentaires qui œuvrent à réduire la famine et par la même occasion à réduire les déchets. Cela est d’autant plus important que dans le cadre des Objectifs du développement durable, les Nations unies se sont fixé comme but de réduire d’ici à 2030 les pertes alimentaires et le gaspillage alimentaire de moitié.

Astuces pour lutter contre le gaspillage alimentaire
Voici quelques conseils donnés par les chercheurs pour lutter, chacun à son niveau, contre le gaspillage alimentaire : - Éviter d’acheter des produits dont on n’a pas besoin. Pour ce faire, il est important d’établir une liste avant de faire ses courses et d’essayer de se limiter autant que possible à cette liste. Cela permet d’éviter aussi les achats compulsifs.
- Éviter de faire des provisions pour plusieurs semaines ou mois, d’autant qu’avec la crise de l’électricité au Liban, les aliments conservés au réfrigérateur ou au congélateur risquent de se détériorer rapidement.
- Essayer de ne pas être très exigeant sur l’apparence des fruits et des légumes, surtout s’ils sont destinés à être cuisinés (soupe, ragoût, confitures, sauce tomate…) ou à être transformés en jus, d’autant que le goût et les valeurs nutritionnelles de l’aliment restent les mêmes.
- S’assurer que le réfrigérateur fonctionne bien.
- Éviter de surcharger le réfrigérateur pour permettre à l’air froid de circuler correctement.
- Garder les aliments à l’abri de la chaleur et de l’humidité, dans des contenants isolés, pour qu’ils durent le plus longtemps possible.
- Ne pas confondre les mentions « à consommer de préférence avant » ou « à consommer jusqu’au » relatives à la date d’expiration du produit. Dans le premier cas, le produit est toujours sûr et peut être consommé au-delà de la date mentionnée. Dans le second cas, le produit ne doit pas être utilisé au-delà de la date de péremption.
- Vérifier son stock de produits alimentaires au moins une fois par mois pour écouler en premier ceux dont la date d’expiration est proche.
- Commencer par se servir d’une petite portion, quitte à en rajouter à plusieurs reprises.
- Au restaurant, demander à emporter les restes des plats commandés.
- Conserver les restes des plats cuisinés à la maison pour un autre jour, les congeler pour une utilisation ultérieure ou les transformer en un nouveau plat, des restes du poulet au four transformés en riz au poulet à l’orientale, par exemple.
- Suivre une recette déterminée pour éviter de rater le plat.
- Contacter les banques alimentaires pour leur donner les restes de la nourriture, surtout après de grandes invitations, sachant que ces associations respectent les règles d’hygiène et de sécurité sanitaire des aliments.
- Les supermarchés et légumiers doivent encourager le consommateur à acheter les produits qui ne sont pas attrayants en les proposant à des prix moindres, surtout si ces produits sont destinés à être cuisinés.
Des restes de plats jetés à la poubelle parce que plus personne n’en veut le lendemain, des fruits et des légumes boudés parce qu’ils n’ont pas l’air appétissants, des produits expirés… le gaspillage alimentaire est un problème récurrent observé à l’échelle mondiale, des dizaines de milliers de tonnes d’aliments étant perdues chaque année. En cause, principalement une...

commentaires (3)

Probleme c'est que chez nous on mange toute l'assiette et ne pas manger tout est impoli. Mais aux pays mediterranees , si on mange tout, c'est interpretee comme si ce n'etait pas assez. Au Liban, Grece, Espagne etc. il faut s'adapter et toujours laisser un peu dans l'assiette pour signaler que c'etait suffisament beaucoup ! Grande difference psycholique entre europeens nordiques et des mediteranniens.

Stes David

22 h 18, le 27 mai 2021

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Commentaires (3)

  • Probleme c'est que chez nous on mange toute l'assiette et ne pas manger tout est impoli. Mais aux pays mediterranees , si on mange tout, c'est interpretee comme si ce n'etait pas assez. Au Liban, Grece, Espagne etc. il faut s'adapter et toujours laisser un peu dans l'assiette pour signaler que c'etait suffisament beaucoup ! Grande difference psycholique entre europeens nordiques et des mediteranniens.

    Stes David

    22 h 18, le 27 mai 2021

  • Il faut aussi éduquer les enfants, adultes de demain à manger les restes. Ce gaspillage est une honte. Beaucoup de plats se gardent quelques jours sans problèmes et peuvent être recyclés. Mais en effet, il s'y ajoute un problème culturel : le Libanais ne veut pas être jugé comme étant regardant ("l'oeil étroit"),ou même radin. Cette générosité est tout à son honneur, pour autant qu'elle ne se transforme pas en gaspillage.

    Politiquement incorrect(e)

    16 h 11, le 27 mai 2021

  • Après l'eau (robinet ouvert pendant toute la durée de ;a vaisselle), l'électricité (lumière restant allumée dans des pièces vides), les libanais se révèlent aussi champions du gaspillage dr nourriture. En ces temps de vaches maigres, il serait bon de lancer une campagne nationale de chasse au gaspi.

    Yves Prevost

    07 h 17, le 27 mai 2021

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