De Jérusalem à Lod, en passant par Haïfa et Gaza, une nouvelle génération de Palestiniens a pris la parole durant les événements du mois de mai. Ils maîtrisent le langage médiatique et n’hésitent plus à corriger le discours dominant – comme s’ils avaient arrêté de s’excuser. Tamer Nafar est l’un d’entre eux. Face à une journaliste de la chaîne américaine ABC qui l’interroge sur la responsabilité du Hamas, il ne mâche pas ses mots. « Quelle question dérangeante », rétorque-t-il.
Rappeur, acteur, scénariste et activiste né en 1971 à Lod, il est un peu plus âgé que cette nouvelle génération qui, pour la plupart, n’a pas connu la deuxième intifada du début des années 2000. Lui, au même moment, fondait le premier groupe de hip-hop palestinien, DAM, en compagnie de son frère Suhell et de leur ami Mahmoud Jreri. Occupation, racisme, pauvreté, drogue, féminisme, patriarcat : en anglais, arabe et hébreu, le groupe mélange les registres mais cultive un message fort sur la réalité complexe des « Palestiniens de 48 ». Qui n’a jamais été aussi d’actualité.
Vous êtes originaire de Lod, à une dizaine de kilomètres au sud-est de Tel-Aviv, où vous vivez et travaillez. Faire de l’art en tant que palestinien, depuis l’État d’Israël, qu’est-ce que ça implique ?
Je suis un citoyen israélien. À ce titre, je paie des impôts à l’État : selon la loi, j’ai droit chaque année à des subventions gouvernementales, culturelles, en tant qu’artiste. Mais tout cela est en train de prendre fin. Au cours des quatre dernières années, ils ont passé un certain nombre de lois qui posent de plus en plus de conditions pour obtenir ces financements. L’argent est devenu conditionnel : interdit de critiquer ceci ou cela, interdit de parler contre l’État. L’extrême droite, petit à petit, s’est introduite dans toutes les strates de l’État, dans les cours de justice, les comités d’artistes… partout.
Par exemple, aujourd’hui, avec les conditions présentes, je n’aurais pas pu avoir les financements publics (du ministère de la Culture, NDLR) que j’ai obtenus pour mon film Mafraq 48 (Jonction 48). Mais si on est honnête, même à l’époque c’était très difficile de faire le film : c’est grâce à un réalisateur juif, qui a alors pris la parole dans les médias, que cela a été possible. Ils avaient besoin d’une couverture, d’un visage de Blanc, comme si la gauche israélienne était plus en mesure de parler de la Palestine que les Palestiniens eux-mêmes… Il a donc utilisé son privilège, mais même lui a brûlé toutes ses cartes : impossible qu’il obtienne un quelconque financement maintenant.
De manière générale, ils veulent se donner bonne conscience, tout en s’assurant que nous restions des figurants sans voix – en hébreu il y a une expression pour désigner cela, on dit « un arabe de compagnie » comme si l’on parlait d’un animal…
Attaques des colons, complicité des forces de sécurité, check-point, racisme décomplexé… Malgré toutes les violences qui ont touché des villes mixtes comme Lod ces dernières semaines, il y a comme un sentiment de renouveau positif… Qu’est-ce qui a changé ?
Avant, on avait perdu toute confiance dans notre propre cause palestinienne, notamment après les printemps arabes, qui ont entraîné une grande frustration. J’avais sorti une chanson à l’époque dans laquelle je disais : « À chaque fois que je pense partir, ils me rappellent que je suis marié à la cause, et j’essaie de vous expliquer qu’elle est devenue veuve. » Pour moi, la « qadiyé (cause en arabe) était morte ». Depuis ces dernières semaines, je suis choqué. Il y a quelque chose dans la nouvelle génération de surprenant. C’est une génération très saine, qui est capable de combattre pour obtenir des changements sur la scène intérieure, et qui n’a pas non plus peur des politiques venant de l’extérieur… Je ne m’attendais pas à ce qu’il se passe ce qu’il est en train de se passer. Même la manière dont ils ont traité la chose. Cette confiance en nous-mêmes qui est revenue, c’est du carburant pour les années à venir. Toute cette idée, qu’en tant qu’arabe, nous méritons la liberté, est de retour.
Mais je reste pragmatique : je ne vais pas commencer à parler du droit de retour et de toutes ces choses-là… non pas que je n’ai plus la foi, mais je n’en ai pas la force actuellement. Alors je regarde les choses simples, dont j’ai espoir qu’elles changent. Les mécanismes de coordination au niveau local, par exemple, nous manquaient particulièrement, notamment ici à Lod. Depuis les événements de ces dernières semaines, nous nous sommes rassemblés dans des groupes WhatsApp, organisés en comités, nous nous répartissons les rôles administratifs ou médiatiques… C’est la première fois depuis 17 ans ! Si la même chose a lieu à Jaffa, à Haïfa… et que nous parvenons à nous unir au sein d’un même groupe, alors ce serait une réussite historique.
C,EST DU CARBURANT DONT LES CONTENEURS SE RESTREIGNENT AVEC LE TEMPS ET IL N,EN RESTERA QU,UN INSIGNIFIANT BIDON A LA FIN... SI LA POLITIQUE DE LA NEGOCIATION NE DEMARRE PAS DE SITOT ET NE RESTE LA SEULE ALTERNATIVE A SUIVRE.
09 h 01, le 25 mai 2021