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Nos Lecteurs ont la Parole

Les salauds et les justes

Je n’ai plus écrit depuis plus d’un an sur les réseaux sociaux. Sans doute est-ce par désespoir, par lassitude, ou même, que l’on me pardonne, par ennui. Pourtant, la révolte, la colère, l’amertume sont bien là. Et elles crient, elles hurlent en moi à chaque fois que je les entends, ceux-là qui ont bonne conscience. Alors je regarde de l’autre bord, là où l’on a encore faim et soif de justice.

Il y a les salauds et les justes. Dans l’histoire. Pendant la guerre. Durant les crises. La décadence au Liban est triste comme un jour sans pain. Elle fait honte. Elle a toutefois le mérite de tout remettre en question. De nous inquiéter. De me remettre en question. De m’inquiéter. Suis-je du côté des salauds ou des justes ?

Jean-Paul Sartre appelle « salauds » les lâches, les usurpateurs, les imposteurs qui sacrifient les autres, le pays à leurs propres intérêts. Albert Camus appelle « justes » les tendres, les solidaires, les frères qui aiment tant la justice qu’ils n’ont pas droit à l’amour.

Les salauds sont ceux qui applaudissent encore le chef, le titre, le pouvoir, l’arrogance qui nous a menés à l’abattoir. Les justes sont ceux qui n’ont pas peur de les dénoncer. Les salauds sont ceux qui continuent à trouver des circonstances atténuantes – comment font-ils ? – pour justifier l’incompétence, la traîtrise, les alliances, l’explosion du port, la corruption, les humiliations. Les justes sont ceux qui ne trouvent pas d’excuse au mal. Les salauds sont ceux qui ne se souviennent pas, qui empêchent ou manipulent notre mémoire. Les justes sont ceux qui réclament une mémoire obligée, un mémorial aux victimes, une purgation de l’insulte, un recueillement devant les tombes.

Les salauds sont ceux qui vivent leur richesse comme leur essence, alors qu’ils ont pressuré l’épargne des travailleurs, ont volé nos biens, notre labeur, notre sueur, pour mourir tranquillement dans leur lit. Les justes sont ceux qui n’ont jamais rien gagné autrement que par eux-mêmes et qui meurent dans la rue en regardant les étoiles.

Les salauds sont ceux qui se prennent au sérieux et jouent aux patriotiques quand leurs familles et leur argent sont à l’étranger. Les justes sont ceux qui maudissent la terre qui enfante le vice et la pauvreté. Les salauds sont ceux qui restent assis sur leurs trônes, dans leurs palais ou leurs ministères, derrière leurs barricades et observent, oisifs et veules, le pays exsangue sans agir. Les justes sont ceux qui continuent de faire honnêtement leur métier. Les médecins. Les infirmiers. Les ouvriers. Les agriculteurs. Les enseignants. Les enseignants surtout, passeurs de liberté. Les salauds sont ceux qui oublient leurs responsabilités, qui ne veulent ni voir ni savoir, ou qui savent et se taisent ou qui sont persuadés que Dieu est dans leur camp cependant que leurs bouches mortifères se mentent à elles-mêmes. Les justes sont ceux qui ouvrent les yeux et qui parlent, qui ont mauvaise conscience et se disent qu’il y a de la honte à être heureux tout seuls.

Je me récite tous les jours ce credo pour me déranger chaque fois que j’ai été salaud. Pour me rassurer quand je suis juste. Je relis Sartre et Camus. Je relis l’histoire pour reconnaître les salauds, même s’ils ont été eux aussi applaudis parfois. Pour reconnaître les justes qui sont longtemps restés dans l’ombre. Je relis l’histoire du Liban, la plus récente, celle qui a mis au monde nos assassins, nos monstres au pouvoir. Et je me dis que si j’ai perdu mon pays, ma foi, mon espérance, il me restera au moins ma conscience. Et avec la conscience, on a encore la chance d’être homme.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Je n’ai plus écrit depuis plus d’un an sur les réseaux sociaux. Sans doute est-ce par désespoir, par lassitude, ou même, que l’on me pardonne, par ennui. Pourtant, la révolte, la colère, l’amertume sont bien là. Et elles crient, elles hurlent en moi à chaque fois que je les entends, ceux-là qui ont bonne conscience. Alors je regarde de l’autre bord, là où l’on a encore faim...

commentaires (1)

.."" Il y a les salauds et les justes. Dans l’histoire. Pendant la guerre. Durant les crises..""- je dirais plutot que ces memes salauds sont aussi presents a accomplir leurs crimes durant les annees de paix tout autant ! je tendrais plutot a repeter ce que -... Jean-Paul Sartre appelle « salauds » les lâches, les usurpateurs, les imposteurs qui sacrifient les autres, le pays à leurs propres intérêts.

Gaby SIOUFI

10 h 55, le 17 mai 2021

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Commentaires (1)

  • .."" Il y a les salauds et les justes. Dans l’histoire. Pendant la guerre. Durant les crises..""- je dirais plutot que ces memes salauds sont aussi presents a accomplir leurs crimes durant les annees de paix tout autant ! je tendrais plutot a repeter ce que -... Jean-Paul Sartre appelle « salauds » les lâches, les usurpateurs, les imposteurs qui sacrifient les autres, le pays à leurs propres intérêts.

    Gaby SIOUFI

    10 h 55, le 17 mai 2021

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