Le président de la commission parlementaire des Travaux publics, des Transports, de l'Energie et de l'Eau, Nazih Najm, a prévenu mardi que le Liban, déjà en grave crise, pourrait être plongé dans l'obscurité dès la fin de cette semaine après les menaces de l’entreprise turque Karpowership, filiale de l’opérateur Karadeniz, à qui l’Etat loue deux navires-centrales. Aux prises avec la justice libanaise après l’ouverture d’une enquête visant certains de ses responsables, la société a en effet annoncé envisager de mettre ses deux centrales à l’arrêt.
"Se préparer au pire"
"Nous avons discuté de la situation financière de l'électricité et de l'ouverture de crédits nécessaires à ce secteur", a indiqué le député, à l'issue d'une réunion sur la question de l'électricité au Liban avec le ministre sortant des Finances, Ghazi Wazni, le ministre sortant de l'Energie, Raymond Ghajar, et le directeur d'Electricité du Liban (EDL), Kamal Hayek. "Nous pourrions rencontrer un problème dès la fin de cette semaine, à cause des navires-centrales de Karadeniz, après la décision de la justice d'interdire la sortie de ces navires en attendant de trancher la question du paiement d'une amende de 25 millions de dollars", a prévenu l'élu. "Après le dépôt d'une plainte contre le propriétaire de Karadeniz, ce dernier a pris la décision de cesser de faire fonctionner les centrales. Cela peut nous affecter et nous conduire au blackout total", a prévenu M. Najm. "Si nous réduisons l'alimentation du réseau de 400 mégawatts, nous serons en dessous de 900 mégawatts et EDL ne pourra rien faire", a-t-il mis en garde. "Nous avons demandé au directeur général d'EDL et au ministre de l'Energie de se préparer au pire, si cela devait arriver", a-t-il ajouté.
L'entreprise turque Karpowership, filiale de Karadeniz, loue à l’État deux navires-centrales, l’Orhan Bey et le Fatmagül Sultan, depuis 2013, amarrées à Jiyé (Chouf) et Zouk Mosbeh (Kesrouan), respectivement au sud et au nord de Beyrouth, qui déploient une capacité de 370 mégawatts (MW), soit près d’un quart des capacités totales disponibles dans le pays. Le gouvernement libanais a des arriérés de paiements de dix-huit mois vis-à-vis de l'entreprise turque, pour un montant de 180 millions de dollars. Sans recevoir les versements demandés, les centrales seront mises à l'arrêt. En outre, Karpowership est dans le collimateur de la justice depuis mars dernier après le déclenchement d’enquêtes par le juge d’instruction de Beyrouth pour faits de "corruption" et de "blanchiment d’argent". Le procureur général financier Ali Ibrahim a interdit, en fin de semaine dernière, à la société turque de faire sortir du territoire ses deux navires-centrales, afin de garantir que la filiale de l’opérateur turc Karadeniz ne se dérobe pas à son obligation de payer 25 millions de dollars à l’État dans le cas où la justice confirmerait sa participation à des "transactions financières et opérations de courtage litigieuses". Le directeur de Karpowership, Ralf Faysal, qui faisait partie des personnes aux arrêts depuis plusieurs semaines dans le cadre de cette affaire, a récemment été libéré sous caution. Les sources proches du dossier contactées évoquent une affaire "totalement politique", le secteur de l’électricité en général, et celui de la location des navires-centrales en particulier ayant régulièrement alimenté des tensions entre les partis au pouvoir.
Karadeniz réagit
Réagissant aux propos de Nazih Najm, un porte-parole de Karadeniz a affirmé mardi à l'agence Reuters que Beyrouth "devait suspendre l'action en justice concernant la saisie" de ses navires et "trouver une solution au paiement des arriérés", à défaut de quoi, la société "arrêtera de fournir du courant au pays".
La location de ces barges avait été présentée comme une solution temporaire pour combler le déficit de production d’EDL, le temps que le pays construise des centrales permanentes. Un chantier qui n’a finalement jamais été mené en raison des conflits d’intérêts des différents partis au pouvoir, ne laissant d’autre choix au pays que de continuer à compter sur Karpowership.
Une suspension de l’activité de l’Orhan Bey et du Fatmagül Sultan risquerait d’entraîner encore plus le Liban vers le blackout. Électricité du Liban (EDL) a déjà mis en garde en fin de semaine dernière contre un rationnement généralisé et sévère du courant, après la suspension d’une avance pour payer son approvisionnement en carburant. Elle enregistre une baisse de 200 MW de sa production de courant, de 1 250 à 1 050 MW, à la suite de la suspension par le Conseil constitutionnel des effets de la loi n° 215/2021 qui devait permettre de débloquer une avance de 300 milliards de livres libanaises (200 millions de dollars au taux officiel de 1 507,5 livres le dollar) pour payer une partie des tankers commandés par le fournisseur de courant. Une suspension décidée à la suite d'un recours présenté par des députés des Forces libanaises, qui s'opposaient à l'octroi de cette avance. En conséquence, et faute de solution, l’approvisionnement en courant dans l’ensemble du pays sera réduit jusqu’à l’arrêt total des centrales électriques d’ici au 22 juin prochain, a averti EDL la semaine dernière.
Sur ce sujet la solution serait simple : saisir tout de suite les biens meubles et immeubles au Liban et offshore de l'ancien ministre de l'énergie Gebran Bassil et les vendre immédiatement pour récupérer les milliards de dollars disparus au cours de son mandat à la tête de ce ministère.
19 h 39, le 11 mai 2021