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Nos Lecteurs ont la Parole

Lettre à mon pays

Cher pays,

Ce soir, après une longue période d’absence, j’ai dîné avec des amis à Mar Mikhaël, un nom qui fait partie de ton histoire et de ta fierté urbaine. Un sentiment bizarre m’envahit lorsque je t’observe en longeant tes rues à la tombée de la nuit. De l’extérieur, on dirait que rien n’a changé, alors que je peux sentir à quel point tu souffres. Ta capitale est silencieuse, elle n’arrive même pas à se reposer calmement et elle se demande quand elle pourra enfin souffler. C’est dur de renoncer à la vie lorsqu’on a tellement de promesses inachevées et tant de rêves non accomplis. Dernièrement, je t’admire plus longuement que d’habitude. Mon cœur se froisse, j’essaie de boire tes paysages et je me demande combien de temps il nous reste ensemble ?

Comme lorsqu’on apprend qu’un être cher est atteint d’une maladie incurable, je suis en deuil anticipé. Soudainement, je suis conscient de la perte qui m’attend. Plus que jamais, je voudrais lutter contre cette maladie qui te ronge depuis si longtemps. Cette maladie, ce sont ces hommes qui sont censés prendre soin de toi. Cette maladie, ce sont ces insensés qui t’arrachent de moi, de nous tous. Ils ont fait de toi un domaine où eux seuls sont rois, où eux seuls font la loi, où tu seras haine.

Comment réconcilier ces sentiments de rejet et d’amour ?

Comment en avoir marre quand on n’en a jamais assez ?

N’est-ce pas ironique que mon attachement à toi grandisse à mesure que tu te détruis ?

On dit que l’homme a tendance à tenir aux choses brisées, peut-être qu’elles lui rappellent un peu sa réalité.

En route, je fais exprès de passer près de mon école, là où j’ai grandi, là où on m’avait dit qu’un jour tout serait possible, que je pourrais prendre mon destin en main. Je me sens trahi.

Est-il possible d’avoir la nostalgie de sa jeunesse quand on est encore jeune ?

Est-il possible d’avoir le mal du pays quand on est encore chez soi ?

J’arrive au sommet d’une colline, j’arrête la voiture un moment et j’admire Beyrouth de haut. J’évite de regarder l’aéroport. Inutile de s’attarder sur la tentation. J’ai l’impression que je dois prendre une décision qui n’est pourtant pas un choix. Je ne veux pas te quitter, pourtant tu m’étouffes. Je ne veux pas m’éloigner, pourtant je te regrette déjà.

Tu m’échappes peu à peu, tu glisses entre mes doigts. J’essaie de te retenir mais tu me brûles, tu me fais mal et je commence à disparaître avec toi. Me pardonneras-tu un jour si je te lâche ?

J’arrive chez moi l’esprit nostalgique. Les choses simples me manquent sans les avoir réellement perdues. Je jette un regard sur ma valise vide et je me doute si ce bagage contient assez de place pour y placer tous mes souvenirs. Je veux m’assurer de ne jamais t’oublier, de ne jamais oublier le sentiment de t’appartenir.

Je me couche et je ne sais toujours pas quand sera la dernière fois que tu seras mon chez-moi. Au fond de mon cœur, je sais que nulle part ne pourra te remplacer. Au fond de mon cœur, se trouve un couteau planté qui porte ton nom. Qui sait si un jour j’aurai le courage de l’arracher.

Avec amour et regret,

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Cher pays,
Ce soir, après une longue période d’absence, j’ai dîné avec des amis à Mar Mikhaël, un nom qui fait partie de ton histoire et de ta fierté urbaine. Un sentiment bizarre m’envahit lorsque je t’observe en longeant tes rues à la tombée de la nuit. De l’extérieur, on dirait que rien n’a changé, alors que je peux sentir à quel point tu souffres. Ta capitale est...

commentaires (1)

Lyrique, nostalgique, poignant et très émouvant! Ta description reflète des sentiments profonds de tristesse, de colère mais aussi d'un grand et sincère amour pour ce pays défiguré par l'irresponsabilité et l'ambition matérielle de ses gouvernants! Une lettre très attachante! Si le Liban pouvait te répondre, il te dirait "ne me quitte pas"! Bravo jeune Antoine! Bon courage et bonne chance!

Zaarour Beatriz

22 h 16, le 08 mai 2021

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Commentaires (1)

  • Lyrique, nostalgique, poignant et très émouvant! Ta description reflète des sentiments profonds de tristesse, de colère mais aussi d'un grand et sincère amour pour ce pays défiguré par l'irresponsabilité et l'ambition matérielle de ses gouvernants! Une lettre très attachante! Si le Liban pouvait te répondre, il te dirait "ne me quitte pas"! Bravo jeune Antoine! Bon courage et bonne chance!

    Zaarour Beatriz

    22 h 16, le 08 mai 2021

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