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Moyen-Orient - ÉCLAIRAGE

En attendant Godot : ces élections palestiniennes qui n’ont pas lieu

Le président Abbas a annoncé, le 29 avril, du report du scrutin législatif prévu le 22 mai, le premier en 15 ans, tant que sa tenue n’était pas « garantie » à Jérusalem-Est.

En attendant Godot : ces élections palestiniennes qui n’ont pas lieu

Une famille assiste au discours du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas retransmis à la télévision, le 29 avril 2021, à Rafah dans le sud de la bande de Gaza. Saïd Khatib/AFP

Premiers scrutins depuis ceux organisés il y a 15 ans dans le sillage de la mort de Yasser Arafat en 2004, ils étaient accueillis comme le rendez-vous électoral de la dernière chance, même par les plus sceptiques : les élections nationales palestiniennes, qui devaient avoir lieu à partir du 22 mai, avaient suscité un inhabituel élan de mobilisation et ravivé des espoirs que l’on pensait appartenir à un autre temps. Mais le leadership palestinien en aura voulu autrement et celles qui avaient été annoncées en grande pompe par décret présidentiel à la mi-janvier dans le cadre d’une réconciliation entre le Fateh de Mahmoud Abbas et les islamistes du Hamas n’auront finalement pas lieu. Report sine die : le verdict est tombé dans la nuit de jeudi à vendredi dernier, au cours d’un discours télévisé. La raison officielle ? Le refus par Israël d’inclure Jérusalem-Est dans le scrutin. « Nous avons décidé de reporter la date des élections jusqu’à ce que notre peuple puisse (y) exercer ses droits démocratiques », avait alors déclaré Mahmoud Abbas. Justifier la décision en ayant recours à Jérusalem était pourtant un pari risqué pour M. Abbas : l’argument, peu convainquant, sera vécu par beaucoup comme une provocation. « Jérusalem est l’essence du défi, pas un prétexte pour subvertir la démocratie », s’était alors exclamée l’ancienne diplomate Hanan Ashrawi sur son compte Twitter.L’actualité des manifestations à Jérusalem, tout particulièrement l’image des violences commises par les forces de sécurité israéliennes à l’encontre des Palestiniens, aggrave les choses. « Beaucoup de gens sont en colère : utiliser Jérusalem comme vernis, alors même que ses habitants se débattent contre les velléités israéliennes de nettoyage ethnique, c’est le comble de l’insulte ! » s’indigne Marwa Fatafta, militante et analyste politique.

La ligne officielle fait également l’impasse sur toute solution intermédiaire permettant aux Hiérosolymitains de voter, en aménageant des centres de votes à l’intérieur de la ville, dans des mosquées ou des centres de l’ONU. Le leadership palestinien semble ainsi faire le jeu du gouvernement israélien, « qui était également inquiet du résultat des élections et a cherché à les empêcher en utilisant la carte Jérusalem », note Khalil Shakiki, directeur du Centre palestinien pour la recherche et les sondages (PCPSR).

Un état de « démoralisation généralisé »

Aussi la question de Jérusalem n’est-elle pour beaucoup qu’un fragile prétexte pensé afin de maquiller les véritables motifs qui sous-tendent la décision : « Jérusalem est l’excuse, la raison est la fragmentation continue du Fateh et la peur de revivre la situation de 2006 », estime Alaa Tartir, conseiller au centre d’analyse politique al-Shabaka, en référence à la défaite du parti face au Hamas lors des dernières élections législatives. L’apparition de listes dissidentes comportant d’anciens ténors du parti, par exemple celle menée par Nasser al-Qidoua, est la face visible de ces fractures – politiques, idéologiques, mais aussi générationnelles – propres au Fateh d’aujourd’hui. « Dès que les résultats des élections sont devenus incertains, que la victoire n’était plus assurée, et qu’il est devenu clair que Marwan Barghouti était déterminé à se présenter à l’élection présidentielle, Abbas a cherché à faire avorter le scrutin », avance Khalil Shakiki.

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L’annonce d’un report sine die est donc d’abord une défaite pour ceux qui travaillaient à transformer le scrutin en opportunité. Et ce même si l’espoir d’un changement véritable issu des urnes était limité. « Dès le début, il y avait très peu de raisons d’espérer un changement, puisque les élections étaient le fruit d’une entente entre le Fateh et le Hamas afin de renouveler le statu quo et leur légitimité démocratique », remarque Nour Odeh, candidate et porte-parole au sein de la liste Liberté et membre cofondateur de l’Assemblée démocratique nationale. « Mais tout cela a changé quand d’autres acteurs, inattendus, se sont mêlés au jeu », poursuit cette dernière, qui rappelle que 36 listes concurrentes ont émergé entre janvier et mars en vue du scrutin.

Davantage que l’espoir d’un renouveau complet du système politique, il s’agissait pour beaucoup d’une occasion de (re)prendre part à la vie nationale. « Non pas que les gens pensaient que les élections feraient des miracles, mais ils voulaient faire partie du processus, se faire entendre et participer à ce moment démocratique », souligne Alaa Tartir. Malgré des limites connues, le scrutin était attendu par une majorité de Palestiniens. Le meilleur indicateur de cette adhésion est le fort taux d’inscription : « Au total, 92 % des électeurs éligibles se sont inscrits pour participer aux élections – et dans certaines régions, particulièrement à Gaza, ce taux a frôlé les 100 % », indique Nour Odeh. « La population a envoyé un message clair qu’elle voulait ces élections, mais Abbas en a décidé autrement », poursuit Alaa Tartir.

« Pas assez »

L’annulation du scrutin a donc mis fin à cet élan, créant un état de « démoralisation généralisé », estime sur Twitter Shibley Telhami, professeur de sciences politiques et membre non résident au Brookings Institute. « Tout cela implique un déficit de légitimité encore plus fort, une méfiance grandissante », ajoute Alaa Tartir, qui explique les manifestations apparues à Gaza et en Cisjordanie. « Parmi les 36 listes en lice, 22 ont appelé à manifester jeudi dernier suite à l’annonce du report des élections », rappelle Nour Odeh.

La colère est palpable, mais beaucoup ont conscience de l’impact relatif de ces protestations. D’abord parce qu’il n’est pas dit qu’elles s’inscriront dans la durée, dans la mesure où il s’agit « pour l’instant simplement de réactions à chaud », avertit Alaa Tartir. Ensuite, parce que leur ampleur est limitée. « Le désarroi, la désillusion et la colère sont à un niveau très élevé – assez élevé pour priver Abbas de toute légitimité, mais pas assez pour mobiliser le public dans la rue contre le président », nuance Khalil Shakiki. Pour symboliques, les mouvements de rue ne sauraient suffire à canaliser les demandes. « Les manifestations sont insuffisantes : il ne suffit pas de dire aux gens de descendre dans la rue dans l’espoir que ceux qui sont aux commandes les écoutent, il nous faut construire un élan politique », affirme Nour Odeh.

Mais la capacité de mouvements, même structurés en partis, à peser sur la question du scrutin pourrait elle aussi se révéler limitée. « De nombreuses listes critiquent la décision (de Abbas), mais leur influence auprès du leadership ou du président est incertaine », remarque Alaa Tartir. Reste à savoir si, et quand, un nouveau scrutin pourrait avoir lieu et quelles leçons seront tirées de cette répétition générale, alors que beaucoup d’observateurs regrettent que « les efforts des listes de l’opposition pour mobiliser leurs bases au cours de ces derniers mois aient été insuffisants », note Khalil Shakiki.

Premiers scrutins depuis ceux organisés il y a 15 ans dans le sillage de la mort de Yasser Arafat en 2004, ils étaient accueillis comme le rendez-vous électoral de la dernière chance, même par les plus sceptiques : les élections nationales palestiniennes, qui devaient avoir lieu à partir du 22 mai, avaient suscité un inhabituel élan de mobilisation et ravivé des espoirs que l’on...

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