Critiques littéraires

Pour une troisième République égalitaire, souveraine, ambitieuse

Pour une troisième République égalitaire, souveraine, ambitieuse

D.R.

Le soulèvement libanais du 17 octobre 2019, sa générosité, son refus de la corruption et du confessionnalisme, son omniprésence sur le territoire entier de la République, enfin son refus de l’ensemble de la classe politique ont propulsé le nom et la candidature de Nawaf Salam au poste de Premier ministre d’un gouvernement d’indispensables réformes. L’homme, professeur et avocat, était connu pour ses initiatives dans la plupart des cercles rénovateurs de Beyrouth au tournant du siècle et pour ses contributions sur les sujets les plus épineux. Son ambassade auprès des Nations-unies (2007-2017) fut suivie avec attention et confiance. Son mandat à la Cour internationale de Justice de La Haye, depuis 2018, contribue à son aura. Le resurgissement actuel des « monstres » sur la scène politique nationale avec leurs conflits et impasses au milieu d’une conjoncture catastrophique nécessitait sans doute de s’adresser à « la génération de l’espoir », à lui dévoiler le « vaste champ du possible », à lui mettre sous les yeux les travaux de plus d’un quart de siècle continuellement repensés et mis à jour.

Le Liban d’hier à demain n’est pas seulement un appel aux réformes, à des réformes amples et radicales ; il les justifie en raison, les ancre dans l’histoire. D’où son côté éminemment éducatif. À cela on peut ajouter plusieurs traits liés : la modération, les tentatives de neutre objectivité, le plaidoyer permanent pour les jeunes et les femmes, le parti pris institutionnel surmontant luttes et partages factionnels. Le propos ne cherche pas une originalité retentissante. Il se veut une synthèse distincte des thèses en cours, accueillant les plus pertinentes, nuançant les plus abruptes, leur cherchant des homologies dans le monde contemporain comme dans sa prospection d’un système électoral adéquat, fouillant les généalogies historiques en des temps reculés (les communautés) ou plus près de nous dans cette actualité qui ne cesse de nous écharper (guerre, accords, impasses). L’auteur déploie une vaste érudition, s’en autorise pour étayer ses observations et opinions, en profite pour étoffer des concepts et pondérer des analyses.

Le traitement de la crise financière et la construction d’une économie moderne sont vitaux. Ils passent par la centralité de la réforme politique, l’édification d’une dawla madaniyya « qui s’appuiera sur les valeurs d’égalité, de liberté et de justice sociale, et non sur le confessionnalisme, le clientélisme et les passe-droits ». La société libanaise est plurielle, multiconfessionnelle. Elle appelle un système ouvert qui accorde et harmonise sa richesse. Le régime confessionnel l’a fragilisée. « Le drame des Libanais reste d’être des citoyens empêchés dans un État inachevé. » Salam énumère un à un les défauts du confessionnalisme ; il en recense dix qui portent atteinte soit au citoyen, soit à l’État. Persévérer dans ce système ou essayer de l’améliorer sont d’une complète inutilité. Ce à quoi il faut parvenir, c’est inverser les termes de l’équation : « Il ne s’agit ici ni d’un État à construire contre les communautés, ni d’un État qui soit seulement toléré par elles, mais plutôt d’un État capable de les contenir et de les transcender. »

L’accord de Taëf a esquissé des solutions pour parvenir à la suppression du confessionnalisme affirmée dans le préambule de la Constitution. Elles n’ont pas trouvé voie à l’application : bicaméralisme ; administration déconfessionnalisée ; décentralisation administrative ; indépendance de la magistrature ; loi électorale adéquate… On lui doit d’avoir fait taire les canons. Mais en raison de sa déformation, de son application partielle, des hégémonies extérieures et du rôle dévolu aux milices de la guerre… il n’a pu mettre le Liban sur la voie de la reconstruction étatique. « À la lumière de l’expérience passée, il est bien douteux que cela puisse encore se faire rien qu’en remettant Taëf sur les rails. » La véritable déconfessionnalisation sera donc tributaire de l’émergence et du développement de nouvelles forces sociales et de nouveaux groupements politiques, à caractère non confessionnel. Le plan par étapes de la déconfessionnalisation prévu par la Constitution ne pourrait être qu’un reflet du développement de telles formations au Liban.

En attendant l’émergence ou plutôt la consolidation de telles forces, il est nécessaire de se pencher sur des dysfonctionnements de la Constitution, certains anciens, d’autres nés des amendements de 1991. Sans remédier aux imperfections de Taëf, on condamne l’Accord à une mort lente mais sûre, « alors qu’il constitue toujours le fondement de la paix civile au Liban ». Il faut éviter ces blocages qui ne cessent de se répéter et qui trouvent leur source dans des imprécisions constitutionnelles, dans des déséquilibres à redresser, dans des failles à combler… La liste de Salam est convaincante et tous les litiges cités ont abouti soit à la paralysie de l’État soit à des dénouements à ses détriments et à ceux de ses principes fondateurs. Il est d’un grand intérêt de revenir au détail des dilemmes comme à celui des solutions proposées. L’auteur se fait fier de rechercher non une redistribution du pouvoir entre les diverses confessions, mais un renforcement du rôle des institutions constitutionnelles, fût-ce aux dépens des prérogatives dont jouissent leurs titulaires à titre individuel ou communautaire. Seule la « raison des institutions » doit prévaloir.

Le livre de Nawaf Salam embrasse plusieurs champs pratiques et théoriques. Dense, souvent méticuleux, il est servi par une mise en pages aérée et reposante. La voie pour dégager le Liban de ses impasses et de ses monstres est encore ardue. Mais nous éclairent désormais des lumières et des itinéraires.


En appelant à garantir l’indépendance de la magistrature, c’est le principe essentiel de la séparation des pouvoirs, pierre angulaire de l’État de droit, que nous cherchons à renforcer. Évidemment, une meilleure protection de la justice des ingérences politiques devrait mener à une meilleure protection des droits et des libertés de tous. Cette condition est d’autant plus nécessaire pour essayer de restaurer la confiance dans l’État et de remettre le pays sur la voie de la croissance au moment où son modèle économique et financier d’après-guerre semble bien avoir vécu. Ici, par indépendance de la magistrature, il faut entendre le pouvoir judiciaire dans son ensemble, ce qui inclut la justice administrative et financière. Il est grand temps aussi de reconsidérer le rôle et la compétence, sinon l’existence même, des tribunaux spéciaux et d’exception, comme le Tribunal militaire ou la Cour de justice.Certes, une magistrature, dont l’indépendance est renforcée, a un grand rôle à jouer dans la lutte contre la corruption. Cependant, il faut se garder de confondre les questions. C’est bien devant la justice que les gouvernants doivent rendre compte de leurs malversations, mais c’est aux électeurs qu’il revient en dernière instance de sanctionner leurs représentants pour leurs actions politiques ; d’où l’importance capitale de la loi électorale.
La vérité pure et simple est que la déconfessionnalisation du régime politique libanais ne pourra être introduite par des forces politiques elles-mêmes confessionnelles qui se disputent leurs parts respectives au cœur même de ce système confessionnel. Il s’ensuit que la véritable déconfessionnalisation sera tributaire de l’émergence et du développement de nouvelles forces sociales et de nouveaux groupements politiques, à caractère non confessionnel. De ce fait, le processus « graduel » de déconfessionnalisation prévu par la Constitution ne pourrait être qu’un reflet du développement de telles formations au Liban.
En d’autres termes, c’est à la société civile qu’il incombe de relever le défi de la déconfessionnalisation. Sa panoplie d’organisations professionnelles, d’associations d’hommes d’affaires, de syndicats ouvriers, d’unions estudiantines et autres groupes similaires ayant des intérêts qui ne connaissent point de barrières confessionnelles, nous fournit des exemples concrets de ce que pourraient être des institutions à caractère non confessionnel et de la manière de les gérer.Enfin, l’espoir de pouvoir se libérer de l’emprise de ce système confessionnel allait être ravivé par la transcendance des allégeances communautaires, régionales et partisanes dont en particulier les jeunes, dans leur solidarité, ont fait preuve tout au long de la révolte déclenchée en octobre 2019.


Paru simultanément en français et en arabe :

Le Liban d’hier à demain de Nawaf Salam, Actes Sud/L’Orient des livres, 2021, 176 p.

Loubnan : bayna el-ams wa el-ghad de Nawaf Salam, L’Orient des Livres, 2021, 184 p.

Le soulèvement libanais du 17 octobre 2019, sa générosité, son refus de la corruption et du confessionnalisme, son omniprésence sur le territoire entier de la République, enfin son refus de l’ensemble de la classe politique ont propulsé le nom et la candidature de Nawaf Salam au poste de Premier ministre d’un gouvernement d’indispensables réformes. L’homme, professeur et avocat,...

commentaires (3)

M. Nawaf Salam (pardon vous êtes nommé) Ambassadeur auprès des Nations Unis de 2007-2107 , mandat à la Cour international de Justice de La Haye, travaux de plus d’un quart de siècle repenses et mis ajour etc. etc. Monsieur : Bravo . Mais vous êtes en même temps un DESCENDANT de cette classe politique , cause des guerres de 1958, puis les escarmouches des années 1960 , puis 1975 -1990, puis le début –en 1990 - de notre débâcle économique d’aujourd’hui …….Merci c’est toujours les mêmes verso de la même monnaie .

aliosha

15 h 00, le 07 mai 2021

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Commentaires (3)

  • M. Nawaf Salam (pardon vous êtes nommé) Ambassadeur auprès des Nations Unis de 2007-2107 , mandat à la Cour international de Justice de La Haye, travaux de plus d’un quart de siècle repenses et mis ajour etc. etc. Monsieur : Bravo . Mais vous êtes en même temps un DESCENDANT de cette classe politique , cause des guerres de 1958, puis les escarmouches des années 1960 , puis 1975 -1990, puis le début –en 1990 - de notre débâcle économique d’aujourd’hui …….Merci c’est toujours les mêmes verso de la même monnaie .

    aliosha

    15 h 00, le 07 mai 2021

  • Même les FL ont déposer son nom pour être premier ministre

    Bery tus

    14 h 35, le 07 mai 2021

  • Un des grands hommes dont le Liban a besoin pour se reconstruire. Le confessionnalisme politique est la racine des maux que nous vivons, instituant la peur de l''autre et le formalisme. Le refuge devrait être dans l'état, nous dans la communauté, à fortiori religieuse.

    Bachir Karim

    13 h 49, le 07 mai 2021

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