Rechercher
Rechercher

Culture - Exposition

Marwan Rechmaoui, de l’art sorti des décombres...

« But The Trees Kept Voting for the Axe » (Mais les arbres ont continué à voter pour la hache). Sous ce titre intrigant, l’artiste conceptuel, dont tout le travail fait écho aux bouleversements spacio-historico-identitaires de Beyrouth, présente à la galerie Sfeir-Semler une nouvelle série d’œuvres dont certaines sont directement inspirées des débris de l’explosion du 4 août.

Marwan Rechmaoui, de l’art sorti des décombres...

Des dessins immédiats signés Marwan Rechmaoui. Photo : Avec l’autorisation de l’artiste et de Sfeir-Semler Gallery

« Quand la hache pénétra dans la forêt, les arbres dirent : son manche est des nôtres », relate un vieux proverbe scandinave. Marwan Rechmaoui s’en est inspiré pour le titre de sa nouvelle exposition. Et il l’a reformulé en « But The Trees Kept Voting for the Axe » (Mais les arbres ont continué à voter pour la hache), allusion à peine voilée à notre propension, en tant que peuple libanais, à élire ceux qui, sous couvert de solidarité communautaire, contribuent à nous décimer.

C’est à partir de cet intitulé qu’il faut « lire » l’ensemble des œuvres récentes que présente cet artiste plasticien à la galerie Sfeir-Semler de Beyrouth. Un travail conceptuel nourri de recherches et de récits historiques, sociopolitiques et géographico-urbains. Et qui, au moyen de pièces brutalistes, élaborées dans des matériaux industriels et de récupération (comme le béton, le métal, le caoutchouc ou encore la cire), pointe du doigt les effets ravageurs de la guerre libanaise pour mieux se prémunir de ses éternels recommencements.


Des compressions issues des débris du 4 août réalisées par Rechmaoui In situ ponctuent l’espace de deux premières salles de la galerie. Photo : avec l’autorisation de l’artiste et de Sfeir-Semler Gallery

Car tout le propos de Marwan Rechmaoui est construit sur l’idée que la guerre civile n’est toujours pas achevée mais qu’elle a pris d’autres formes, d’autres formats. Et que le seul moyen d’y mettre réellement fin est non pas de tourner la page des belligérances sans explications ni autres formes de procès comme ont tenté de le faire les seigneurs de la guerre reconvertis en politiciens, mais au contraire de réexaminer frontalement ses causes à travers un véritable travail de mémoire pavant la voie à une effective réconciliation nationale.

Lire aussi

Yazan Halwani : Est-ce que mon pays sera plus beau vu de loin ?

C’est ainsi qu’à travers des œuvres diverses, allant de la fresque murale en cire et ciment à la sculpture en béton, en passant par la compression et l’assemblage métallique ou encore le simple dessin sur papier, il livre son interprétation des événements du Liban vus par le prisme de la capitale libanaise, avec ses divisions et clivages spatio-communautaires, mais aussi la corruption endémique de sa caste politique et ses cycles répétés de violence meurtrière.

Beyrouth, la mer, le port…

Tout l’art de Rechmaoui est, de ce fait, basé sur une observation profonde de l’interaction entre identité, territoires urbains et politique. Une thématique complexe qu’illustre d’entrée de jeu Beirut by the Sea. Cette murale, réalisée entre 2017 et 2019 et composée de plusieurs panneaux en béton, cire d’abeille et laiton, reflète « le développement progressif de la capitale libanaise, qui, de petite ville portuaire du début du XIXe siècle, a gagné du territoire sur la mer au fil de l’élargissement de son port par les puissances étrangères occupantes », indique son concepteur. Une pièce, en apparence anodine, mais qui recèle une subtile réflexion sur l’importance du port de Beyrouth, « à la fois ami et ennemi de la ville, sa bouche nourricière et son meurtrier »…

Explosion, compressions, émigration…

L’exposition devait s’ouvrir en avril 2020. Celle-ci ayant été reportée à plusieurs reprises pour cause de confinement dû au Covid-19, les œuvres de Marwan Rechmaoui n’avaient pas encore été déballées lorsque le souffle de l’explosion du 4 août dernier a balayé l’espace de la galerie Sfeir-Semler au 4e étage de l’immeuble Tannous, situé dans le périmètre du port, en plein secteur de la Quarantaine. Protégées par les caisses dans lesquelles elles se trouvaient, elles n’ont pas été affectées. En revanche, la salle d’exposition a eu son lot de dégâts. Vitres explosées, cadres des fenêtres arrachés, cloisons détruites… Mû par un sentiment d’urgence, l’artiste, dont le discours a toujours été en adéquation avec la situation du pays, a aussitôt éprouvé le besoin de réaliser « in situ » de nouvelles pièces à partir des décombres de la galerie. C’est de là qu’est née la trentaine de compressions en forme de valises produites à partir des 600 kilogrammes de métal qui ont jailli de l’éclatement des murs de la galerie. Une installation au sol qui ponctue le parcours des deux premières salles d’un lancinant rappel aux visiteurs de l’impact « compressant » sur la ville et ses habitants de cette terrible déflagration ainsi que de l’important flux de départs et d’émigration qu’elle a engendrée…

Marwan Rechmaoui et ses sculptures en béton symboliques de la décomposition et de l’effondrement de tous les piliers socio-politico-identitaires de la ville. Photo : Avec l’autorisation de l’artiste et de Sfeir-Semler Gallery

Ces Libanais ballottés à tout vent

Rechmaoui, dont le premier réflexe après la tragédie avait été « d’essayer de mettre de l’ordre au sein de la galerie », a également composé, en alignant des profilés d’aluminium récupérés des cadres des fenêtres, des panneaux muraux évocateurs de paysages urbains. Ce plasticien pour qui le support utilisé fait partie intégrante du concept de l’œuvre a également élaboré, par assemblage de ces mêmes éléments, un mobile géant suspendu au plafond. Une pièce qui, derrière l’apparente légèreté de sa forme spiralée, pourrait évoquer le tourbillonnant nuage de nitrate d’ammonium qui imprègne les cellules mnémoniques des Beyrouthins. Mais que l’artiste présente plutôt comme une représentation de la situation de vulnérabilité des Libanais, désormais dépouillés de leurs assises et ballottés à tout vent.

Lire aussi

Du bonheur de refaire la tournée des galeries... En vrai

Une vulnérabilité et un dépouillement de la population qui ne datent pas d’hier. En témoigne, s’il le fallait, The Coop, une sculpture monumentale, réalisée en 2019, et qui offre la reproduction d’un centre commercial désaffecté, situé au sud de Beyrouth. « L’édification de ce bâtiment avait été enclenchée par quelque 600 marchands de rue chassés de leurs kiosques sur la corniche de Raouché par l’invasion israélienne en 1982. Ils s’étaient unis pour construire une coopérative regroupant leurs petits commerces. Sauf que leur entreprise solidaire avait été combattue par les riverains qui avaient stoppé net le chantier en 1986. Et la Coop avait rejoint le flot d’immeubles beyrouthins à la construction inachevée », raconte Rechmaoui. Lequel, depuis sa fameuse Tour el-Murr (l’une de ses premières œuvres), a toujours été sensible au destin figé par les événements de ces édifices restés à l’état de piliers de béton qui ponctuent les quartiers de Beyrouth et en racontent l’histoire contemporaine…

Le rouleau des jours

Comme un sas de respiration, la troisième salle de l’exposition présente aux visiteurs un aspect de la pratique de Marwan Rechmaoui assez méconnue. À savoir, le fait qu’il dessine tous les jours ses réflexions et ressentis immédiats. Autant le bonheur d’un copieux petit déjeuner que la pensée qu’il y aurait de la violence chez Chagall… Dans cette sorte de cabinet de dessins en couleurs, le visiteur entre aussi bien dans la tête de l’artiste que dans son intimité. Et il y découvre, à travers des croquis et notes sur papier indien en coton tissé main, une fantaisie et une légèreté insoupçonnées au vu de son travail sculptural et conceptuel. On y retrouve néanmoins l’ironie de son regard posé sur les choses et les situations, notamment dans Roll of Days (Le rouleau des jours) un long dessin de 11m, qu’il a entamé en février 2020 et achevé un an plus tard et qui déroule sur l’un des murs de la salle des bribes de son quotidien en confinement.

Ces piliers qui s’écroulent…

Et c’est par une salle entièrement occupée par de grands piliers de béton qui semblent émerger d’un champ de bataille (avec par-ci leurs tiges métalliques dénudées, par-là des restes de carrelage accrochés…) que s’achève le parcours. Seize nouvelles sculptures d’une série entamée en 2014 et intitulée The 7 Pilars of Wisdom (détournement ironique du titre des Mémoires de Lawrence d’Arabie qui joua un rôle important dans la fragmentation des territoires du Moyen-Orient). Une série qui s’est élargie à 45 pièces, au fur et à mesure du collectage par Marwan Rechmaoui des divers événements « qui ont détruit le passé et détruisent l’avenir des habitants de cette région du monde », dit-il. Et dont les 16 récents piliers, issus de ses souvenirs en flash-back de Beyrouth durant la guerre, portent les empreintes symboliques de la destruction, de l’abandon, de l’éventrement de cette ville, dont tous les piliers socio-politico-identitaires se décomposent et s’écroulent aujourd’hui. Une ville victime d’abus en tout genre, violences, corruption, irresponsabilité, d’une classe dirigeante elle-même issue de la guerre…

Galerie Sfeir-Semler « But The Trees Kept Voting for the Axe », de Marwan Rechmaoui, immeuble Tannous pour les métaux, Karantina. Du lundi au samedi, de 10h à 18h. Jusqu’à début août.

« Quand la hache pénétra dans la forêt, les arbres dirent : son manche est des nôtres », relate un vieux proverbe scandinave. Marwan Rechmaoui s’en est inspiré pour le titre de sa nouvelle exposition. Et il l’a reformulé en « But The Trees Kept Voting for the Axe » (Mais les arbres ont continué à voter pour la hache), allusion à peine voilée à notre...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut