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Culture - Exposition

Yazan Halwani : Est-ce que mon pays sera plus beau vu de loin ?

Graffeur peintre-muraliste depuis l’âge de 15 ans, il a immortalisé Sabah, Feyrouz et d’autres figures mythiques libanaises sur les murs de la capitale. Du street art et de son monde extérieur, le jeune artiste de 28 ans franchit le pas de l’atelier et son intérieur, et présente ses toiles à la galerie Agial sous l’intitulé « Hotel Beirut or Mundane Entropy ».

Yazan Halwani : Est-ce que mon pays sera plus beau vu de loin ?

Yazan Halwani, acrylique et huile, 150x150 cm de la série « Secondary Income ». Photo de courtoisie de l’artiste et de la galerie Agial

« J’ai commencé par reproduire ces figures mythiques libanaises qui ont accompagné la vie de tout citoyen, mais c’était une autre époque, et elles n’ont plus leur place aujourd’hui », déclare d’emblée Yazan Halwani, graffeur peintre-muraliste depuis l’âge de 15 ans, qui présente ses peintures à l’acrylique et à l’huile à la galerie Agial, rue Abel Aziz, à Hamra.

Nous sommes ici en effet loin des portraits de Sabah, Feyrouz ou Mahmoud Darwiche sur les murs de Beyrouth qui arrachaient aux passants un sourire ou un sentiment d’appartenance culturelle.

Le jeune artiste fait son entrée par la grande porte dans le monde de l’art contemporain libanais à travers trois séries : « Perhaps the Moon Is Beautiful Because It Is Far », « Secondary Income » et « Barriers to Entry ». Elles représentent des scènes de la vie quotidienne au Liban et cherchent à déconstruire le mythe de l’exceptionnalisme libanais centré sur l’expatrié qui a réussi, le polyglotte, le Phénicien...

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« Entamés avant la révolte libanaise d’octobre, ma réflexion et mon travail prenaient tout leur sens après le soulèvement du peuple. Le bonheur n’était plus dans le pré et j’avais besoin de toucher le chaos de plus près », explique-t-il.

L’artiste ajoute : « L’art libanais, en termes de représentations de ma génération, s’est arrêté à la guerre civile. Nous n’avons pas vécu la guerre, mais nous sommes témoins et acteurs d’une toute autre forme de violence. » Son œuvre chargée d’une dimension existentielle se situe entre le grave et le culturel. Elle a d’abord pour objet une quête de réponses pour toute une génération désœuvrée dans la permanence de l’abandon. Abandonnée à elle-même d’abord, et abandonnant à son tour un pays qui l’encourage à le faire ou qui l’a programmée tel un produit d’exportation. D’où l’intitulé de l’exposition, « Hotel Beirut or

Mundane Entropy ». La réflexion de l’artiste prend en effet son départ dans la théorie de l’entropie (augmentation du désordre et affaiblissement de l’ordre), et lui sert pour essayer de mieux sonder cette notion d’identité et de se poser la question que toute une génération soulève : « Mais que sommes-nous exactement ? »

Dans « Perhaps the Moon Is Beautiful Because It Is Far », Yazan Halwani dépeint Beyrouth vue du hublot d’un avion de la MEA. Photo de courtoisie de l’artiste et de la galerie Agial

Génération recyclable

Une bonne éducation, un bagage culturel suffisant, et voilà toute une génération prête à accomplir une mission qu’on lui a assignée et qu’elle accepte comme un fait accompli. Une génération nourrie aux phrase récurrentes, comme un exercice narratif imposé qu’on lui a si longtemps ressassé, de phrases clichées devenues un leitmotiv : « Vous réussirez partout, quelles que soit la destination ou les conditions, vous retomberez raides et solides sur vos deux jambes, vous êtes libanais après tout, vous êtes notre fierté ! Presque comme un hymne national… »

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« Secondary income, confie Yazane Halwani (issu lui-même du monde des finances et de l’ingénierie) est un terme utilisé en économie pour désigner les rentrées économiques générées par les émigrants. Notre génération est aujourd’hui un capital, une commodité exportable, un produit garanti pour contribuer à l’essor de l’économie du pays et, pourquoi, pas à son relèvement. Nous avons développé une addiction à cette mécanique, négligeant complètement l’aspect humain, car avant d’être une source de revenus, nous sommes des êtres pensants, des cœurs battants. Quel père ne s’est pas targué aujourd’hui d’avoir ses enfants en Afrique, en Arabie saoudite ou à Londres pour le soutenir financièrement ? Mais nous, est-ce qu’on nous a posé la question de savoir si nous étions heureux ? » Le jeune artiste pose le doigt et le pinceau sur une plaie béante : « Mon pays est une utopie, transformé en une manufacture d’export, et nous sommes des identités qui peuvent s’accommoder ou pas, mais à qui on ne laisse pas le choix. Et voilà le dilemme ultime qui s’impose et la question qui se pose : est-ce qu’il sera plus beau, mon pays, vu de loin ? Et comment va-t-il se relever si je l’abandonnais ? »

Partir, revenir, repartir

Il arrive souvent aux expatriés qui rentrent au pays de poster sur les réseaux sociaux l’image de Beyrouth vue d’un hublot et, accessoirement, d’applaudir à l’atterrissage. « Une belle image, comme une utopie, une fiction, dit l’artiste. Une idée platonique qui n’existe que dans notre imaginaire et qui dissimule une triste réalité. Alors, cette image un peu glamourisée s’installe à notre insu avec cette relation d’amour/haine que nous allons entretenir avec Beyrouth. » Une belle image devenue peinture dans sa série « Perhaps the Moon Is Beautiful Because It Is Far ». « On s’est connu, on s’est reconnu/On s’est perdu de vue, on s’est r’perdu d’vue. /On s’est retrouvé, on s’est réchauffé/ Puis on s’est séparé », chantait Jeanne Moreau dans Le Tourbillon de la vie. Il est là, le tourbillon de la vie, sur les toiles de Yazan où se côtoient des valises aux silhouettes presque humaines, des salles de départ pleines de questionnements et des regards hagards. « N’allons-nous jamais revenir ? Elle est là, la vraie violence, avoue Yazan Halwani, dans cette dualité du partir/revenir, dans ce chaos que nous abandonnons et l’espoir demiurge de penser, à la manière d’Ouranos, que nous sommes capables de rétablir l’ordre par la simple force de nos esprits pensants et productifs, et lorsque nous partons, qui sommes-nous vraiment ? » s’interroge l’artiste.

Yazan Halwani, « utoportrait » à l’acrylique et huile 200 x 200 cm de la série « Barriers to Entry ». Photo de courtoisie de l’artiste et de la galerie Agial

Connecté ou pas ?

Nous leur prêtons rarement attention, mais nous nous trouvons bien frustrés quand ils décident de ne plus nous tenir (connectés) au courant. Les prises et les adaptateurs électriques qui nous permettent de charger un téléphone portable ou un ordinateur, dans un hall d’aéroport ou dans une chambre d’hôtel, un appareil, voire deux... Pour se brancher et s’adapter à chaque nouveau monde.

« Nous sommes pareils à ces petits accessoires, aux multiples formes et aux fonctions différentes », semble dire l’artiste dans sa série « Barriers to entry », certes conceptuelle mais si violement concrète, et qu’il revendique comme ses autoportraits ou ceux de tout un chacun en éternelle partance. Des pièces qui passent l’électricité, se superposent et se mélangent, la frustration de ne pas en posséder les bonnes, indispensables dans chaque coin du monde que nous foulons, qui deviennent le cumul de nos expériences, les témoins de nos multiples allers-retours, un peu à la manière des visa tamponnés sur notre passeport. Mais l’artiste pousse le concept plus loin en se posant la question suivante : tous les accessoires, à la manière de l’être humain, sont-ils compatibles à l’ailleurs, et sommes-nous vraiment prêts à nous adapter ailleurs ?

Au croisement d’une réalité violente et d’un art subtilement pétri d’humanité, le visiteur de la galerie Agial vacille entre la compréhension visuelle et l’esthétique. Le sujet abordé devient alors un prétexte pour attester de l’intensité, de la puissance et de la maîtrise du geste de l’artiste, et lui conférer une place méritoire, celle d’un graffeur devenu un artiste peintre en puissance, celui qui secoue les brosses, les pinceaux et les consciences.

Galerie Agial, « Hotel Beirut or Mundane Entropy », de Yazan Halwani. Rue Abdel Aziz, Hamra, jusqu’au 12 mai, de 11h à 19h.

« J’ai commencé par reproduire ces figures mythiques libanaises qui ont accompagné la vie de tout citoyen, mais c’était une autre époque, et elles n’ont plus leur place aujourd’hui », déclare d’emblée Yazan Halwani, graffeur peintre-muraliste depuis l’âge de 15 ans, qui présente ses peintures à l’acrylique et à l’huile à la galerie Agial, rue Abel Aziz, à...

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