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Nos Lecteurs ont la Parole

Dire la vérité pour libérer sa conscience

J’ai travaillé durant de très longues années dans un milieu scolaire. Or mon expérience m’a appris que peu d’entre nous parlent franchement aux jeunes. Nous essayons trop souvent de leur faire croire qu’il est amusant d’apprendre, que le travail est toujours intéressant et le mariage toujours idyllique. Comment s’étonner donc, après cela, que certains abandonnent l’école, découragés d’avoir découvert que toute étude comporte une part de travail dur et ingrat ; que d’autres quittent leur situation parce que toute occupation a ses côtés fastidieux ; que certains divorcent, ayant constaté que le « septième ciel » se révèle peu habitable aux simples mortels. On les a trompés, et ils ne trouvent pas en eux les ressources nécessaires pour surmonter leur déception.

C’est un peu ce qui est arrivé à des gens qui furent mes voisins. D’origine très modeste, ils avaient décidé que leur garçon et leur fille auraient tout ce qui leur avait manqué. Rania et Rabih n’avaient qu’à ouvrir la bouche pour obtenir tout ce qu’ils pouvaient désirer et leurs tendres parents s’efforçaient de leur épargner la moindre contrainte et le moindre effort. Un jour, quand Rania était encore dans les petites classes, ils l’autorisèrent à ne pas aller à l’école parce qu’elle ne savait pas sa récitation. Et au lieu de l’aider à l’apprendre, ils la laissèrent aller au cinéma.

Elle pleurait tellement, la pauvre petite, que cela nous fendait le cœur, expliqua son père. La vie est assez dure déjà pour les adultes ; au moins que les enfants ne souffrent pas à cause des expériences amères.

Certes, l’avenir d’un enfant n’est jamais assuré, quelle que soit l’éducation qu’on lui donne. Mais après avoir exercé pendant quarante ans le métier dans un collège et quinze ans celui de père de famille, je suis convaincu que l’enfant préparé aux joies comme aux aléas de l’existence a plus de chances qu’un autre d’acquérir une véritable maturité d’esprit. Comment pouvons-nous donc préparer nos enfants à la vie ?

Disons-leur la vérité, surtout si elle est pénible. J’ai connu un père de famille qui donnait de l’argent sans compter à son fils et à sa fille, âgés l’un d’une quinzaine d’années et l’autre de treize ans. Le jour où il subit un revers de fortune, il ne voulut pas les mettre au courant, bien qu’ils fussent d’un âge à comprendre. Un élève de douze ans vint un jour me trouver. Il était au bord des larmes. Son père avait perdu une situation après l’autre. À chaque échec, il se laissait aller à des colères plus prolongées et plus violentes, finalement il avait demandé une explication à sa mère : « Ton père est alcoolique, lui avait-elle répondu. Maintenant, tu es au courant, et je ne veux plus jamais entendre prononcer ce mot. »

Cette femme avait dit la vérité à son fils, mais sans l’aider à comprendre la situation, sans lui expliquer que l’alcoolisme est une maladie ni lui suggérer un moyen d’améliorer les choses. Elle avait fermé la porte à toute discussion ; rien d’étonnant que le garçon m’ait avoué entre deux sanglots : « Je crois que c’était une façon de dire que son père est un raté. »

Ce petit garçon-là avait appris de bonne heure que la vie n’est pas rose, mais il était trop jeune pour porter son épreuve personnelle sans appui et sans affection.

Chacun est malheureusement appelé à perdre un être cher un jour ou l’autre. Un enfant avait huit ans à la mort de son grand-père. Ses parents, voulant lui épargner un chagrin, lui masquèrent la vérité et prétendirent que grand-père était parti en vacances. Mais il ne lui avait pas dit au revoir, il ne lui écrivait pas, il n’est jamais revenu. Son nom fut ensuite bien rarement prononcé ; ses photos disparurent. L’enfant a fini par se rendre compte qu’il était mort et, bien qu’il ait pleuré en cachette, il n’a jamais parlé de sa découverte. Il avait pensé que la mort devait être une chose bien terrible pour que personne n’ose en parler. Un fils unique avait environ huit ans également lorsqu’il perdit son grand-père. Les parents l’avaient emmené aux obsèques et, bien qu’il y ait plus de six ans de cela, il se souvient encore de l’émouvant discours prononcé à l’éloge funèbre du grand-père qu’il aimait tant. Il a pleuré ce jour-là, et nous aussi. Nous avons mis en commun notre chagrin comme nous mettons en commun nos joies. Nous avons choisi ensemble la plus jolie photo de son grand-père pour la mettre en bonne place et les parents lui parler de lui très souvent et très volontiers,

Ne laissons pas les enfants se dérober devant les petits ou les grands ennuis de l’existence, il peut s’agir simplement d’un rendez-vous chez le dentiste ou d’une leçon de piano que l’enfant n’a pas préparée, mais il arrive que ce soit plus grave. Une de mes cousines a une petite fille de six ans qui chipa un jour de la gomme à bulles de sa voisine. Quand sa mère s’en aperçut, elle lui dit : « Carole, il y a des petits enfants qui prennent des choses dans les maisons sans permission. Mais c’est très mal. Son père a été obligé de lui donner de l’argent pour acheter cette gomme. » « Maintenant, il faut aller lui rendre ce que tu lui as pris et lui demander pardon », lui dit son père.

Inutile de préciser que Carole n’avait pas le courage d’affronter les parents de sa voisine, mais la mère tint bon. Et c’est à côté de sa maman, un bras protecteur posé sur ses épaules que, la gorge serrée, l’enfant libéra sa conscience en demandant pardon à la mère de sa voisine.

Grâce à cette mère tendre et ferme, je crois savoir quel genre de femme Carole deviendra demain. Elle sera prête à affronter le malheur comme le bonheur. Elle aura le sens du respect d’autrui. Et elle apprendra à faire face aux inévitables difficultés de la vie au lieu de tenter de les esquiver. Ce n’est qu’en parlant avec franchise à nos enfants que nous pouvons les armer contre les difficultés de la vie.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

J’ai travaillé durant de très longues années dans un milieu scolaire. Or mon expérience m’a appris que peu d’entre nous parlent franchement aux jeunes. Nous essayons trop souvent de leur faire croire qu’il est amusant d’apprendre, que le travail est toujours intéressant et le mariage toujours idyllique. Comment s’étonner donc, après cela, que certains abandonnent l’école,...

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