Le président libanais, Michel Aoun, qui a fait de l'audit juricomptable son cheval de bataille, a estimé mercredi dans un discours qu'il n'y avait aucune volonté réelle de mener cet audit, critiquant ainsi ses rivaux politiques, notamment le président du Parlement, Nabih Berry, qu'il accuse de bloquer le processus. Le chef de l'Etat a dans de contexte prévenu que l’abandon de l'audit des comptes de la banque centrale ainsi que celui des autres institutions publiques porterait un coup à l’initiative française en faveur du Liban. A travers ses accusations tous azimuts, notamment contre le ministre des Finances (affilié à Nabih Berry) et le gouverneur de la Banque du Liban, considéré comme étant proche des adversaires politiques du président, M. Aoun prend ainsi le risque de politiser cette affaire et de la rendre encore plus compliquée, tout en cherchant à dire qu'il se conforme aux exigences internationales telles que incarnées par l'initiative française.
Le Liban sombre dans une crise socio-économique et financière aiguë depuis l'été 2019. La situation s'est aggravée en raison de l'impasse politique actuelle qui empêche la formation d'un gouvernement depuis huit mois, sur fond de bras de fer politique entre le président Aoun et le Premier ministre désigné, Saad Hariri, autour de la composition du cabinet et des prérogatives de chacun des présidents dans ce processus. La crise s'est aussi amplifiée à cause de la pandémie du coronavirus et l'explosion catastrophique du 4 août 2020 au port de Beyrouth, qui a fait plus de 200 morts et 6.500 blessés et poussé le gouvernement Diab à démissionner six jours plus tard. La communauté internationale, à sa tête la France dont le président Emmanuel Macron a lancé le 1er septembre à Beyrouth une feuille de route pour une sortie de crise, réclame au Liban d'appliquer immédiatement de sérieuses réformes pour obtenir des aides financières.
"Nouvel atermoiement"
"Hier la réunion attendue entre les représentants du ministère des Finances, ceux du gouverneur de la banque centrale et ceux de la société Alvarez & Marsal s’est tenue sans parvenir à des résultats concrets. Une autre réunion a été décidée vendredi. Pour moi, il s’agit d’un nouvel atermoiement et cela confirme le fait qu’il n’y a aucune volonté réelle de procéder à l’audit juricomptable. Preuve en est : le Conseil des ministres a pris la décision d’effectuer cet audit le 26 mars 2020. Aujourd’hui, plus d’un an plus tard, elle n’a toujours pas été exécutée", a déploré le président Aoun, dans un message adressé aux Libanais et retransmis à 20h à la télévision.
Le cabinet américain Alvarez & Marsal a été mandaté en septembre 2020 pour réaliser l’audit juricomptable des comptes de la BDL, une opération qui vise à remonter à la source des transactions inscrites dans le but de détecter d’éventuelles fraudes. Il avait fini par jeter l’éponge deux mois plus tard suite au refus de la banque centrale de fournir les informations demandées. Un refus que la BDL avait justifié en invoquant la loi sur le secret bancaire.
Après des mois de fausses promesses et de tergiversations, une réunion entre la BDL, le ministère des Finances et Alvarez & Marsal a eu lieu mardi en visioconférence et a débouché sur un calendrier qui permettrait de relancer l’audit.
"Le peuple libanais attend pour connaître le sort de son argent. Il craint que le fruit de ses années de labeur n’ait été pillé, alors qu’aujourd’hui, on cherche à gagner du temps", a martelé le président Aoun, alors que les déposants sont soumis, depuis plus d’un an et demi, à des restrictions bancaires draconiennes qui les empêchent d’accéder à leurs économies.
"Coup" à l'initiative française
"Avant mon retour au Liban en 2005, je voyais les risques d’un effondrement financier. Lorsque je suis devenu le chef d’un bloc parlementaire, j’ai réclamé un audit juricomptable des comptes de la banque centrale et la création d’un tribunal spécial pour les crimes financiers", a rappelé le chef de l'Etat. "Ces deux revendications sont restées dans les tiroirs. Une fois élu à la présidence de la République, j’ai essayé en vain pendant trois ans d’ouvrir la voie vers l’audit juricomptable pour protéger les fonds des déposants. Mais la crise monétaire et financière était en train d’augmenter. Les indices de l’effondrement ont commencé à se manifester à partir de juillet 2019 et la situation tragique est apparue au grand jour le 17 octobre 2019", a-t-il souligné. Et de poursuivre, ciblant notamment le ministère des Finances : "Le 26 mars de l’année précédente, j’ai demandé au gouvernement présidé par Hassane Diab et au ministre des Finances (Ghazi Wazni, proche de Nabih Berry, ndlr) de prendre les mesures nécessaires pour procéder à l’audit juricomptable pour pouvoir connaître les causes de l’effondrement monétaire et financier (...) Des motifs peu convaincants ont été avancés pour empêcher le Conseil des ministres de charger la société internationale Kroll de procéder à l’audit. Après beaucoup d’efforts, le Conseil des ministres a donné son accord pour charger la société Alvarez & Marsal de l’audit et il a mandaté le ministre des Finances pour signer l’accord conclu avec elle. Cette signature a eu lieu le 1er septembre 2020, c’est-à-dire il y a plus de 5 mois".
"L’abandon de l’audit juricomptable porterait un coup à l’initiative française. Car sans lui, il n’y aura pas d’aides internationales, ni de Conférence CEDRE, ni un appui arabe et des Etats du Golfe en particulier, ni de Fonds monétaire international", a prévenu Michel Aoun. "L’audit juricomptable est le chemin qui mène vers l’identification de ceux qui ont causé l’effondrement financier. Il n’est pas une demande personnelle du président de la République. Il est au cœur de l’initiative française et des exigences du FMI. (...) C’est une demande de tous les Libanais", a-t-il insisté.
S'adressant aux Libanais, le président a dit : "Vous pouvez ne pas être d’accord avec moi en politique, mais vous me trouverez toujours à vos côtés dans les causes justes. Je suis en première ligne, devant vous, dans la bataille pour dévoiler les dessous de la plus grosse opération de pillage de l’histoire du Liban. Soyez avec moi, mettez de côté tous les conflits politiques entre vous". Cet appel aux Libanais intervient au moment où dans la rue, de nombreux citoyens conspuent le président Aoun et son camp et l'accusent de corruption et d'incompétence, depuis le début de la révolte populaire déclenchée le 17 octobre 2019.
Réunion du gouvernement Diab
Le président Aoun a également envoyé des messages aux responsables politiques, à la banque centrale et aux banques privées. "Aux leaders politiques et non politiques, je dis : votre responsabilité est grande devant Dieu, devant le peuple et devant la loi. Ce qui s’est passé n’aurait pas pu se produire si vous n’aviez pas, au minimum, assuré une couverture à la banque centrale, aux banques privées et au ministère des Finances. A la banque centrale, je dis : la responsabilité principale de la situation repose sur vos épaules. Vous auriez dû réglementer l’action bancaire et prendre les mesures nécessaires pour protéger les dépôts des gens. Vous auriez aussi dû imposer des critères pour les liquidités. Aux banques, je dis : votre responsabilité est claire et vous ne pouvez pas fuir cette réalité". Et de lancer un appel à la communauté internationale : "Aux Etats qui affichent leur solidarité avec le peuple libanais et réclament la transparence au sein de la banque centrale et du secteur bancaire, ainsi que des réformes financières et monétaires, je dis : Aidez-nous à dévoiler les opérations de transfert de fonds réalisées après le 17 octobre 2019, qui ont pris l’aspect d’une fuite financière".
M. Aoun a estimé que "faire sauter l’audit juricomptable c’est porter un coup à la décision du gouvernement". "J’invite ce gouvernement à tenir une réunion extraordinaire pour prendre les décisions adéquates pour la protection des dépôts des gens, pour la découverte des raisons de l’effondrement et pour définir les responsabilités, en prélude à la demande de comptes et à la récupération des droits", a-t-il dit. Toutefois, Hassane Diab a déjà fait savoir à plusieurs reprises qu'il refusait d'exercer des missions en dehors de l'expédition des affaires courantes dont est chargé son cabinet depuis sa démission.
Et le président de lancer à l'adresse des Libanais : "L’audit juricomptable n’est que le début. Cette bataille est peut-être plus difficile que celle de la libération de la terre. C’est une bataille contre le corrompu et le voleur, qui sont peut-être plus dangereux que l’occupant ou l’agent. Celui qui vole l’argent des gens vole la patrie. Je vous lance un appel, non pour être avec moi, Mais pour être avec vous-mêmes et avec l’avenir de vos enfants ! Découvrons ensemble les réalités pour pouvoir récupérer le droit. Nous aurons par la suite, tout le loisir d’avoir des divergences en politique. Mais pour l’instant, nous devons faire front !"
commentaires (8)
c'est un enlevement-kidnapping de pure forme. tout se joue des lors que la BDL partage ses dossiers avec qui de droit, sinon rien ni aucun pays ne nous aide. quant a tout ce que son gendre fait qui empeche la formation du gouv pff! pas de probleme .
Gaby SIOUFI
10 h 01, le 08 avril 2021