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Culture - Dans l’atelier de...

Guillaume Credoz, l’artiste qui murmure à l’oreille des robots

Le parcours de cet architecte, dirigeant d’entreprise et chercheur français libanais de cœur, est très inspirant. Lauréat de nombreux prix et distinctions, Bits to Atoms, son laboratoire de recherche, de création et de réalisation est l’un des bureaux d’architecture les plus créatifs et innovants de la région. Il était le premier au Moyen-Orient, en 2013, à proposer des impressions 3D au grand public. Visite des lieux habités par Habibi, Hayati, Albi, Ouyouni et Rouhi...

Guillaume Credoz, l’artiste qui murmure à l’oreille des robots

Pour Credoz, « l’architecture n’est pas sur un ordinateur, ni sur du papier, mais avec de la matière ». Photo Michel Sayegh

Mkallès, cité industrielle. Région peuplée d’usines ou d’ateliers traditionnels, au premier abord peu inspirante pour la création originale et débridée, elle abrite au bout d’une de ses pentes abruptes un espace de plus de 1 500 m2 sur deux étages occupé par d’étranges créatures géantes aux surnoms affectueux.

Quelques marches et nous voilà dans l’ancienne usine désaffectée à qui Guillaume Credoz, architecte chercheur et inventeur français, a redonné vie.

« Dans les années 40, explique-t-il en accueillant ses visiteurs, c’était une usine fabriquant des boîtes de conserves et plus tard, un atelier de menuiserie traditionnelle. » Aujourd’hui, 25 architectes, ingénieurs, artisans et designers s’y affairent, façonnent et créent du beau et du fonctionnel. Mais ce sont surtout ces monstres de trois mètres de hauteur qui kidnappent le regard, des robots créés de toutes pièces par l’architecte et son équipe. Les surnoms amoureux libanais (Habibi, Hayati, Albi, Ouyouni et Rouhi) attribués à ces créatures ont étés inspirés, avoue l’architecte, par Soraya Haddad, son épouse libanaise et céramiste de renom. « Je n’ai jamais appris l’arabe, confie-t-il, mon épouse s’est contentée de m’enseigner les seuls mots qu’elle a voulu que je lui chuchote. »

Pour avoir fabriqué la première imprimante 3D dans la région et avoir été le premier à proposer des impressions de ce genre au grand public, Guillaume Credoz, fondateur du studio d’architecture Bits to Atoms, est reconnu aujourd’hui comme étant l’un des pionniers du mouvement des designers-makers. Avant de s’établir au Liban et de créer son propre studio, il a d’abord été professeur et chercheur associé, a enseigné la conception en design et architecture dans deux universités canadiennes (l’Université du Québec à Montréal et l’Université de Montréal) et a collaboré avec plus d’une vingtaine de bureaux d’architecture autour du monde (France, Canada, Turquie et Syrie).

Une chaise imprimée... Photo Michel Sayegh

Penser et fabriquer

« C’est une espèce de mue naturelle, dit l’architecte pour expliquer l’apparition du métier de designer-maker. La menuiserie traditionnelle disparaît face au digital. Au commencement, les artisans maîtrisaient leurs outils mais ignoraient tout du design, la révolution industrielle est arrivée et a divisé les designers et les ouvriers. Suivront des designers à part entière qui créent sans maîtriser le processus de l’exécution et des ouvriers qui ne créent pas mais se contentent d’exécuter, jusqu’au jour où les machines, que l’on peut contrôler par ordinateur, serviront à des architectes créateurs capables de contrôler la 3D et de mettre en place toute l’information pour qu’un robot le fasse soudainement. Je suis redevenu cet artisan digital parce que je pense mes créations et je les fabrique. » Guillaume Credoz est ainsi devenu ce que l’on designe dans le jargon du métier un maker. Et ses robots sont là pour lui prêter main-forte.

Pour mémoire

Quand Guillaume Crédoz part en campagne pour son robot portraitiste

Pour être identifiés selon leur fonction de transformer le métal, le verre, le plastique ou le bois, les engins ont été peints en rouge, orange ou bleu. Montés à partir d’un bras robotique de 2,5 tonnes récupéré dans l’industrie automobile (une économie dévastée au Liban et sévèrement touchée par l’explosion d’août 2020), les différents bras sont recyclés et résistants aux UV. Pour imprimer par exemple des objets en plastique, le polycarbonate concassé est placé dans une trémie (un entonnoir en forme de pyramide inversée, NDLR). Le bras robotique recueille le plastique fondu et le reverse en lignes, produisant ainsi une forte cohésion entre les deux matériaux. Une fois les éléments réalisés grâce à cette imprimante 3D, ils sont assemblés et montés. « Bits to Atoms récupère le plastique dans les poubelles et propose ainsi une manière innovante de gérer la crise des déchets que subit le Liban depuis 2015 », déclare fièrement Guillaume Credoz. « On utilise les meilleurs outils de la révolution industrielle (les bras robots), on les achète d’occasion, on les transforme et on les programme pour fabriquer nos créations, explique-t-il. Ainsi, on fait évoluer la maquette jusqu’à devenir des mockups, des morceaux de bâtiments réalisés à une échelle très proche de l’échelle 1/1 avec les vraies matières. C’est un double processus qui permet de mieux étudier et parfaire les détails, de vérifier que ce qu’on a dessiné fonctionne, de trouver des opportunités pour faire mieux et de communiquer avec le client qui visualise à la perfection le projet en devenir. Lorsque nous arrivons sur le chantier, la moitié du chemin a été parcourue, et si les conditions sont difficiles, cela nous importe peu, nous savons à quoi nous attendre. Pour obtenir le meilleur des résultats, il faut que le design soit à la pointe, qu’il utilise le maximum de la capacité du robot », détaille le Français qui estime que « l’architecture n’est pas sur un ordinateur, ni sur du papier, mais avec de la matière ».

L’installation/pavillon « Platonic Volumes and Cosmologies », réalisée par Bits to Atoms à partir des déchets en plastique. Photo DR

L’architecture, c’est avant tout de la matière

Un travail mené à la perfection et innovant qui a valu à l’une des réalisations du studio d’architecture Bits to Atoms de remporter le prix de la Compétition de design pour la construction d’un pavillon dans le cadre de Curiocity Brisbane (laboratoire de recherche et de fabrication) édition 2021. Du 12 au 28 mars dernier, la ville australienne a célébré les sciences, les arts et les technologies innovantes, en favorisant la rencontre des nouvelles possibilités de jeu et des grandes idées. « Il s’agit d’un programme STEAM (acronyme anglais pour Sciences Technologie Ingénierie Mathématiques, associé aux Arts), comprenant des installations interactives et des événements, prévu pour transformer la ville en terrain de jeu interactif », indique Guillaume Credoz. Bits to Atoms, tout en faisant honneur à l’histoire de la pensée scientifique dans le concept du pavillon, a proposé une installation intrigante (voir par ailleurs). Avant d’être envoyé en Australie, le pavillon « Platonic Volumes and Cosmologies » de huit mètres de diamètre et de huit mètres de hauteur, a été assemblé à Beyrouth, où il a été prototypé et produit. L’architecte explique : « Le processus créatif a permis d’imaginer notre proposition et de le réaliser grâce aux avancées technologiques. Nous sommes dans une recherche constante de matériaux et de techniques nouvelles et durables pour concevoir des objets innovants. En testant les limites du polycarbonate recyclé, Bits to Atoms a créé un nouveau type d’élément structurel. Les poutres qui constituent le pavillon sont intégralement faites de plastique recyclé. La majorité des segments sont transparents. Une fois que le public examine les volumes individuels posés au sol, il peut commencer à les reconnaître, imbriqués dans la structure », note Credo. Mais le travail de ses robots Albi, Ouyouni, Hayati et consorts ne s’arrête pas là. À la manière de Buckminster Fuller (architecte, inventeur et ingénieur américain) qui avait pour ambition de trouver ce qu’un individu seul pouvait faire pour contribuer à changer le monde et bénéficier à l’humanité tout entière, l’horizon créatif et innovateur de Guillaume Credoz s’étend à l’infini. Ses créatures robotisées contribuent à la réalisation de mobilier, d’objets design, de maquettes pour les projets d’architecture, de luminaires et aussi de lunettes... Le dernier robot a même été invité à réaliser, en direct, des portraits des participants d’un congrès ! Explorer le potentiel et aller chercher les nouvelles matières à partir de recyclage, voilà ce qui, au final, anime l’architecte et son équipe.

Grâce à cette formule magique où on règle deux problèmes à la fois, Guillaume Credoz récupère le plastique des poubelles, les CD et DVD, les gallons d’eau et les phares des voitures (constitués de polycarbonate lavé et écrasé et qui permettent de produire un plastique très dur). L’aluminium, le métal des casseroles, les bois de chantier, tout est exploité. « Faire des meubles avec la terre locale contribue à régler le problème de l’importation due à la crise économique libanaise », martèle-t-il.

De la mécanique à la mécatronique, de la conception à l’exécution, avec une grande efficacité de moyens, Guillaume Credoz et son équipe passent du stade de grands créateurs à celui de protecteurs de la planète, et cela, en toute beauté…

Mkallès, cité industrielle. Région peuplée d’usines ou d’ateliers traditionnels, au premier abord peu inspirante pour la création originale et débridée, elle abrite au bout d’une de ses pentes abruptes un espace de plus de 1 500 m2 sur deux étages occupé par d’étranges créatures géantes aux surnoms affectueux.Quelques marches et nous voilà dans l’ancienne usine...

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