Avec ses lunettes rondes – qu'il a lui-même fabriquées – et ses moustaches foisonnantes, Guillaume Crédoz a quelque chose des professeurs Tournesol ou Nimbus, nouvelle génération. Un chercheur-inventeur qui aurait remplacé éprouvettes et expériences en laboratoire par des bidouillages technologiques dans un fab lab : un atelier ouvert au public (à Hazmieh) où on travaille beaucoup sur tout ce qui est fabrication numérique.
Bouille ronde, regard en permanence étonné, l'enthousiasme contagieux et la créativité toujours en alerte, l'architecte et designer français, libanais d'adoption, est ce qu'on appelle un « maker ». « C'est-à-dire quelqu'un qui fabrique des choses et même des outils de fabrication », explique-t-il.
Installé au pays du Cèdre depuis 18 années – entrecoupées néanmoins de longs séjours au Canada, où il a enseigné l'architecture et le design dans deux universités –, il a collaboré à plusieurs projets de grands architectes libanais (Ziad Akl, Nabil Gholam, Raed Abillama, Fadlo Dagher...) avant de se lancer à fond dans le mouvement des makers, dont il est l'un des pionniers au Moyen-Orient. En 2012, il introduit la première imprimante 3D au Liban et crée la première entreprise du genre dans la région. « Cette imprimante industrielle a permis aux start-up et aux fabricants de hardware de créer leurs prototypes et leur début de production localement. Et, en même temps, avec mes associés Nareg Karaoghlanian (ingénieur et professeur à l'AUB) et Chady Karlitch (programmeur), on fait de la recherche et du développement de produits. On vient de concevoir, par exemple, une smart lock pour une start-up libanaise. Un système informatique qu'on installe à la place de la clé contre sa serrure à l'intérieur de sa maison et qui permet d'ouvrir sa porte au moyen d'une application sur son téléphone portable », indique-t-il.
Automate dessinateur
« Parallèlement aux projets que l'on développe pour d'autres entreprises, on mène aussi nos propres travaux de recherche, souvent fondamentale. Et c'est dans ce registre-là que nous avons créé un modèle prédictif de la représentation graphique. C'est-à-dire une machine qui a un grand bras robot articulé comme un bras humain. Baptisée TOD (The obsessive Drafter), cette création, entièrement conçue et élaborée au Liban depuis les pièces imprimées en 3D jusqu'au code informatique, est capable de sentir quand quelqu'un s'approche, de reconnaître que c'est une personne et de décider, par elle-même, d'en reproduire l'image », précise l'architecte-maker.
« Certes, ce robot qui dessine spontanément les gens qu'il croise, et à travers lequel on voudrait trouver les lois de la représentation graphique, n'a pas une utilité (commerciale) aussi évidente qu'un ouvre-boîte automatique, mais ce qu'il faut comprendre, c'est que lorsqu'on veut développer l'innovation, il faut créer un environnement comprenant, entre autres, des gens qui font de la recherche pure », martèle Guillaume Crédoz.
Après les Design Days Dubai, la Biennale de Saint-Étienne
« En 2014, nous avons été invités à présenter TOD aux Design Days Dubai qui, avec le Qatar, nous ont donné un peu de fonds pour réaliser les premiers prototypes. Et là, c'est la Biennale de Saint-Étienne qui nous a trouvés et nous a invités », soutient-il fièrement. « Malheureusement, nous avons des difficultés à trouver du financement pour l'y emmener. Il nous faudrait entre 8 000 (pour reprendre la première version) et 15 000 dollars américains (pour en faire une nouvelle améliorée). C'est pourquoi nous avons lancé une levée de fonds sur Zoomaal pour recueillir les dons des personnes désireuses d'aider à la réalisation de ce projet », indique Guillaume Crédoz. Un projet décrit dans le livre Efficient Fictions recensant, en français, anglais et arabe, 43 stratégies de design et d'architecture utilisées dans sa pratique et qu'il a présentées il y a deux jours au cours d'une conférence au Musée Sursock.
Pour mémoire
Faiseurs d’objets, faiseurs de changements sociaux