Entretiens

Un grand écrivain parle à la littérature

Un grand écrivain parle à la littérature

D.R.

Nous avons interrogé Charles Dantzig, l'auteur du fameux Dictionnaire égoïste de la littérature française, à propos de Baudelaire. Est-il pour ou contre ce « grand écrivain » ?

Être pour ou contre Baudelaire, c’est comme être pour ou contre les montagnes. Il est là, et bien là. On peut l’aimer, ne pas l’aimer, s’y intéresser, s’en désintéresser. Je ne pense pas très souvent à lui. Pour moi, il est par moments un de ces merveilleux nuages dont il parle dans ses poèmes en prose (cette spécificité française, viens-je de lire dans la New York Review of Books), à d’autres, un noir cumulonimbus projetant une petite grêle fine et blessante. J’évite Le Spleen de Paris, trop vaporeux, et surtout ce qui crie son amertume, son mépris, ses idées ineptes, comme Pauvre Belgique et sa correspondance. Le meilleur Baudelaire se trouve à mon estime dans les essais d’esthétique et dans Les Fleurs du Mal. Là, sous l’effet heureux d’une prosodie qui le serre, il s’élève à un hiératique admirable, qui fait l’effet d’une statue de marbre, soit au soleil, soit dans l’orage. Adolescent, j’ai adoré « La vie antérieure » et je l’adore encore. Le dernier vers des « Deux bonnes sœurs » et la façon dont il y arrive, « Sur tes myrtes infects enter tes noirs cyprès », est un prodige d’usage du français. Il tient non seulement à son rythme sec de cigale, mais au mot « infect », tant pour la sonorité que pour son sens, qui semble un sarcasme adressé à l’entièreté de la poésie élégiaque. On pourrait le publier vis-à-vis de ce très beau poème de Maynard qui exprime le contraire et où l’on trouve les non moins beaux vers, mais étirés, mols, caressants, « Je me plains aux rochers et demande conseil/ À ces vieilles forêts dont l'épaisse verdure/ Fait de si belles nuits en dépit du soleil ». Un « grand écrivain » ne parle pas à des lecteurs, mais à la littérature.

Nous avons interrogé Charles Dantzig, l'auteur du fameux Dictionnaire égoïste de la littérature française, à propos de Baudelaire. Est-il pour ou contre ce « grand écrivain » ?Être pour ou contre Baudelaire, c’est comme être pour ou contre les montagnes. Il est là, et bien là. On peut l’aimer, ne pas l’aimer, s’y intéresser, s’en désintéresser. Je ne pense pas...

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