Rechercher
Rechercher

Idées - Commentaire

Les réfugiés syriens, un levier politique pour Beyrouth et Damas

Les réfugiés syriens, un levier politique pour Beyrouth et Damas

Photo d’illustration : des membres des FSI vérifient les papiers de réfugiés syriens quittant Ersal, lors d’un retour organisé le 28 juin 2018. Photo d’archives AFP

Le 6 mars, le ministre sortant des Affaires sociales et du Tourisme, Ramzi Moucharrafiyé, s’est rendu à Damas afin de s’entretenir avec le ministre syrien des Affaires étrangères Fayçal Mekdad sur le retour des réfugiés installés au Liban. Alors que le pays du Cèdre est confronté à une crise économique, financière et sociale majeure, ce sujet est considéré par Beyrouth comme une priorité politique : le 14 juillet 2020, le gouvernement a publié un plan pour le retour des réfugiés syriens, tandis qu’en novembre dernier, la Russie a accueilli une conférence sur les réfugiés à Damas. C’est à la lumière de ces deux éléments que la visite de Moucharrafiyé doit être considérée.

Le Liban demeure le pays qui accueille le plus grand nombre de réfugiés syriens par habitant, avec plus de 865 500 réfugiés enregistrés à la fin décembre 2020. Le pays n’étant pas signataire de la convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, les responsables libanais préfèrent cependant substituer le terme de « déplacés » à celui de « réfugiés » s’agissant des Syriens venus sur le territoire à partir de 2011.

Abstention et rente

Depuis, plutôt que de tenter de formuler une réponse politique nationale unifiée pour faire face à la crise des réfugiés, Beyrouth a, comme souvent, préféré opter pour une « politique de l’abstention », corollaire de l’apathie institutionnelle et de la fuite des responsabilités qui caractérisent ses dirigeants.

Une autre caractéristique majeure de l’approche libanaise en la matière est sa dimension « rentière » – semblable, elle aussi, à la gestion de l’ensemble des crises qui frappent le pays – : plutôt que de développer un cadre politique centralisé, les Libanais ont cherché à tirer profit de la présence des réfugiés en sollicitant des fonds extérieurs – en l’espèce européens – pour résoudre le problème.

Lire aussi

« Ils m’ont frappé en me disant que j’étais un terroriste »

Le fait que la visite de Moucharrafiyé à Damas ait eu lieu avant la cinquième conférence de Bruxelles sur la Syrie, qui se tiendra lundi et mardi prochains, est donc tout sauf une coïncidence. L’Union européenne est l’un des principaux donateurs d’aides aux réfugiés au Liban, avec plus de 2,3 milliards d’euros d’aides versés depuis 2011. Avec la dégringolade des livres syrienne et libanaise et la dégradation de la situation économique dans les deux pays, nombreux sont ceux qui verront dans cette visite le signe d’une collaboration avec Damas sur le sujet. Avec deux objectifs respectifs : d’une part, exercer une pression accrue sur la communauté internationale afin qu’elle fournisse davantage de fonds ; d’autre part, utiliser le retour des réfugiés comme un argument en faveur de la levée des sanctions internationales contre la Syrie.

Il n’est pas non plus surprenant que le gouverneur de la Banque centrale (BDL), Riad Salamé, ait lui aussi cherché à exploiter cette question : dans une lettre récente adressée aux donateurs internationaux, il a demandé de transférer directement les fonds en devises à la BDL, qui les redistribuerait ensuite aux réfugiés en livres libanaises. Et ce au taux de change officiel de 1 500 LL/USD (contre un taux actuellement aux alentours de 12 000 LL/USD sur le marché noir et autour de 8 500 LL/USD au moment du courrier), exploitant ainsi cette question pour renflouer les caisses moribondes de la BDL.

Lire aussi

Une décennie perdue pour les Syriens

En outre, la communauté internationale se montre de plus en plus critique à l’égard du gouvernement libanais pour son incapacité à résoudre la crise économique et le fait que son enquête sur l’explosion du port de Beyrouth en août dernier reste dans les limbes. En ramenant l’attention sur les réfugiés et les questions humanitaires, le gouvernement tente de détourner l’attention des échecs de l’État libanais.

Déni de réalités

Pour le régime d’Assad, le retour des réfugiés est considéré comme fondamental pour marquer la fin du conflit en Syrie et normaliser les relations avec les pays d’accueil environnants. Pourtant, le retour des réfugiés doit être volontaire et fondé sur leur évaluation libre et informée de la situation. Dans un rapport du Carnegie MEC publié en avril 2018, de nombreux réfugiés ont fait part de leur volonté de retourner en Syrie une fois la réconciliation et la transition politique réalisées, et lorsqu’ils auront la garantie de rentrer chez eux en toute sécurité. Or la situation actuelle ne remplit pas ces conditions. En raison de l’instabilité en Syrie et des restrictions de mouvement imposées par la pandémie de Covid-19, le nombre de retours volontaires a diminué pour atteindre le chiffre record de 21 618 en 2020. Les conditions d’accueil n’étaient pas non plus rassurantes : au cours des neuf premiers mois de 2020, le Réseau syrien pour les droits de l’homme a recensé au moins 62 arrestations de réfugiés rentrant du Liban.

Il reste donc beaucoup à faire pour mettre en place un programme de retour volontaire. Les récents efforts libanais pour assurer le retour des réfugiés reposent également sur une mauvaise interprétation de la réalité. Tout d’abord, alors que tout processus de retour des réfugiés nécessite une planification systématique, l’approche libanaise se distingue par son manque de coordination – interne comme externe, les visites de Moucharrafiyé n’ont pas été organisées avec d’autres ministères ni discutées avec les acteurs humanitaires, tels que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, pour permettre un processus de rapatriement sans heurts. En outre, le Liban n’a pas réussi à adopter une politique systématique d’identification des réfugiés, car tous n’ont pas été enregistrés à leur entrée dans le pays. C’est pourquoi il serait très difficile de superviser un retour important dans les conditions actuelles. De plus, les stratégies de retour n’ont pas pris en considération la pandémie de Covid-19 et la détérioration de la situation économique de la Syrie, deux facteurs risquant de réduire le nombre de personnes prêtes à rentrer volontairement. Tout comme la situation politique instable en Syrie et la crainte d’arrestations et de détentions arbitraires.

La question du renvoi des réfugiés en Syrie doit faire l’objet d’un examen approfondi et ne peut être traitée par des visites occasionnelles de responsables libanais qui n’ont jusqu’à présent pas su répondre de manière adéquate à la crise syrienne. La situation en Syrie exige quant à elle une réponse internationale unifiée pour parvenir à une solution politique qui tiendrait compte des conditions humanitaires garantissant le retour en toute sécurité des réfugiés. Dans un contexte où la communauté internationale et les puissances régionales tentent de mettre un terme à la crise syrienne, Damas et Beyrouth ne voient dans la question des réfugiés qu’un levier idéal pour pousser leurs agendas financiers et politiques, sans pour autant avancer l’ombre d’une réponse réaliste et adaptée.

Ce texte est une traduction d’un article publié en anglais sur Diwan, le blog du Malcolm H. Kerr Carnegie MEC. 

Coordinatrice médias du Malcolm H. Kerr Carnegie Middle East Center.

Le 6 mars, le ministre sortant des Affaires sociales et du Tourisme, Ramzi Moucharrafiyé, s’est rendu à Damas afin de s’entretenir avec le ministre syrien des Affaires étrangères Fayçal Mekdad sur le retour des réfugiés installés au Liban. Alors que le pays du Cèdre est confronté à une crise économique, financière et sociale majeure, ce sujet est considéré par Beyrouth comme...

commentaires (3)

Sans rentrer dans la cuisine interne libanaise, une dimension essentielle a été oubliée dans cette analyse, les élections présidentielles en Syrie, probablement début juin 2021. La politique de pressions économiques maximales en Syrie empêche le retour et maintient un nombre important de réfugiés à l'extérieur de la Syrie. Ainsi, les résultats du prochain scrutin seront contestés.

SAFA Alain

11 h 09, le 28 mars 2021

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • Sans rentrer dans la cuisine interne libanaise, une dimension essentielle a été oubliée dans cette analyse, les élections présidentielles en Syrie, probablement début juin 2021. La politique de pressions économiques maximales en Syrie empêche le retour et maintient un nombre important de réfugiés à l'extérieur de la Syrie. Ainsi, les résultats du prochain scrutin seront contestés.

    SAFA Alain

    11 h 09, le 28 mars 2021

  • Il n’y a pas de faux profits. Ils continuent de bouffer à tous les râteliers oubliant la cause principale à défendre qui est le bien être du peuple libanais. Ce peuple qui, même avant l’arrivée de ces réfugiés ne bénéficiait pas de son droit le plus strict à l’électricité, l’eau, l’éducation et les soins médicaux nécessaires pour tous à cause de pillages, de corruptions et de mauvaise gestion du pays dirigés par des petites frappes et des bras cassés corrompus jusqu’à l’os. Ils nous bassinent avec leurs demandes d’extradition des réfugiés alors qu’ils font de tout pour les garder comme moyen de pression et une source de renflouement même minime des caisses qu’ils ont raclées. Comme c’est toujours les innocents qui trinquent les réfugiés syriens comme les citoyens libanais paient la cupidité et le manque de conscience de ces pourris qui gouvernent les deux pays.

    Sissi zayyat

    14 h 15, le 27 mars 2021

  • qui est venu en premier, l'oeuf ou la poule ? exactement la situation des refugies syriens: retourner avant la paix stable ou apres ? PS. passer outre le fait que assad n'est pas pres a les recevoir ou pas ?

    Gaby SIOUFI

    09 h 30, le 27 mars 2021

Retour en haut