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Culture - Disparition

Nawal al-Saadawi a parfaitement sa place au paradis...

Comment résumer une vie aussi mouvementée et ponctuée de tant de batailles ? Le parcours de l’écrivaine, figure égyptienne de l’émancipation des femmes dans le monde arabe, partie dimanche à l’âge vénérable de 89 ans, est loin d’être banal.

Nawal al-Saadawi a parfaitement sa place au paradis...

Nawal al-Saadawi le 23 mai 2001. Mona Sharaf/Reuters

Nawal al-Saadawi était certainement l’une des femmes les plus dignes, les plus courageuses et les plus éduquées du monde arabe. Cette féministe égyptienne s’est battue, pendant plus de trois quarts de siècle, pour la liberté et l’émancipation de la femme. Ironie du sort, elle est partie le dimanche 21 mars, à l’âge vénérable de 89 ans, en ce jour de fête des Mères, rendu quelque peu sinistre non seulement pour les Libanaises, mais aussi pour toutes les mères d’une région trop souvent vouée au drame, à l’exil, à l’incertitude, au chaos.

Ce n’est pas l’Égypte seule qui pleure l’écrivaine, tant elle était une figure de l’émancipation des femmes dans tout le monde arabe.Non seulement ses nombreux écrits impétueux et justes sont remarquables, mais le sont aussi son tempérament de feu ainsi que son serment d’Hippocrate de guérir tout ce qui lèse et tourmente l’être humain.

Très tôt, la petite fille née en basse Égypte dans la bourgade de Kafr Tahia, est excisée sur ordre d’une mère pourtant bourgeoise. Blessure et noyau de révolte qui marqueront à jamais l’enfant et la femme. S’en suivent trois mariages et trois divorces, avec deux enfants. La cicatrisation, l’épanouissement et l’apaisement sont loin d’être au rendez-vous.

Nawal al-Saadawi entame alors ce chemin de croix qui consiste pour elle à se dresser face aux conventions et obstacles à la liberté, face à tout ce qui enchaîne, met en servitude, face aux dogmatismes stériles et réducteurs de l’intelligence, de l’action, du dire.

Elle entreprend d’abord des études de médecine entre Le Caire et les États-Unis avant de se jeter dans la mêlée pour défendre la voix de la femme, aussi bien dans la sphère de l’intime que dans la cité. Dans une société machiste, cela devient vite sédition et rébellion. Pour s’être opposée à la loi du parti unique d’Anouar el-Sadate, elle sera emprisonnée avant d’être libérée par Hosni Moubarak.

Dès lors le bras de fer s’impose entre la femme de lettres et médecin aux horizons ouverts et le système social et politique retors et autoritaire. Nawal al-Saadawi fera plusieurs « séjours » en prison. Ses mots en deviendront d’autant plus attendus et applaudis. Si ce n’est en Égypte, du moins à l’étranger. Ce n’est pas rien que d’avoir reçu le Prix de l’amitié franco-arabe en 1962.

Son engagement politique et social est sans compromis et ne craint ni menaces ni intimidations. Son œuvre littéraire, une véritable bombe qui éclate au visage de celui qui la dégoupille, a un ton incandescent. Un ton tonitruant et ouvertement dénonciateur pour une leçon de témérité et de raison contre la déraison. Et elle s’y connaît en psychologies malades, cette psychiatre respectée partout où elle passe ! Elle qui, après s’être réconciliée avec l’Égypte et y avoir été invitée à y « revivre » paisiblement (après moult exils), continuait à enseigner aux États-Unis, hors des frontières du pays natal…

À chacun de ses livres (certains ont été écrits lors de son emprisonnement sur un rouleau de papier toilette, bonjour Marquis de Sade !), elle fut la cible de violences verbales, parfois physiques, et de l’extrême acrimonie des gens du pouvoir, des philistins et des bigots.

Nawal al-Saadawi le 17 juin 2001. Marwan Naamani/AFP

Une plume féroce

Plus d’une dizaine d’ouvrages (sa littérature a touché aussi bien l’essai scientifique que l’autobiographie, le roman et le théâtre) ont défrayé la chronique par la férocité d’une plume plongée dans la plus sombre des amertumes. Une voix et une écriture pas seulement crues et fermes, mais désespérément humaines.

Ses premiers livres Mémoires d’une femme docteur et La femme et le sexe sont reçus dans une fiévreuse atmosphère de bataille d’Hernani et de grincement de dents tant ils dérangent. Ils dérangent les « assis », les timorés, les pudibonds et les irréductibles du machisme. Toute la meute fondamentaliste arabe se ligue contre elle et est à ses trousses. L’écrivaine, cataloguée injustement sulfureuse quand elle ne parlait que de la pure misère de la condition féminine, n’en démord pas et fait front. Avec cette phrase qui a dû irriter plus d’un, car tous ses détracteurs voulaient la réduire au silence : « Je ne veux rien. Je n’espère rien. Je ne crois rien. C’est pour ça que je suis libre. »

Pour mémoire

Musulmanes et laïques en révolte


À chacune des publications de ses livres, de 1958 à 2014, chez les hommes de bonne volonté, l’espoir de vivre dignement et sans discriminations renaissait.

Que lire aujourd’hui de Nawal al-Saadawi dont les écrits ont été traduits en plusieurs langues ? Certainement La chute de l’iman ou Le voile. Mais en ce jour de tristesse pour son ultime départ, l’on peut aussi redécouvrir Ferdaous, une voix en enfer, ou son court récit Elle n’a pas sa place au paradis.

Nawal al-Saadawi, figure emblématique de l’Égypte moderne, après avoir été accusée d’apostasie, se préoccupait forcément du « paradis ». On lui souhaite, en ces temps de décadence et de dictature, pour tant de souffrance, de labeur, d’acharnement, de bravoure, de combats, de main tendue et guérisseuse, une place au royaume de la lumière de Dieu…

Nawal al-Saadawi était certainement l’une des femmes les plus dignes, les plus courageuses et les plus éduquées du monde arabe. Cette féministe égyptienne s’est battue, pendant plus de trois quarts de siècle, pour la liberté et l’émancipation de la femme. Ironie du sort, elle est partie le dimanche 21 mars, à l’âge vénérable de 89 ans, en ce jour de fête des Mères, rendu...

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