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Pas si divine, la comédie

Était-ce vraiment là un tardif sursaut de conscience face au naufrage du pays et aux souffrances d’un peuple lâchement abandonné à ses malheurs ? Les responsabilités nationales avaient-elles fini par bâiller de désœuvrement, après des semaines entières d’une criminelle flemmardise ? N’est-ce pas plutôt la cinglante intervention de la cravache étrangère qui a mis fin à l’hibernation du pouvoir ?

En d’autres temps, en d’autres lieux, le soudain branle-bas politique observé ces deniers jours serait naturellement perçu comme un signe de santé, de sincère volonté d’œuvrer au salut, bref comme un indéniable motif d’espérance. Pas ici cependant, pas dans ce gangland où l’action publique se réduit le plus souvent à une âpre course aux avantages – surtout bassement matériels – que confère le pouvoir. Car s’il est bien vrai que quelque chose a enfin bougé durant la semaine qui s’achève; si le taux de change du dollar a même paru scander les hauts et les bas de ces retrouvailles forcées entre Michel Aoun et Saad Hariri, il en faudra bien plus pour inspirer confiance aux Libanais échaudés.

Acte 1 – Dans une adresse télévisée de 4 minutes, le président de la République frappe du poing sur la table et appelle le Premier ministre désigné à venir plancher avec lui sur la formation d’un nouveau gouvernement, la situation catastrophique du pays étant devenue intolérable. La cavalière invitation revêt quasiment l’allure d’une sommation à comparaître, Hariri se voyant enjoindre en effet de quitter la scène et de faire place à une doublure s’il se trouve incapable de remplir sa mission et de conduire ces vertueuses réformes, exigées tant par la communauté internationale que par le peuple. Par ce subit acte d’autorité, le président croit s’être assuré le beau rôle, quelle que soit la tournure des évènements : à lui la gloriole résultant de quelque miraculeux déblocage de la crise, à Hariri l’opprobre que susciterait une bouderie prolongée. Doublement faux s’avère le calcul.

Acte 2 – Pour le chef du courant du Futur, l’occasion est trop belle de faire preuve de grandeur d’âme en acceptant sur-le-champ l’invitation sans s’arrêter à la rudesse du procédé : l’occasion aussi de rendre au président la monnaie de sa pièce en lui suggérant, en guise de plan B, d’envisager une fin de mandat prématurée. Car si la Constitution n’impartit aucun délai au Premier ministre désigné pour former son équipe, elle prévoit bel et bien l’éventualité, absolument exceptionnelle, d’une interruption de sexennat. Invité à se désister, Hariri, on le voit, avait beau jeu de renvoyer la pierre vers la maison de verre de Baabda…

Acte 3 – Après une rupture aussi longue entre les deux pôles de l’exécutif, jalonnée de vifs échanges d’invectives, près d’une heure de tractations ne pouvait suffire pour voir apparaître le moindre indice de progrès ; on se donnait donc 72 heures de réflexion avant le prochain rendez-vous. Or c’est là que Hassan Nasrallah fait irruption sur la scène, bousculant même le fragile décor.

Acte 4 – Le chef du Hezbollah est passé maître dans l’art d’allier le ton doucereux et la menace, occasionnellement voilée ; il excelle également à donner aux autres des leçons de rectitude constitutionnelle, matière dont la milice n’a cessé de faire fi. Marque de force ou, au contraire, d’embarras ? Quoi qu’il en soit, c’est à une salve d’inquiétants ultimatums qu’il se livre, à peine clôturée la rencontre de Baabda. Pour mettre fin au grippage endémique des institutions, il préconise un problématique amendement de la loi fondamentale, ou alors une réanimation de l’incurable cabinet démissionnaire de Hassane Diab. À Hariri qui insiste pour s’entourer de spécialistes non partisans, il prédit un échec fracassant face à la rue, et il lui recommande d’opter plutôt pour un gouvernement techno-politique. Ce n’est là, assure-t-il, qu’un simple conseil, mais qui, assorti du spectre de la guerre civile, qu’il a une fois de plus brandi, ressemble furieusement à ce genre d’offres qu’il serait bien téméraire de décliner. Du reste, et pour la première fois, le leader chiite va jusqu’à mettre en demeure l’armée d’empêcher toute fermeture des routes par les manifestants ; faute de quoi, laisse-t-il clairement entendre, ses escouades s’en chargeront elles-mêmes.

Tant de suffisance, d’arrogance peut-il encore être payant dans un pays naguère prospère et maintenant menacé de famine ? Le temps n’est plus où le Hezbollah pouvait exploiter jusqu’à la lie, au plan interne, la divine victoire qu’il revendiquait lors de sa guerre de 2006 contre Israël. Hassan Nasrallah ne vient pas seulement d’exhiber inconsidérément la facette la moins attrayante d’une milice qui, en Syrie, au Yémen et au Liban même, s’est fourvoyée hors des chemins de la résistance à l’ennemi. C’est au plan de la crédibilité que cesse désormais de passer cette rhétorique : elle ne peut plus convaincre les Libanais en détresse que les mêmes forces responsables de la faillite du pays demeurent qualifiées pour y réaliser les réformes. Qu’il est parfaitement normal de demander aux corrompus d’éradiquer la corruption, de tresser la corde que mérite leur cou. Et que le gouverneur de la Banque du Liban est seul et unique responsable du plongeon de la monnaie nationale, à l’heure où filent sous bonne garde vers la Syrie, par les mêmes chemins de traverse cités plus haut, les produits subventionnés par l’État libanais.

Et néanmoins interdits aux Libanais.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Était-ce vraiment là un tardif sursaut de conscience face au naufrage du pays et aux souffrances d’un peuple lâchement abandonné à ses malheurs ? Les responsabilités nationales avaient-elles fini par bâiller de désœuvrement, après des semaines entières d’une criminelle flemmardise ? N’est-ce pas plutôt la cinglante intervention de la cravache étrangère qui a mis fin à...