Quel Hassan Nasrallah fallait-il croire jeudi soir ? Celui qui a souligné qu’il soutiendrait tout cabinet, quelle que soit sa forme, et ne reviendrait pas sur ses engagements ? Ou celui qui a « conseillé » à Saad Hariri de « revoir » sa formule et de former un cabinet « techno-politique » ? Le premier se présente comme un facilitateur, le second est perçu comme un obstacle, alors que le discours du secrétaire général du Hezbollah – qui se voulait cryptique – était très attendu après la rencontre jeudi entre le Premier ministre désigné Saad Hariri et le président de la République Michel Aoun, qui a ouvert une infime brèche dans la possibilité de former prochainement un gouvernement.
En envoyant plusieurs messages, parfois contradictoires, Hassan Nasrallah a donné le tempo et rappelé qu’il reste, en définitive, le maître du jeu. Bien qu’il ait voulu se positionner au-dessus de la mêlée, de nombreux commentateurs ont perçu son discours comme un appui direct à Michel Aoun dans la bataille de prérogatives qui l’oppose à Saad Hariri. En évoquant sa préférence pour un gouvernement techno-politique voire même politique – ce qui signifie que les noms des futurs ministres devraient être validés en amont par les partis politiques –, il semble pencher en faveur du président de la République qui insiste pour un gouvernement de 20 membres dans lequel chaque parti nommerait ses ministres. Saad Hariri insiste pour sa part sur la formation d’un gouvernement de technocrates de 18 ministres. Signe que les propos du chef du Hezbollah ont été positivement perçus du côté de Baabda, le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil s’est empressé de les commenter sur Twitter, quelques minutes après la fin du discours du leader chiite. « Voici ce qu’attendent le CPL et les Libanais... Voici le projet commun auquel tout le monde peut se rallier, voici l’esprit “développé” de l’accord de Mar Mikhaël qui peut sauver le pays et le redresser. En avant, à travers des actes, pour protéger le Liban et combattre la corruption » a-t-il écrit.
Sur les deux tableaux
Alors que Michel Aoun ne semble pas être prêt pour l’instant à faire des concessions sur le gouvernement, les propos de leader du parti chiite peuvent être interprétés comme une « invitation » au Premier ministre désigné à se montrer plus souple dans ses exigences. Hassan Nasrallah n’a de toute façon jamais caché son attachement au principe d’un gouvernement techno-politique. Il est essentiel pour le Hezbollah que toutes les formations politiques assument les lourdes décisions à venir – il a parlé jeudi soir de « boule de feu » – pour que personne ne puisse faire de surenchère en dehors du gouvernement. D’autant plus à un moment où le parti chiite considère qu’il est accusé de toutes parts de tous les maux du pays.
En évoquant une « boule de feu » face à laquelle aucun responsable ou formation politique ne saurait se dérober, c’est à Gebran Bassil qu’il faisait notamment allusion. Le chef du Hezbollah souhaite en effet depuis un certain temps que le leader du CPL puisse être intégré au cabinet, non pas tant pour lui rendre service que pour lui faire assumer – autant que l’ensemble des protagonistes – sa part de responsabilité tant dans l’effondrement que dans les solutions impopulaires que ce gouvernement serait appelé à prendre. C’est ce que confirme d’ailleurs à L’Orient-Le Jour une source proche du courant aouniste, qui indique que le parti chiite insiste depuis un certain temps auprès de M. Bassil afin qu’il ne se mette pas totalement à l’écart du jeu.
S’il a affiché sa préférence pour un cabinet techno-politique, Hassan Nasrallah s’est voulu ambigu pour ne pas paraître comme un obstacle face au début d’efforts faits jeudi par le chef de l’État et Saad Hariri. Rappelant que son parti avait « facilité » les tractations et accepté différentes suggestions comme la nomination de technocrates ou la rotation des portefeuilles, il a indiqué que le Hezbollah soutiendrait toutefois cette formule si elle devait aboutir dans les prochains jours.
Dans les milieux du courant du Futur, on estime que le leader chiite joue sur les deux tableaux : il donne l’impression qu’il est avec Saad Hariri pour ensuite ouvrir la voie à Aoun et l’encourager à persister dans son obstination, fait-on valoir. « Il dit la chose et son contraire », commente un analyste proche du Futur, estimant que les différents messages envoyés par le leader chiite prêtent à confusion. Le Hezbollah avait accepté en principe la formule de M. Hariri sans toutefois donner les noms de ses potentiels ministres, comme pour se garder le droit d’avoir le dernier mot.
Plan B
Pour les proches du Premier ministre désigné, il est hors de question d’inclure Gebran Bassil dans la composition du cabinet, une ligne rouge que Saad Hariri avait tracée depuis longtemps. Le chef du courant du Futur ne saurait non plus accepter une composition dans laquelle les manœuvres d’obstruction seraient possibles. « La communauté internationale n’acceptera jamais un gouvernement qui s’annonce improductif. D’ailleurs, cette formule mènera inéluctablement Saad Hariri à sa chute », dit l’analyste haririen.
Conscient de la difficulté des enjeux et de la problématique d’un gouvernement à coloration politique qui sera rejeté d’emblée par les haririens, Hassan Nasrallah a évoqué un plan B en cas d’échec des pourparlers dont la reprise est attendue en début de semaine prochaine entre Baabda et la Maison du Centre. Le plan consisterait en une « réactivation » du gouvernement sortant de Hassane Diab, lequel, a dit le chef du parti chiite, « ne doit pas poser de conditions » à une telle éventualité. Une critique à peine voilée à l’adresse du Premier ministre démissionnaire qui s’était dit, début mars, « disposé à s’abstenir de remplir ses fonctions si cela contribue à la formation d’un nouveau gouvernement ». Dans les milieux proches du Hezbollah, on n’hésite pas à critiquer M. Diab qui, dit-on, n’a aucunement le droit de se désister, dans un contexte aussi explosif, de ses responsabilités, quitte à aller dans une interprétation extensive de la notion d’expédition des « affaires courantes ». « Ce plan B est destiné à mettre Saad Hariri sous pression afin de le pousser à céder sur certaines points », commente un proche du Hezbollah.
commentaires (29)
Il faut lui reconnaitre cette capacité de se mettre au milieu de ce jeu de merde ... dans laquelle il sait si bien patauger avec ses alliés. Mais soyons juste, toute notre classe politique sait nager dans la m...
Zeidan
14 h 30, le 21 mars 2021