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Culture - Festival virtuel

Arsmondo Liban, une riche édition numérique pour faire « circuler l’art et la pensée »

L’édition 2021 du festival multidisciplinaire propose un coup de projecteur stimulant sur la scène artistique et intellectuelle libanaise. Un rendez-vous à ne pas manquer sur le site de l’Opéra national du Rhin et sur sa chaîne YouTube, entre le 20 et le 28 mars. 

Arsmondo Liban, une riche édition numérique pour faire « circuler l’art et la pensée »

Lors des répétitions de l’opéra « Hémon » de Zad Moultaka. Photos DR

Philosophe et historien de l’art de formation, le directeur artistique du festival Arsmondo, Christian Longchamp, travaille dans le monde de l’opéra depuis plusieurs années. « Ce festival de l’opéra de Strasbourg a été créé il y a cinq ans : dans les éditions précédentes, nous nous sommes intéressés à la création au Japon, en Argentine puis en Inde. Nous avons créé ce festival avec Eva Kleinitz, en partant du constat que les maisons d’opéra programment très souvent les mêmes titres. Nous avons souhaité proposer chaque année, au printemps, une perspective plus large, en mettant en avant des musiciens, des vidéastes, des écrivains non européens. » Dix ans après le printemps arabe, il lui est apparu nécessaire de consacrer une édition à un pays arabe : le Liban s’est alors imposé à lui, « compte tenu de l’histoire de ce pays, et surtout de ce que tente d’être cette démocratie, sans parler de sa richesse créatrice ». « J’ai pris contact avec Zad Moultaka dès 2019, pour lui proposer de créer un opéra pour notre festival », précise le directeur artistique de l’événement. Le musicien et artiste libanais a d’emblée été séduit par le projet. « Je me suis rapproché de Paul Audi, et nous avons décidé de travailler sur la tragédie grecque. Il m’a proposé de nous centrer sur le personnage d’Hémon, une figure politique importante et l’amant d’Antigone. S’il est secondaire dans la pièce de Sophocle, il est mis en valeur dans notre opus, où le personnage incarne entre autres les notions de fragilité et de désistement par rapport au pouvoir », explique Zad Moulatka, pour qui les résonances de l’œuvre Hémon avec notre époque contemporaine sont très fortes. « Le pouvoir et le malheur se transmettent de père en fils dans les tragédies grecques, c’est encore très actuel, en particulier au Liban. J’avais conçu la scénographie et tout l’aspect visuel du spectacle, mais on n’a pas pu le présenter. Le samedi 20 mars, à 20 heures, il sera diffusé avec une captation radiophonique, et France Musique le retransmettra sur ses ondes. Il s’agit d’une musique contemporaine, imprégnée par ma culture orientale et occidentale », ajoute l’artiste.


Christian Longchamp : « Le numérique permet de faire circuler au plus loin l’art et la pensée. » Photo DR

Sur 48 contenus numériques, une trentaine constituent des créations réalisées pour le festival. C’est le cas de Topologie d’une absence, qui correspond à une commande de Christian Longchamp. « C’est un film de 30 minutes réalisé à partir d’archives tournées au Liban pendant les années 1920 par des opérateurs de Gaumont et de Pathé. J’ai demandé à Sharif Sehnaoui de créer autour de lui à Beyrouth une petite équipe d’artistes pour proposer une création à partir de ces images », explique le directeur artistique. Ainsi, le musicien a créé, avec le vidéaste Rami al-Sabbagh, une œuvre audiovisuelle, en y ajoutant quelques images contemporaines. « J’ai composé la musique avec Abed Kobeissy, il y a du oud, de la guitare, du bouzouki et du son électronique. La poésie des images et du son suggère une critique indirecte du naufrage dans lequel se trouve le pays : c’est comme si l’image du passé nous regardait et nous jugeait », explique Sharif Sehnaoui.

Agenda 1979 est une autre commande de Christian Longchamp : il s’agit d’une vidéo réalisée à partir d’un agenda que Grégory Buchakjian a trouvé sous les décombres de maisons abandonnées et qui a appartenu à un combattant palestinien. Valérie Cachard, qui a collaboré à sa réalisation, en évoque la genèse. « Nous avons construit la vidéo par accumulation au fil des jours, essayant des associations de sons, d’images et de textes, pour exprimer une désillusion forte et la sensation d’être pris au piège. Très vite, Sary Moussa a été associé au projet pour créer la bande-son. On a travaillé dans l’urgence avec une matière qui vit avec nous depuis neuf ans, à travers cet agenda, dans lequel un combattant a consigné le mode d’emploi des armes et explosifs, appris lors d’une formation en Union soviétique. Ce fut le prétexte – ou plutôt l’objet – qui nous a permis de mettre des mots sur notre vécu actuel et nos sensations à vif. Tout est ressorti : la guerre, le 4 août, la crise, la pandémie, notre profond désarroi », indique Valérie Cachard.


« Agenda 1979 », d’une vidéo réalisée à partir d’un agenda que Grégory Buchakjian a trouvé sous les décombres de maisons abandonnées, et qui a appartenu à un combattant palestinien. Photo DR


« Avant et après le crépuscule »

Pour la programmation cinématographique, Christian Longchamp a choisi de mettre en valeur deux films de Philippe Aractingi, dont Beyrouth de pierre et de mémoire, qu’il a tourné dans les ruines du centre-ville de Beyrouth en 1991, et où il récite des poèmes de Nadia Tuéni. Le second est un film d’entretiens avec Ghassan Tuéni, peu de temps avant sa mort. Des films courts de Ghassan Salhab sont également programmés. « Ce sont des films-poèmes, ou des films-pensées : on pourra voir Le jour est la nuit ainsi qu’une œuvre qu’il est en train de terminer pour le festival : Maintenant  », annonce celui qui a également choisi de montrer trois courts-métrages du jeune cinéaste Nadim Tabet. « Un dessin dans le ciel correspond à une commande de Bernard Khoury, d’une performance musicale filmée à réaliser autour de bâtiments emblématiques qu’il a conçus, comme le B018, la Sky Tower, etc. Cette promenade urbaine, pour laquelle Charbel Haber a composé la musique, s’est transformée en archive d’une ville sur le point d’exploser, au lendemain du 4 août. Un diptyque s’est construit avec le court-métrage Enfin la nuit, que nous avons réalisé Charbel et moi, après les deux explosions, dans les ruines de la boîte de nuit AHM, où sont intégrées quelques images des soirées antérieures au sinistre. On a le portrait d’une ville avant et après le crépuscule. Enfin, Été 91 est centré sur la jeunesse et sur la spécificité du littoral et de ses centres balnéaires », précise le réalisateur.


L’affiche du festival Arsmondo. Photo DR

Faire vivre la littérature libanaise sous ses formes les plus variées au cours du festival Arsmondo est un axe majeur du travail de Christian Longchamp. « Nous proposerons tous les jours des entretiens originaux avec des intellectuels et des écrivains libanais, avec une série que j’ai intitulée 10 minutes d’un vaste monde, qui leur propose de lire devant la caméra certains de leurs textes, dans leur langue originale sous-titrée. Ainsi, Dominique Eddé revient sur des écrits précédemment publiés où se dessine une continuité pour parler du Liban. Rawi Hage et Rabih Alameddine liront des traductions de leurs textes en français, depuis Montréal ou San Francisco. Il y a des grandes figures de la littérature libanaise, comme Abbas Beydoun, qui lira des poèmes encore inédits en français, comme Vénus Khoury-Ghata ou Hassan Daoud. Des voix nouvelles se font entendre aussi, avec Dima Abdallah ou Camille Ammoun », détaille Christian Longchamp.

Une entretien avec Farès Sassine permettra également un focus sur l’œuvre de Georges Schéhadé. « Il s’agit de faire revivre son époque à Beyrouth, avec Gabriel Bounoure, Salah Stétié, Andrée Chedid, etc., pour nous faire découvrir ce qu’a été ce vivier très particulier de la création littéraire francophone dans les années 50, et jusqu’à la guerre civile. Un grand acteur de la Comédie-Française, Guillaume Gallienne, lira des poèmes de Schéhadé : c’est une façon de le relier au théâtre français, où a été créée l’une de ses pièces, L’émigré de Brisbane », poursuit celui qui a voulu rendre honneur à Etel Adnan, autour de qui est organisée toute la programmation du 27 mars. « Deux entretiens filmés chez elle, et jamais diffusés en France, seront partagés, ainsi qu’une lecture de l’Apocalypse arabe. Cette œuvre majeure a inspiré une création de Zad Moultaka, Ur, qui sera accessible, de même que le film Ismyrna de Joanna Hadjithomas et Khalil Joreige, inspiré par la grande poétesse », poursuit l’organisateur de l’événement, qui fait entendre parallèlement les voix percutantes et signifiantes d’historiens et analystes politiques comme Dima de Clerck, Kim Ghattas ou encore Imane Baydane, dont la prise de parole sera suivie par la diffusion du film Massaker, de Lokman Slim.

Si Christian Longchamp a été contraint de sacrifier les retrouvailles physiques et humaines qui fondent tout festival artistique, il reste optimiste. « Le festival pourra être suivi partout dans le monde. Le numérique permet de faire circuler au plus loin l’art et la pensée. Du 3 au 15 juin est prévue une seconde partie, certains artistes reviendront. De nombreux longs-métrages libanais seront diffusés à cette occasion, et je voudrais, entre autres, organiser un événement important autour d’Élias Khoury, en sa présence, à Strasbourg », conclut le directeur artistique avec détermination. 

Philosophe et historien de l’art de formation, le directeur artistique du festival Arsmondo, Christian Longchamp, travaille dans le monde de l’opéra depuis plusieurs années. « Ce festival de l’opéra de Strasbourg a été créé il y a cinq ans : dans les éditions précédentes, nous nous sommes intéressés à la création au Japon, en Argentine puis en Inde. Nous avons...

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