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Nos Lecteurs ont la Parole

L’assassinat de Lokman reste un point de non-retour

Nos rites et usages orientaux donnent à la mort comme le lent écho d’un second glas. Ils ne la laissent pas être contractée dans l’évènement d’un jour. Ils lui font un chapelet de jours où le deuil s’installe, avec ses peines et ses consolations. Au quarantième, l’affliction qui s’est comme égrenée dans le noir du cœur et le vide des êtres est à nouveau ravivée comme au premier jour. L’arb3în (le quarantième) nous ramène, après nous avoir bercés dans des atmosphères que la chaleur des condoléants a feutrées, à la douleur première. La disparition n’a pas eu lieu en une fois et une heure ; elle est, pour ses proches et ses amis, un fait poignant tous les jours.

À l’occasion du quarantième de l’assassinat de Lokman Slim, proclamons qu’il est temps que le scandale de l’impunité cesse. Que cesse le renouvellement sans fin de l’affliction des victimes, alors que les auteurs, les commanditaires et les complices du meurtre coulent sans crainte une vie que ne visite pas journellement l’amertume.

Rejetons résolument toute idée d’impunité et demandons sans relâche que justice soit faite à tout prix, l’enquête et les procédures dussent-elles prendre des années.

Les responsabilités doivent être suivies jusqu’aux échelons les plus élevés de la décision. Cela veut dire jusqu’aux instances et personnes qui la prennent effectivement. Celles-ci doivent en répondre pénalement.

Le crime terroriste est imprescriptible. L’assassinat d’un juste l’est moralement aussi.

La communauté dont se réclament les assassins présumés s’enorgueillit, à raison, de l’infinie patience avec laquelle elle cherche à élucider l’élimination de l’imam Moussa Sadr – un homme qui a la stature d’un juste – ainsi que de sa ferme résolution de ne jamais oublier ni pardonner.

Dès lors, un effort primordial doit être fait pour amener le plus grand nombre de Libanais et le plus grand nombre de partis politiques, d’instances légales, morales et religieuses libanais à déclarer solennellement que cet assassinat sera le dernier : le dernier à être toléré et le dernier à rester impuni.

Le dernier à s’inscrire dans ce sémaphore de l’absurde où, pour se faire entendre en politique par ses adversaires – ou ses alliés –, on fait usage de messages sanglants, coûtant la vie d’un homme ou de plusieurs.

Langage de brutes qui se veulent, de plus, parfois subtiles, modulant leur mode opératoire de manière à affiner le sens du message, jusqu’à donner des peines de lecture à leurs destinataires en face – le foison des « sources bien informées » est alors appelée à la rescousse : elles se coiffent du bonnet des herméneutes et meublent les soirées télévisées de leurs savantes conjectures.

La pratique de ce langage et de ses messages abjects était courante du temps des occupants syriens et de leurs affidés. Aujourd’hui, le Hezbollah en a le monopole et l’arbitraire. Il en use à volonté selon le choix qu’il fait de ses coercitions.

Il n’est plus question de considérer les assassinats politiques du Hezbollah comme des accidents qui adviennent par moments, quand la conjoncture politique libanaise se tend un peu trop selon ses goûts; quand certains acteurs s’enhardissent au point d’appeler sur eux-mêmes les foudres calmantes de l’acteur maître. Lequel doit alors, presque à regret, se montrer plus sévère que d’habitude et dépêcher un agile motard tirer élégamment – entendre, avec un silencieux – quelques balles dans la cervelle ou le torse d’un homme.

Il nous faut faire comprendre à ce flingueur qu’un très grand nombre de Libanais décents, y compris dans sa communauté, refusent absolument et énergiquement ces méthodes ; que la très grande majorité des groupes sociaux qui font le Liban les condamnent sans appel.

Nous entendons ce rejet retentissant et définitif de l’impunité comme un des principaux points d’ancrage de l’ordre constitutionnel de l’État à la reconstruction duquel nous voulons tous travailler.

Non, le pacte social libanais ne pourra pas être refondé autour de ses valeurs fondamentales du vivre-ensemble dans la diversité et la justice sans un arrachement violent à ce qui a fait la déchéance de ce pacte et de cet État : la tolérance de l’impunité et l’oubli des crimes que la veulerie de ses élites politiques corrompues a ouvertement banalisés.

À ces élites, il nous faut dire clairement que nous les rendons directement responsables de ces crimes, au même titre exactement que leurs commanditaires et leurs exécutants : en particulier les partis et les individus qui, depuis la fin de la wissaya (tutelle) syrienne sur le Liban, n’ont eu de cesse de brader la souveraineté de l’État au profit d’une faction armée qui intimide leurs adversaires et leur rend, en paiement, les dépouilles de cet État, dont ils ne semblent pas sentir la vacuité.

Nous mobiliserons contre chacun de ces « enablers » de la dictature d’une faction toutes les ressources du droit international pour les faire répondre de leur complicité avec les criminels.

Nous engagerons nommément et individuellement leur responsabilité dans l’obstruction du travail des institutions, en particulier judiciaires, et la couverture de l’impunité, sinon son institution en norme.

Non, plus aucun crime ne relèvera de la normalité d’une communication codée par le sang.

Chacun de ces crimes sera poursuivi jusqu’à l’identification des coupables et des complices et leur condamnation aux peines prévues par les lois internationales qui punissent la violence terroriste.

Avec la majorité des Libanais, que la paralysie intentionnelle des institutions par les hommes mêmes qui en ont la charge prive de leurs droits élémentaires, nous déclarons solennellement que nous ne prendrons aucun repos jusqu’à ce que ces objectifs soient atteints.

Non, la vie des gens n’est pas à la disposition idiopathique du dernier brigadier de Dieu.

On ne prend pas la vie d’un enfant, d’un époux, d’un frère, d’un ami, d’un élève, d’un maître, d’un être cher comme ça, parce qu’on en a décidé ainsi, entre soi et soi, selon le fol caprice d’une organisation qui a l’infaillibilité des noirs turbans qui la gouvernent.

Non, cette vie, le livre saint la déclare sans prix et sa sauvegarde valant le salut de l’âme qui s’en met en peine.

Jean CLAM

Chercheur au CNRS,

EHESS-Paris

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Nos rites et usages orientaux donnent à la mort comme le lent écho d’un second glas. Ils ne la laissent pas être contractée dans l’évènement d’un jour. Ils lui font un chapelet de jours où le deuil s’installe, avec ses peines et ses consolations. Au quarantième, l’affliction qui s’est comme égrenée dans le noir du cœur et le vide des êtres est à nouveau ravivée comme au...

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