Le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, a une nouvelle fois critiqué dimanche sans le nommer le Hezbollah, seul parti à encore détenir des armes après la fin de la guerre civile en 1990. Le prélat a ainsi estimé qu'il était inconcevable de cautionner des armes illégales, estimant que seule l'armée libanaise devait en avoir le monopole.
Cette critique au parti chiite intervient alors qu'un dialogue entre le patriarcat maronite et la formation dirigée par Hassan Nasrallah est en cours, et au moment où les relations entre les deux pôles sont au plus bas du fait de divergences autour de questions stratégiques. En effet, le chef de l'Eglise maronite prône sans cesse la neutralité du Liban et appelle à la tenue d'une conférence internationale sous l'égide de l'ONU pour se pencher sur un Liban embourbée dans la pire crise socio-économique de ses trente dernières années. Ces appels du patriarche irritent fortement le Hezbollah et ses alliés.
"L'armée de la démocratie"
"Comme nous comprenons la colère du peuple, nous comprenons aussi celle de l'armée. Car celle-ci est issue de la population et il est inconcevable de la mettre en confrontation avec le peuple", a estimé Mgr Raï, lors de son homélie du dimanche. Lundi, le commandant en chef de l'armée, le général Joseph Aoun, avait exprimé sa frustration et sa colère à l'encontre des responsables politiques du pays, leur demandant ce qu'ils comptaient faire pour résoudre les crises qui n'épargnent pas l'armée qui voit son budget de plus en plus réduit.
"L'armée est la force légitime chargée de défendre le Liban. Il est inconcevable de justifier ou de couvrir des armes illégales à côté des siennes," a martelé Mgr Raï, dans une allusion à peine voilée à la présence armée du Hezbollah. Lors d'un rassemblement populaire à Bkerké, le 27 février dernier, le prélat avait profité de cette occasion pour critiquer les armes du parti chiite, toujours sans le nommer.
"L'armée est celle de toute la nation libanaise, personne n'a le droit d'en faire l'armée du pouvoir. L'armée est celle de la démocratie. Personne n'a le droit d'en faire une armée de répression. L'armée, dans toutes ses composantes, est le symbole de l'union nationale. En la protégeant, nous protégeons la patrie, sa souveraineté et sa neutralité positive (...)", a ajouté Mgr Raï. Il critique ainsi les autorités au pouvoir qui avaient demandé à la troupe, lundi, de rouvrir les routes bloquées pas des manifestants en colère.
"L'espoir de demain"
Béchara Raï a profité de son homélie pour s'adresser aussi aux manifestants qui battent le pavé à nouveau ces dernières semaines, après une stagnation de la révolte populaire déclenchée le 17 octobre 2019. "Les jeunes révolutionnaires sont l'espoir de demain. Nous les appelons à unifier leurs rangs, à harmoniser leurs revendications et à rendre indépendant leur mouvement pour que leur révolution soit prometteuse et constructive", a demandé le prélat. "Peut-être alors pourront-ils exhorter les responsables politiques et les dirigeants au pouvoir à former un gouvernement d'exception, capable de faire des réformes, travaillant à sauver le Liban et non à défendre des intérêts personnels, partisans et confessionnels", a-t-il lancé, au moment où le pays reste sans gouvernement depuis sept mois, en raisons d'un bras de fer politique entre le président de la République, Michel Aoun, et le Premier ministre désigné, Saad Hariri.
Toutefois, le patriarche s'est dit opposé aux blocages de routes par les protestataires, les appelant à privilégier des manifestations sur les places publiques, et ce afin d'éviter tout affrontement avec l'armée ou la police. Son appel intervient après plusieurs accidents de la route mortels provoqués par ces blocages.
Le patriarche a en outre estimé que "la population est prise en otage des luttes de ceux qui sont au pouvoir. Ceux-ci ne l'ont pas libéré en dépit de tous les appels internationaux et secours populaires - comme s'ils avaient perdu toute conscience nationale et toute compassion". "Nous ne comprenons pas comment le pouvoir transforme l'Etat en l'ennemi de son peuple", s'est encore indigné le patriarche, rappelant que "l'Etat trouve la justification de son existence dans la nécessité d'assurer le bien commun" et que "le pouvoir est chargé de (...) réaliser les aspirations et droits fondamentaux de la nation, sans satisfaire des intérêts personnels ou partisans ."
"Si les responsables ne sont pas en mesure de s'asseoir ensemble pour aborder les points de discorde qui se sont accumulés jusqu'à l'explosion finale que nous connaissons, il est nécessaire de recourir à une conférence internationale parrainée par les Nations unies", a enfin demandé le patriarche.
"Néron"
Le métropolite de Beyrouth, Mgr Élias Audi, a lui aussi vertement tancé les responsables politiques lors de son homélie. "Nos responsables ont fait jeûner les gens de force et les ont affamés. C'est du terrorisme. La famine tue", a-t-il dénoncé. "Quel pays peut persister sans gouvernement ? Qu'attendons-nous pour contrôler les frontières, arrêter la contrebande et préserver l'argent des gens, alors que le pauvre citoyen ne trouve pas de quoi survivre ? Quel prix le peuple doit-il encore payer pour que les responsables assument leurs responsabilités ? La situation du pays est tragique et vous le regarder brûlez comme Néron. Oubliez vos intérêts et vos ambitions !", a lancé le métropolite de Beyrouth.
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Eleni Caridopoulou
19 h 27, le 14 mars 2021