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Société - Double explosion au port

« Mon mari a la conscience tranquille face aux proches des victimes »

La famille du commandant Joseph Naddaf s’est vu confier par des sources du parquet de cassation qu’il vaut mieux qu’il reste maintenu en détention, en allusion au danger pour sa vie que présenterait sa libération.

« Mon mari a la conscience tranquille face aux proches des victimes »

Joseph, Cynthia, Milad et Léa Naddaf. Photo DR

Les parents des victimes de la double explosion au port de Beyrouth ne sont pas les seuls à attendre que justice soit faite dans ce dossier. C’est aussi le cas des parents de certains employés et militaires qui travaillaient dans l’enceinte portuaire et qui réclament que leurs proches, détenus depuis plus de six mois, obtiennent justice et qu’un terme soit mis à leur incarcération, qu’ils jugent non fondée et abusive. Parmi eux, la famille du commandant Joseph Naddaf, qui espère que le nouveau juge d’instruction près la Cour de justice, Tarek Bitar, se penche rapidement sur son cas. D’autant que des sources proches du magistrat assurent qu’il considère les dossiers des personnes emprisonnées comme une priorité, au même titre que les droits des victimes.

« On nous a dit que Tarek Bitar est un magistrat intègre. J’espère qu’il travaillera consciencieusement, afin que mon mari, détenu sans être coupable, soit enfin relâché », confie à L’Orient-Le Jour Cynthia, l’épouse de Joseph Naddaf. Chargé d’une mission de lutte contre la corruption au port, celui-ci avait pris ses fonctions à la mi-2019, soit cinq ans après l’arrivée du stock de nitrate d’ammonium à l’origine de la double déflagration. Si elle place son espoir dans l’action du nouveau juge d’instruction, Cynthia Naddaf ne discrédite pas pour autant son prédécesseur. « Fadi Sawan est également connu pour son honnêteté, mais pour contenir la pression de l’opinion publique, il a dû procéder à des arrestations expéditives », estime-t-elle, déplorant qu’« il ait arrêté un innocent », en référence à son mari.Halim Naddaf, l’oncle de ce jeune officier de 33 ans, revient pour L’OLJ sur le parcours « sans faute » que son neveu a suivi depuis le début de sa mission. « Apprécié par ses chefs pour son intégrité, Joseph avait été désigné à ce poste pour tenter de savoir pourquoi une grande partie des recettes des services des douanes et de l’exploitation du port n’entraient pas dans les caisses du Trésor public. Lors de ses investigations, il a appris l’existence d’un stock de nitrate d’ammonium dans le hangar n° 12. Après avoir consulté des experts en explosifs qui lui ont fait savoir que cette matière chimique est dangereuse, il a adressé en décembre 2019 un rapport au directeur de la Sécurité de l’État Tony Saliba, pour l’informer de la gravité de la situation.

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M. Saliba a étudié l’affaire avec d’autres services de sécurité, demandant à Joseph Naddaf le mois suivant de s’adresser à la justice compétente, en l’occurrence le commissaire du gouvernement près le tribunal militaire (à l’époque Peter Germanos, NDLR). Mais ce dernier a jugé qu’il ne pouvait se pencher sur le dossier, celui-ci étant entre les mains du juge des référés (Jad Maalouf), qui avait autorisé en 2014 le débarquement du nitrate d’ammonium », raconte Halim Naddaf. Joseph Naddaf se tourne alors vers le procureur général près la Cour de cassation Ghassan Oueidate, qui donne l’ordre en mai 2020 de colmater une brèche ouverte dans l’entrepôt et d’assigner un gardien pour empêcher tout vol de la matière. La suite est connue : Tony Saliba adresse une missive au chef du gouvernement sortant Hassane Diab, pour l’avertir de la présence du nitrate dans l’enceinte du port, et le 20 juillet 2020, le chef de l’État Michel Aoun, qui a reçu cette même information, contacte le Conseil supérieur de défense pour prendre des mesures. Le 4 août, c’est le cataclysme.

Une médaille

Le plus aberrant, relève Halim Naddaf, c’est que le mandat d’arrêt émis contre son neveu se base sur le fait qu’« il a importé la marchandise et l’a faite entrer au port », alors que, rappelle-t-il, « elle s’y trouvait depuis 2014 et (que) jusqu’en 2019, Joseph n’avait jamais travaillé au port ». Interrogé par L’OLJ, l’avocat du jeune officier, Samir Abi Raad, affirme que « l’arrestation ne se fonde pas sur un crime » commis par son client, soulignant qu’au contraire « il est la seule personne à avoir attiré l’attention des responsables sur la dangerosité du stock de nitrate d’ammonium et à avoir déploré leur manque de préoccupation à ce sujet ». L’avocat évoque par ailleurs un paradoxe entre d’une part « le bon climat » qui a régné lors des trois interrogatoires menés par M. Sawan et d’autre part l’arrestation et le maintien de l’emprisonnement. À ce propos, Cynthia Naddaf raconte que l’avocat Youssef Lahoud, qui assistait au nom de l’ordre des avocats de Beyrouth à la première audience (1er septembre 2020) en tant que représentant des victimes, a même demandé au juge Sawan de décerner « une médaille » à son mari en référence au travail qu’il avait fourni. « Joseph avait présenté tous les documents et preuves montrant qu’il avait amplement fait son devoir. Il a été arrêté à l’issue de la séance », déclare-t-elle. Évoquant le 3e interrogatoire, Me Abi Raad affirme que Fadi Sawan s’est enquis auprès de Joseph Naddaf des conditions de sa détention. « Je ne suis importuné par personne, mais je veux ma liberté », l’aurait exhorté l’officier. « Nous avons présenté sans succès une demande de mise en liberté. Le parquet de cassation n’était pas défavorable à notre requête, mais Fadi Sawan l’a refusée », regrette l’avocat. Il indique également avoir tenté d’être reçu par M. Sawan avec la famille de son client. En vain. Lundi, Me Abi Raad s’est rendu auprès du bureau du nouveau juge d’instruction pour y déposer une nouvelle demande de remise en liberté, mais la greffière lui a déclaré que sur ordre de Tarek Bitar, aucune requête n’était pour l’heure recevable, le magistrat souhaitant examiner les dossiers avant d’adopter toute mesure.

Le commandant Joseph Naddaf. Photo DR

Une balle à la fenêtre

Entre-temps, Joseph Naddaf entame son 7e mois d’incarcération. Sa famille s’est vu confier par des sources du parquet de cassation qu’il vaut mieux que l’officier soit maintenu en détention, en allusion au danger pour sa vie que présenterait sa libération. Pour son oncle, Halim Naddaf, « c’est aux services de sécurité d’assurer sa protection ». « Est-ce ainsi que l’État le protège ? s’insurge pour sa part son épouse Cynthia, qui souligne que Milad (6 ans) et Léa (3 ans), les enfants du couple, sont très troublés par leur séparation avec leur père. Ma fille me dit qu’elle veut dormir près de lui lorsqu’il reviendra à la maison. Mon fils, à qui je fais croire que son papa est sur son lieu de travail, craint qu’il y reste pour toujours, se demandant quel est ce travail qui l’empêche depuis six mois de regagner son foyer. »

L’officier étant détenu non dans un établissement pénitentiaire, mais dans un bureau de la Sécurité de l’État (situé près du Palais de justice de Beyrouth), Cynthia et ses enfants s’y rendent deux à trois fois par semaine. Pour la jeune femme, cette situation est révoltante. « On le détient au lieu de le récompenser pour avoir fait le maximum afin de pousser les autorités à réagir », se désole-t-elle, affirmant au passage qu’« il n’a droit qu’à une sortie quotidienne de 10 minutes ». « À l’époque où il a rédigé ses rapports, mon mari n’avait encore que le grade de capitaine, poursuit-elle. Or un capitaine n’a pas compétence pour entreprendre davantage de démarches. »

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« Joseph est honnête et incorruptible », martèle-t-elle. «À l’été 2019, une balle a été tirée en direction de la maison familiale située à Fanar (Metn), trouant la fenêtre de la chambre à coucher de nos enfants. L’agression était probablement due à un dossier de corruption qu’il traitait », suppose Cynthia Naddaf. « Lorsque je lui ai fait part de mes appréhensions, il m’a dit que je devais supporter la situation, parce qu’il n’est pas dans son tempérament d’occulter les choses », ajoute-t-elle. « Mon mari est triste parce qu’il ressent une profonde injustice. Mais il a la conscience tranquille. Il sait qu’il est détenu arbitrairement », soutient la jeune femme, évoquant « sa satisfaction de voir que les parents des victimes ne croient pas en sa culpabilité ». « Il en sort renforcé et garde la tête haute », conclut-elle.

Les parents des victimes de la double explosion au port de Beyrouth ne sont pas les seuls à attendre que justice soit faite dans ce dossier. C’est aussi le cas des parents de certains employés et militaires qui travaillaient dans l’enceinte portuaire et qui réclament que leurs proches, détenus depuis plus de six mois, obtiennent justice et qu’un terme soit mis à leur incarcération,...

commentaires (6)

Pourquoi ne pas évoquer la "légitime suspicion"? :-D ... Il paraît que ça marche comme excuse. Si si, c’est l’ancien ministre des finances qui me l’a dit. Décidément, la justesse libanaise en est encore à apprendre à marcher. Comment? Ah oui, justice, pardon.

Gros Gnon

13 h 48, le 05 mars 2021

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Commentaires (6)

  • Pourquoi ne pas évoquer la "légitime suspicion"? :-D ... Il paraît que ça marche comme excuse. Si si, c’est l’ancien ministre des finances qui me l’a dit. Décidément, la justesse libanaise en est encore à apprendre à marcher. Comment? Ah oui, justice, pardon.

    Gros Gnon

    13 h 48, le 05 mars 2021

  • On marche sur la tête... La personne qui a alerté se retrouve en prison alors que ceux qui ont importé, utilisé et ont été avertis en amont de la présence des produits explosifs sans rien faire de spécial..eh bien ils paradent, donnent des leçons et se barricadent dans leurs villas, palais ou résidences.. REVOLTANT

    LE FRANCOPHONE

    13 h 37, le 05 mars 2021

  • Commandant Naddaf, vous méritez sûrement d'être à la tête de votre "Sécurité d'Etat".

    Esber

    12 h 52, le 05 mars 2021

  • VOUS VOYEZ MADAME S,IL ETAIT L,IMPORTATEUR ET L,UTILISATEUR DU NITRATE ET S,IL AVAIT UNE MILICE PERSONNE NE L,AURAIT DERANGE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 30, le 05 mars 2021

  • La mise en déention de la seule personne qui, dans cette affaire, ait fait consciencieusement son travail, est , en effet, assez étrange. L'explication est peut-être à trouver ici: "il vaut mieux que l’officier soit maintenu en détention, en allusion au danger pour sa vie que présenterait sa libération". L'histoire de la balle tirée à Fanar peut appuyer cette hypothèse.

    Yves Prevost

    07 h 13, le 05 mars 2021

  • Jespère qu'ils ne pourront pas attenter à sa vie , en prison, les griffes du mal sont plantées dans tout le pays.

    Christine KHALIL

    00 h 59, le 05 mars 2021

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