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Raï remet Bkerké au centre du village

Le prélat maronite a durement critiqué le Hezbollah, sans le citer, et sans fermer la porte au dialogue.

Raï remet Bkerké au centre du village

Les supporters du patriarche maronite rassemblés dans la cour principale de Bkerké. Photo João Sousa

La nature a horreur du vide. Béchara Raï tente de le remplir depuis que la classe politique a démontré son pouvoir de nuisance et son incapacité à remettre le Liban sur pied. Considérant que l’État et même l’ensemble de la formule libanaise sont menacés dans leur essence, le patriarche maronite a réinvesti la scène politique libanaise en renouant avec le legs historique de Bkerké. Mais c’est ce samedi, avec son discours depuis le siège patriarcal qualifié par nombre d’analystes de « fondateur » et prononcé devant des milliers de supporters, que le prélat a vraiment pris une autre dimension. Il s’est placé en arbitre au-dessus de la mêlée – un rôle que le chef de l’État aurait, en principe, dû remplir – pour proposer une sortie de crise, et se positionner dans le même temps comme le leader que la contestation populaire n’a pas réussi à faire émerger. Établissant un diagnostic détaillé des maux dont souffre le pays, Béchara Raï n’a pas été tendre dans ses critiques adressées aux chefs de file politiques, et à leur tête le Hezbollah et son allié chrétien du Courant patriotique libre, prenant soin toutefois de laisser la porte ouverte au dialogue. Béchara Raï n’a parlé ni de loi électorale ni de gouvernement ou de quotes-parts, dans un souci d’élever le débat et de marquer la gravité du moment à l’heure où le Liban est menacé de disparition, comme le soulignent des personnalités qui soutiennent la position de Bkerké. « Mgr Raï n’a pas parlé de politique au sens strict du terme, mais du contrat social entre les Libanais », commente l’expert en politiques publiques Ziad Sayegh. C’est, dit-il, un discours-référence, une « boussole » menant sur la voie de « l’éthique et des principes fondateurs » de la nation.

L'édito d'Elie Fayad

Bkerké, le retour

« Vive le Liban, uni et unifié, activement et positivement neutre, souverain et indépendant, libre et fort, prônant la coexistence et la tolérance », a lancé Béchara Raï dans un élan qui résume l’orientation que défend Bkerké. « Le patriarche a repris mot pour mot la phrase jadis utilisée par le patriarche Élias Howayek (1843-1931) devant Georges Clemenceau pour ce qui est de la revendication d’un État de droit dans lequel s’épanouissent les Libanais en leur qualité de citoyens, et non par rapport à leur identité religieuse », note l’ancien député Farès Souhaid. Le Vatican avait reconnu en juillet 2019 les « vertus héroïques » de l’ancien patriarche maronite Élias Howayek, père fondateur du Grand Liban. « Les patriarches Howayek, Arida, Méouchi et Sfeir ont pris les devants de la scène pour chercher à rectifier le système politique à chaque fois que l’entité libanaise et la convivialité se trouvaient en danger », commente l’avocat Antoine Sfeir, pour qui Bkerké ne peut plus être un médiateur passif.

Neutralité et Constitution

S’il a renoué avec le rôle central historiquement joué par Bkerké, le patriarche a défendu bec et ongles le principe de neutralité auquel il souhaite désormais conférer un caractère constitutionnel. « Le non-respect de la neutralité est la cause unique de toutes les crises et guerres que le pays a traversées », a dit le prélat maronite. En évoquant un problème endémique à travers l’histoire récente du Liban, à savoir les allégeances extérieures des protagonistes politiques qui ont fini par écarteler et affaiblir le pays, Mgr Raï a voulu inscrire son approche dans un contexte plus global qui ne se réduit pas aux problématiques actuelles. Pour éviter aussi que Bkerké se transforme en bastion pour un camp contre un autre. Une manière de se démarquer de son prédécesseur, Nasrallah Sfeir, perçu à l’époque comme ayant un parti pris en faveur du camp du 14 Mars. Pourtant, le discours de Sfeir – alors engagé en faveur de la libération du Liban du joug syrien – n’était pas fondamentalement différent des positions affichées samedi par son successeur qui s’est attaqué à la superpuissance du Hezbollah.

Le chef de l’Église maronite ne s’est pas d’ailleurs retenu de critiquer avec virulence ceux qui ont travesti la Constitution et porté atteinte à l’État, ses fondements et son Trésor. Critiquant les responsables politiques qui « n’ont même pas eu l’audace de s’asseoir à une même table pour régler les problèmes actuels », il a réitéré, en l’explicitant, son invitation à la tenue d’une conférence internationale. L’objectif de cette conférence n’est pas « le déploiement de soldats et de militaires, ni une atteinte au pouvoir de décision libanais », mais celui d’affirmer « la stabilité et l’identité du Liban, la souveraineté de ses frontières », a-t-il dit. Il cherchait ainsi à calmer les appréhensions du Hezbollah qui avait vu d’un très mauvais œil cette proposition.

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Le patriarche Raï à l’assaut du leadership chrétien

Mais les mots du patriarche n’ont vraisemblablement pas convaincu le parti pro-iranien. Le député Hassan Fadlallah déclarait ainsi hier, dans une première réaction à l’appel du patriarche Raï, que la tenue d’une conférence internationale sur le Liban « constitue un danger pour le pays et compliquera la crise ».

Dialogue interne

Maintenant que « le territoire a été libéré », il est temps de s’atteler à « la libération de l’État », a encore martelé le chef de l’Église maronite qui a évoqué « un coup d’État contre le peuple et le document d’entente nationale de 1989 » (Taëf) et auquel le Liban est actuellement confronté. Une allusion on ne peut plus claire à l’arsenal du parti chiite, resté intouchable après le retrait israélien en 2000. Des armes que le partenariat avec le CPL chrétien a contribué à légitimer et à protéger. « Il n’existe pas d’État avec deux pouvoirs en son sein, ni avec deux armées ou deux peuples », a lancé Béchara Raï.

S’il a placé le Hezbollah et le courant aouniste devant leurs responsabilités, il leur a lancé de petites « perches » à l’un et l’autre pour les amadouer. Le prélat a ainsi préconisé la nécessité d’un plan rapide contre l’implantation des Palestiniens et pour le retour des déplacés syriens, un message à destination du courant aouniste, et a pris positon contre les violations israéliennes.

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Après avoir franchi le Rubicon

Outre ces messages forts en direction de la classe politique, Béchara Raï a voulu rallier en même temps les composantes de la révolution du 17 octobre, restées orphelines et sans leadership, en reprenant à son compte plusieurs de leurs slogans. « Je comprends votre colère et votre révolution. Ne vous taisez pas face à la pluralité des allégeances, face à la corruption, face aux violations aériennes, à l’échec de la classe politique, aux mauvais choix, à l’alignement, à la dilapidation de votre argent, au désordre dans l’enquête sur l’explosion au port, à la politisation de la justice, aux armes illégales et non libanaises… » a-t-il martelé à l’adresse de la foule.

Dans une première réaction, les milieux du CPL ont plutôt bien accueilli l’intervention du prélat maronite, même si, pour cette formation chrétienne, il reste des zones d’ombre à clarifier. « Il y a de bonnes choses et d’autres qui ont besoin d’être explicitées », commente le député aouniste Eddy Maalouf pour L’Orient-Le Jour. Les points positifs étant, de toute évidence, la question des réfugiés. Les questions discutables sont, dit-il, l’arsenal du Hezbollah et la manière dont le patriarche compte régler cette problématique. « Ce qui nous rassure, c’est toutefois son appel à un dialogue interne et à une solution locale. À défaut, on se dirigerait vers une conférence internationale », ajoute M. Maalouf.

Dans les milieux proches du Hezbollah, on évoque un malaise à cause des slogans entonnés dans la grande cour de Bkerké (« Iran dehors ») bien plus que par rapport à la question de la conférence internationale que le prélat s’est évertué à justifier. Selon une source proche du parti, le Hezbollah se prépare à digérer ce qui s’est passé et reste attaché à garder ses portes ouvertes en vue d’un dialogue interne. « Le Hezbollah cherche à tout prix à éviter une confrontation avec Bkerké qui prendrait la forme d’un affrontement chrétien-chiite. »

La nature a horreur du vide. Béchara Raï tente de le remplir depuis que la classe politique a démontré son pouvoir de nuisance et son incapacité à remettre le Liban sur pied. Considérant que l’État et même l’ensemble de la formule libanaise sont menacés dans leur essence, le patriarche maronite a réinvesti la scène politique libanaise en renouant avec le legs historique de...

commentaires (6)

J’aimerais savoir qui est le modérateur de « l’OLJ » aujourd’hui qui a censuré tous mes commentaires sur tous les articles sauf un. Merci

Sissi zayyat

16 h 47, le 01 mars 2021

Tous les commentaires

Commentaires (6)

  • J’aimerais savoir qui est le modérateur de « l’OLJ » aujourd’hui qui a censuré tous mes commentaires sur tous les articles sauf un. Merci

    Sissi zayyat

    16 h 47, le 01 mars 2021

  • AVEUGLES ? IGNORANTS ? DENI TOTAL ? LE CPL CUMULE TOUT CE QU'ILS NE VEULENT PAS CROIRE: DORENAVANT ON S'EN FOUT DE LEUR OPINION . POINT FINAL.

    Gaby SIOUFI

    11 h 50, le 01 mars 2021

  • « Le Hezbollah cherche à tout prix à éviter une confrontation avec Bkerké qui prendrait la forme d’un affrontement chrétien-chiite. » Le cherchait il vraiment lorsqu'il soulève des casus beli et des menaces de guerre? Le Hezbollah a eu sa réponse ce weekend, le Patriarche a ramassé le gant et avec, a giflé de plein fouet le Hezbollah tout comme les Aounistes et autres opportunistes qui lèchent les bottes de Hassan Nasrallah pour un siège ici ou la. Ne vous méprenez pas, nous sommes déjà dans la première étape du conflit qui s'annonce. Il sera long et pernicieux mais au final le Hezbollah pliera. L'histoire se répète, tout comme en 2001 le Patriarche Sfeir appelait au retrait des troupes Syriennes, aujourd'hui le Patriarche Rai lance un appel clair a libérer le pays du Hezbollah et des ses sbires. Une fois de plus, après moult persécutions, irrespect de la souveraineté du peuple et du pays, assassinats, etc... le Patriarcat, que cela plaise ou non, rejoint ouvertement les rangs et l’idéologie souverainistes des FL, Kataeb, Bloc National, PNL et Gardiens des Cèdre et enfin celle du PSP, du courant du Futur et autres plus petit partis libanais autrefois dans l'autre camps. Le bras de fer a débuté sur le sujet principal qui a causé le malheur du pays: Les armes du Hezbollah. Il n'y a rien d'autre a discuter. Le reste se fera de facto et sans anicroches aucune a travers les élections comme dans out pays démocratique.

    Pierre Hadjigeorgiou

    09 h 47, le 01 mars 2021

  • Fini le temps des discours menaçants avec l’index levé devant les caméras de télé qui n’impressionnaient personne. Bkerke a su prouver une fois de plus , si besoin était, que le Patriarche Maronite est le principal pilier du pays et personne d’autre. Bkerke n’a jamais eu peur des armes illégales ni des missiles ... depuis Saint Louis

    Lecteur excédé par la censure

    08 h 21, le 01 mars 2021

  • Staline (1935): “Le Pape, combien de divisions?”. Hassan Nasrallah (2021): “Le Patriarche, combien de missiles?”

    Gros Gnon

    06 h 55, le 01 mars 2021

  • PATRIARCHE RAI, IL FAUT LES CITER PAR LEURS NOMS AU HEZBOLLAH, A AMAL ET AU CPL + L,EFFRATA TABA3ON. LE DIALOGUE 3ALA 3AYNA BASS UNE FOIS LES ARMES LIVREES A L,ARMEE LIBANAISE, LES MILICES DISSOUTES ET LA COMMUNAUTE CHIITE EN ENTIER REINTEGREE A LA FAMILLE LIBANAISE. SINON ALLEZ DE L,AVANT AVEC VOTRE PROJET D,INTERNATIONALISATION POUR CONFIRMATION DE TAEF ET LA NEUTRALITE POLITIQUE DU PAYS A L,IMAGE DE LA SUISSE. JE VOIS QUE LE MODELE SUISSE SERAIT UN EXEMPLE A APPLIQUER AU LIBAN POUR GARDER LE PAYS UNI.

    LA LIBRE EXPRESSION

    05 h 47, le 01 mars 2021

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