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Nos Lecteurs ont la Parole

Ne me juge pas

Ne me juge pas si je suis restée. Ici, sur cette terre, ma patrie. Par choix ou par fatalité. Par conviction ou par résignation.

Ne me juge pas si j’ai décidé de ne pas prendre le large au-delà de la Méditerranée, vers d’autres contrées où mes enfants seraient mieux traités, où nos droits seraient respectés, notre dignité humaine préservée, notre avenir assuré ; si j’ai décidé de ne pas me faire adopter par des sociétés où la tolérance, l’État de droit et l’inclusion de toutes et de tous, sans exception aucune, sans discrimination aucune, sont indiscutables, inébranlables ; des sociétés qui célèbrent l’art et la culture, qui sacralisent l’éducation et l’innovation, qui protègent les vulnérables et les défavorisés.

Ne me juge pas si je n’ai pas plié bagage et tourné le dos à mon pays, à mes racines, à ma famille, à mes amis, à mon passé. Si je n’ai pas supplié d’autres gouvernements de me sélectionner, d’autres peuples de m’accepter. Si je n’ai pas choisi les musées, les parcs et les libres continents sans grillage au lieu des explosions, des assassinats et des naufrages !

Certes, la vie aurait été une vraie vie là-bas. Pas une survie. La vie aurait été douce, tel un long fleuve tranquille. Elle n’aurait pas cet arrière-goût d’amertume qui descend jusqu’au fond de ta gorge chaque matin et qu’on confond souvent ici avec le reflux gastro-œsophagien. Elle aurait été fraîche telle la brise du crépuscule quand le Soleil est chaud et que l’horizon est flamboyant. Elle ne serait pas ponctuée de ces épisodes d’asphyxie en pleine nuit quand tes rêves sont étroits et que l’effroi est roi, et qu’on confond souvent ici avec les crises de panique nocturnes.

Ailleurs, les soirs d’août ne seraient été ébranlés par le son assourdissant de la double explosion du port, le froid de février ne serait pas supplanté par le sang-froid des meurtres impunis, les « cherry blossoms » du printemps ne seraient pas dérisoires face à la corruption, la misère et les larmes.

Ici, il est des cœurs qui pleurent de l’intérieur. Ici, il est des villes qui s’écroulent en douce. Des rêves qui prennent l’allure de chimères. Et des générations qui fuient le désespoir à leurs trousses.

J’en suis pleinement consciente.

J’ai sans doute passé ma vie entière privée d’électricité, d’eau courante, de stabilité, de mes droits de citoyenne et de femme surtout, j’ai appris dès mon plus jeune âge l’art de contrôler mes émotions à force de côtoyer la guerre, les privations et les explosions, mais cela ne signifie pas que j’ai fermé les yeux sur ces exactions ou que j’ai renoncé à mes revendications ! Ne me juge pas si je m’accroche à une lueur illusoire à tes yeux, si j’ai placé mes espoirs dans les générations à venir, dans le changement qui aura lieu tôt ou tard, dans l’avenir qui devra s’accompagner de comptes à rendre, de purges politiques et de redressement socio-économique.

Peut-être que l’horizon de l’exil essaiera toujours de hanter mon sommeil et que l’envie de tout quitter d’un seul geste me taraudera souvent, mais ne me juge pas si je n’abandonne pas le navire, si je ne lâche pas le flambeau, si je demeure accrochée, collée et recollée à ce bout de terre toujours suspendu entre précipice et espérance, à la mer azur qui borde mon village, au parfum des roses dans le jardin de mes parents. À l’infime espoir qui me reste de vivre la tête haute, le sourire aux lèvres, le patriotisme dans le sang.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Ne me juge pas si je suis restée. Ici, sur cette terre, ma patrie. Par choix ou par fatalité. Par conviction ou par résignation.
Ne me juge pas si j’ai décidé de ne pas prendre le large au-delà de la Méditerranée, vers d’autres contrées où mes enfants seraient mieux traités, où nos droits seraient respectés, notre dignité humaine préservée, notre avenir assuré ; si j’ai...

commentaires (1)

Comme partout au monde, il existe certainement des problemes au Liban, mais l'article me semble un peu partial (ou beaucoup) car il y a aussi beaucoup de belles choses a voir et faire au Liban; il faut simplement sortir sur son balcon et admirer la vue de la neige sur les montagnes dans le soleil ...

Stes David

15 h 52, le 26 février 2021

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Commentaires (1)

  • Comme partout au monde, il existe certainement des problemes au Liban, mais l'article me semble un peu partial (ou beaucoup) car il y a aussi beaucoup de belles choses a voir et faire au Liban; il faut simplement sortir sur son balcon et admirer la vue de la neige sur les montagnes dans le soleil ...

    Stes David

    15 h 52, le 26 février 2021

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