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Société - Travail domestique

L’association Kafa offre une victoire aux employées de maison : oui, mais...

La Sûreté générale modifie sa terminologie : une travailleuse domestique ne « fuit » pas, elle quitte le domicile de son employeur. Et ce n’est plus un crime.

L’association Kafa offre une victoire aux employées de maison : oui, mais...

Devant l’ambassade d’Éthiopie, des dizaines de travailleuses touchées par la crise attendaient en juin dernier leur rapatriement. Photo A.-M.H.

Une travailleuse domestique étrangère ne risque plus d’être accusée de vol pour avoir quitté le domicile de son employeur. Son départ ne sera pas non plus considéré comme « une fuite », même si elle s’en va sans l’accord de ses employeurs, ce terme ne s’appliquant qu’à des personnes légalement privées de liberté. La mesure, écrite noir sur blanc sur le site web de la direction générale de la Sûreté générale, a été annoncée il y a quelques jours par l’association Kafa, qui salue une « nouvelle victoire pour les employées de maison ». Une victoire, parce qu’« il n’est plus permis désormais de poursuivre en justice les travailleuses domestiques qui décident de quitter leur lieu de travail, comme s’il s’agissait de prisonnières en fuite », précise l’ONG qui milite au Liban pour les droits des femmes et des travailleuses migrantes. Une victoire enfin, parce que « la mesure adoptée a pour objectif de mettre fin à la relation esclavagiste qui lie les employées de maison à leurs employeurs, à l’ombre du système du garant ou kafala ».

La « fuite » et le « vol », une problématique décortiquée

C’est dans un contexte de crise libanaise aiguë, sanitaire, politique et financière, que le dossier de la main-d’œuvre domestique enregistre sa première avancée pratique depuis des décennies. Une avancée attendue, après la suspension par le Conseil d’État en octobre 2020 de l’application d’un nouveau contrat de travail révolutionnaire, entre employeurs et travailleurs domestiques. Ce contrat de travail, fruit d’une réflexion en profondeur menée conjointement par le ministère du Travail et l’Organisation internationale du travail (OIT), avait été formellement rejeté par les bureaux de recrutement, au point d’en saisir la justice.

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« Nous étudions la problématique de la fuite et du vol depuis un an, sur le plan légal », explique à L’Orient-Le Jour la représentante de l’association Kafa, l’avocate Mohana Ishak. Des données que l’ONG a partagées avec des représentants de la SG, et des ministères de l’Intérieur et de la Justice, lors d’une table ronde. « Nous avons alors émis des recommandations, partant du principe qu’il n’existe nulle part dans la loi de crime de fuite. Recommandations qui ont été acceptées », affirme-t-elle, saluant l’engagement de la SG. Me Ishak rappelle que lorsqu’une travailleuse domestique quitte le domicile de ses employeurs (souvent pour salaire impayé ou abus physiques et moraux), elle est généralement accusée à tort de vol. « C’est une façon pour ses employeurs de la maintenir sous leur emprise, de se venger d’avoir été quittés », constate-t-elle. « Sous prétexte de se décharger de toute responsabilité, ils portent plainte d’abord auprès du parquet, puis de la SG, poursuit-elle. S’ensuit une longue procédure judiciaire, sans défense équitable pour l’employée de maison, suivie d’une peine de prison, de plusieurs mois parfois. » Sauf que dernièrement, ce procédé a été institutionnalisé. « Nombre d’employeurs de bonne foi ont été contraints de porter plainte pour vol, rien que pour se voir déchargés de toute responsabilité envers leur travailleuse domestique qui avait quitté le domicile », déplore la représentante de Kafa.

Désormais, plus de plaintes auprès du parquet, en cas de départ d’une travailleuse domestique. La procédure n’est plus qu’une simple démarche administrative, sauf en cas de vol avéré, ce qui reste à prouver. « Au cas où une travailleuse domestique quitterait le domicile de ses employeurs, vers une destination inconnue, ses patrons doivent se rendre au centre de la SG le plus proche, pour y accomplir les démarches administratives nécessaires », confirme la SG, sollicitée par L’OLJ. « Ce n’est qu’en cas de crime pénal (vol, violences…), que l’employeur portera plainte auprès du parquet compétent », précise le service de sécurité, mettant en garde contre « toute accusation abusive ».

Empêchées de prendre l’avion et jetées en prison

La mesure est louable, certes. « On ne peut encore prétendre bouleverser le système du garant, mais juste empêcher l’exploitation du processus », tempère l’avocate. De son côté, la porte-parole de l’Organisation internationale du travail, Zeina Mezher, « espère que cette décision placera le droit à la mobilité de la main-d’œuvre domestique au cœur des politiques de gouvernance des migrations au Liban ». Autrement dit, que le droit aux travailleuses domestiques à changer librement d’employeur sera sérieusement considéré par les autorités libanaises.

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Sauf qu’un bémol de taille est à souligner. Cette mesure n’est pas rétroactive. Alors que se multiplient les rapatriements en masse de travailleurs migrants touchés par la crise libanaise, nombre d’employées de maison sont empêchées de prendre l’avion pour rentrer chez elles. À l’aéroport de Beyrouth, peu avant d’embarquer, elles sont arrêtées pour des accusations de vol, parce qu’elles avaient quitté le domicile de leur employeur, il y a de longues années pour certaines. Elles avaient pourtant accompli toutes les formalités nécessaires pour régulariser leur situation. Elles avaient même obtenu un laissez-passer, leur passeport étant toujours confisqué par leur employeur. Elles seront emprisonnées et déférées auprès du parquet compétent, pour de longs mois parfois. « Nous avons identifié plus de 26 femmes migrantes emprisonnées depuis novembre 2020 par la SG, pour avoir été faussement accusées de vol par leurs sponsors », accuse Banchi Yimer, fondatrice du collectif Egna Legna Besidet, basé au Canada, qui défend les droits des travailleuses domestiques au Liban. « Elles n’ont jamais rien volé, insiste-t-elle. Elles ont juste quitté un employeur qui les maltraitait et étaient en partance pour leur pays. » Sollicitée depuis trois semaines sur la question, la Sûreté générale, elle, se fait toujours attendre.

Une travailleuse domestique étrangère ne risque plus d’être accusée de vol pour avoir quitté le domicile de son employeur. Son départ ne sera pas non plus considéré comme « une fuite », même si elle s’en va sans l’accord de ses employeurs, ce terme ne s’appliquant qu’à des personnes légalement privées de liberté. La mesure, écrite noir sur blanc sur le site web...

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Bravo. Un pas vers la justice et la décence!

CW

17 h 08, le 17 février 2021

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Commentaires (1)

  • Bravo. Un pas vers la justice et la décence!

    CW

    17 h 08, le 17 février 2021

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