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Centenaire Grand Liban : lecture politique

Un siècle d’autisme politique

Un siècle d’autisme politique

Manifestation pro-palestinienne à Beyrouth en 1972. « L’accord du Caire a quasiment officialisé l’effraction armée de l’OLP dans le tissu politique, communautaire et sécuritaire du pays .»

En psychiatrie, l’autisme est un trouble du neuro-développement humain caractérisé par des difficultés dans les interactions sociales de la communication et des comportements et intérêts à caractère restreint, répétitif et stéréotypé.

Sans avoir à transposer nécessairement tous les symptômes de cette pathologie au grand malade qu’est le Liban, on peut valablement opérer un rapprochement entre l’autisme comme maladie et l’« autisme politique libanais » qui s’est aggravé depuis 1920 pour attendre ses manifestations paroxystiques un siècle plus tard.

« L’autisme politique libanais » serait donc un trouble du développement socio-communautaire caractérisé par des difficultés dans les interactions entre les composantes historiques de la nation et des comportements et intérêts à caractère sectaire, répétitif et stéréotypé ne tirant aucune leçon des échecs passés.

Le système politique instauré par la France à la suite de la proclamation du Grand Liban en 1920 et approuvé par une partie de l’élite libanaise de l’époque a souffert dès sa conception d’un double défaut génétique.

En effet, la puissance mandataire, culturellement imprégnée d’une conception jacobine de l’État, a tenu à instaurer un système constitutionnel inadapté aux réalités libanaises, parce que centralisé, avec comme résultat un système hybride cumulant les défauts et du régime présidentiel et du régime parlementaire, sans bénéficier de leurs qualités.

Croyant bien faire, la puissance mandataire a juxtaposé, voire superposé, à la formule laïque (l’État n’a pas de religion officielle) un système parallèle légal articulé sur la diversité communautaire (art. 95 de la Constitution et autres textes). Au fil des crises, ce système s’est transformé en un corps malade, ingouvernable et surtout porteur de tous les dangers.

Résultat : depuis 1926, et surtout depuis 1943, ces deux systèmes, à savoir la gestion de l’État à travers un gouvernement central dominé d’abord par un président de la République faussement prépondérant jusqu’en 1990, puis ensuite par un Conseil des ministres omnipotent mais paralytique, se sont trouvés en situation conflictuelle permanente avec les forces centrifuges et transfrontalières des communautés religieuses, notamment les communautés musulmanes. Cette situation de tensions antagonistes s’est amplifiée et aggravée après chaque crise.

Les « événements » de 1958 suivis en 1969 par le tristement célèbre accord du Caire, qui a facilité et quasiment officialisé l’effraction armée de l’OLP dans le tissu politique, communautaire et sécuritaire du pays, annonçaient des lendemains tragiques.

C’est ainsi qu’en mai 1973, la tentative avortée du président Sleiman Frangié de faire appel à l’armée pour endiguer les milices palestiniennes se heurtait à l’opposition frontale et des sunnites et de la gauche, et surtout à l’ultimatum musclé de la Syrie qui préparait déjà en sous-main son intervention militaire en 1975, tout d’abord par l’intermédiaire de factions palestiniennes totalement inféodées à Damas, puis directement et clairement par l’entrée des troupes régulières syriennes en juin 1976, et enfin « légalisée » (!) par la Ligue des États arabes en octobre 1976.

Quinze années de guerres jusqu’en octobre 1990, aboutissant aux accords de Taëf, ont de nouveau « légalisé » (!) la mainmise totale de la Syrie ; une mainmise synonyme de véritable occupation, pourtant jamais dénoncée par la communauté internationale et même encouragée parfois par certains États. Il était évident que cette mainmise n’était que le prélude à une future annexion du Liban à la Syrie, annexion qui a échoué suite à l’assassinat de Rafic Hariri en février 2005. Le retrait de l’armée syrienne en avril de la même année sera remplacé par une tutelle iranienne imposée avec un succès grandissant par le Hezbollah qui a su engranger les profits politiques et sécuritaires après l’agression militaire israélienne de juillet 2006, et surtout à l’occasion des multiples guerres qui déchirent la Syrie depuis 2011.

Question : pourquoi ces faits sont-ils systématiquement récurrents ?

Réponse : parce que les causes sont les mêmes, à savoir l’inadéquation des textes à la réalité historique du Liban où sont supposées cohabiter ses 18 communautés religieuses.

Quelles sont les solutions susceptibles d’apaiser les tensions internes, condition indispensable à l’instauration d’un système pérenne doté d’une gouvernabilité adaptée aux spécificités libanaises ?

La première de ces conditions est que les communautés religieuses et les partis politiques mettent de côté la duplicité, le mensonge et l’hypocrisie réciproques qui ont caractérisé et continuent de caractériser leurs relations durant ces 100 dernières années.

La deuxième de ces conditions est d’acter que toutes les tentatives menées jusqu’à présent pour rendre gouvernable le système en vigueur ont échoué. Il est grand temps d’admettre que, pour sauver le Liban, il est indispensable de sacrifier son système actuel moribond.

La seule formule viable est de se diriger rapidement vers l’adoption de l’unique binôme salvateur : à savoir un système fédéral adossé à une neutralité positive. Ce faisant, l’on retrouverait l’esprit sous-jacent à la proclamation du Grand Liban, cet esprit-là qui constitue l’essence même du pacte national de 1943.

D’ailleurs, si en 1920 les États-Unis d’Amérique avaient obtenu le mandat sur le Liban, en lieu et place de la France, il est fort probable que le président Wilson, s’inspirant du modèle en vigueur dans son pays, y aurait institué un système fédéral couplé à un statut de neutralité, imitant en cela l’exemple de la Suisse qui l’avait protégée des malheurs de la Première Guerre mondiale, ces mêmes malheurs qui avaient pourtant décimé la population du Mont-Liban.

Une telle refonte constitutionnelle ne devrait se concrétiser que dans la préservation intégrale des frontières actuelles de notre patrie, la consolidation de la coexistence islamo-chrétienne dans un environnement démocratique assurant la représentation électorale la plus grande ainsi que l’élargissement et le renforcement des libertés publiques, de même que la défense des droits de l’homme et des causes justes et légitimes. Sinon, nos petits-enfants ne seraient sans doute pas en mesure de célébrer en 2120 le bicentenaire de ce que fut leur pays !

Malheureusement le concept d’un Liban fédéral et neutre provoque ici et là des réactions négatives qui ne sont pas mues par la seule bonne foi. En effet, pour une certaine élite intellectuelle formatée par une idéologie circulaire, le mot de « fédération» signifie nécessairement « partition», « sécession » ou « séparation ». Ce faisant, cette élite, depuis des décennies, fait le jeu de forces politico-communautaires dont l’objectif est la prise du pouvoir central grâce à un entrisme méthodique dans les diverses institutions et organismes de l’État.

Les détracteurs du fédéralisme-neutralité sont souvent ceux-là mêmes qui, depuis 1958, ont préparé le terrain aux interventions armées étrangères et/ou par des étrangers résidents dans notre pays. Ces détracteurs ont affaibli le pouvoir central dans le dessein, de moins en moins inavoué, de reléguer la communauté chrétienne à un rôle de figurant politique, économique et culturel.

Ces détracteurs ont maintenant l’obligation morale et nationale de se départir de leur duplicité et d’admettre que seule la formule fédérale protégée par un statut de neutralité positive peut sauver le Liban de la partition, voire de la désintégration…

Mais en 1917, soit quelques mois avant la fin de la Première Guerre mondiale, nos grands-parents auraient-ils pu envisager, même dans leurs rêves les plus fous, que 400 années d’occupation ottomane allaient bientôt prendre fin, et qu’ils assisteraient à l’émergence d’un Liban indépendant pour la première fois de son histoire ?

Est-ce un rêve ? Un vœu pieux ? Peut-être.

Tout est différent.

Mais tout est identique.

Sommes-nous donc aujourd’hui :

à la veille d’un 1er septembre 1920 revisité ?

ou bien à la veille d’un 24 août 1516, nouvelle version ?

Naoum FARAH

Avocat à la Cour

En psychiatrie, l’autisme est un trouble du neuro-développement humain caractérisé par des difficultés dans les interactions sociales de la communication et des comportements et intérêts à caractère restreint, répétitif et stéréotypé.Sans avoir à transposer nécessairement tous les symptômes de cette pathologie au grand malade qu’est le Liban, on peut valablement opérer un...