Critiques littéraires Roman

Marie NDiaye nous laisse le mot de la fin

Marie NDiaye nous laisse le mot de la fin

D.R.

La Vengeance m’appartient de Marie NDiaye, Gallimard, 2021, 240 p.

À 53 ans, Marie NDiaye, dont vient de paraître le douzième roman, La Vengeance m’appartient, publie depuis trente-six ans. Elle a été découverte à 17 ans – elle était en terminale au lycée – par Jérôme Lindon (1925-2001), le mythique directeur des éditions de Minuit. « J’avais porté moi-même chez trois éditeurs le manuscrit de Quant au riche avenir, se souvient-elle : Minuit, le Seuil, Gallimard. Les deux derniers m’ont envoyé une lettre de refus environ trois mois plus tard. Jérôme Lindon, lui, m’a appelée dès le lendemain. » Ce premier roman a été publié en 1985 et immédiatement remarqué. Ensuite, l’intérêt pour son travail n’a pas faibli. Elle a obtenu le prix Femina en 2001 pour Rosie Carpe, son septième roman (Minuit), puis le Goncourt en 2009 pour Trois femmes puissantes (Gallimard). « Je publie depuis longtemps mais je n’encombre pas les rayons des bibliothèques », s’amuse Marie NDiaye. Douze romans en trente-six ans, c’est en effet assez peu.

Mais elle a aussi écrit des nouvelles, des livres pour la jeunesse et plusieurs pièces de théâtre. « Le théâtre, c’est arrivé par France Culture, qui m’a demandé une pièce radiophonique. Puis d’autres commandes ont suivi. » L’exercice littéraire lui plaît, mais elle garde ses distances avec la reconnaissance que cela lui vaut, notamment d’être la première femme à être entrée de son vivant au répertoire de la Comédie française, en 2003 avec Papa doit manger. Sa dernière pièce, Royan (Gallimard), est un monologue : une enseignante dont une élève vient de se suicider veut échapper à la confrontation avec les parents, soucieux de tenter de comprendre ce qui s’est passé.

Dans le nouveau roman, La Vengeance m’appartient, on est, une fois de plus chez Marie NDiaye, dans un monde où se pose la question du mal et de la liberté, où les secrets, les liens familiaux, conjugaux sont pesants et angoissants. Un texte servi, comme toujours, par un style limpide et délicat.

On a donc là une avocate, Me Susane, qui n’a pas de prénom, mais, dit Marie NDiaye, « dont le nom sonne comme un prénom ». Puis Marlyne, une femme qui a commis le pire des meurtres, celui de ses trois enfants. Et Gilles son mari, qui demande à Me Susane, pourtant loin d’être un ténor du barreau, de la défendre. S’ajoutent un ancien amant de Me Susane, ses parents et une mystérieuse employée de maison, Sharon. Et un étrange souvenir de Me Susane...

À qui appartient la vengeance ? Qui ment ? Peut-être personne, mais beaucoup se mentent à eux-mêmes. Plus que jamais, ce sera au lecteur de dire quelle est sa version des faits. Ou plutôt de dire à quel récit il croit. Car chacun des protagonistes en a un bien à lui. Le mari décrit un couple sans histoire, heureux. Une mère épanouie qui consacre tout son temps à ses trois enfants. La femme, au contraire, donne le sentiment d’avoir eu envie de tuer son mari plutôt que ses enfants. Elle ne veut pas être défendue, le dit à Me Susane. Vivre en prison lui convient. Si l’on choisit de croire au récit de Marlyne et de sa famille, sa vie auprès de ce Gilles, qui lui faisait sentir leur différence de classe sociale, devenait un enfer. Une prison.

Dans La Vengeance m’appartient, parallèlement aux récits qui s’opposent et se contredisent, il y a de très belles scènes, en particulier celles où l’employée de maison de Me Susane, Sharon, a préparé des mets délicats, tous présentés dans de très beaux objets. On se souvient alors du précédent roman de Marie NDiaye, La Cheffe, roman d’une cuisinière (Gallimard, 2016, « Folio » n° 6471). La cuisine y est une véritable expérience spirituelle. Et Marie NDiaye elle-même confie qu’elle a grand plaisir à faire la cuisine, à découper, farcir, inventer des variations à ses recettes.

On sera à coup sûr désarçonné par l’épilogue. Marie NDiaye a le goût de l’ambiguïté. « Oui j’aime les fins ouvertes, c’est ce qui m’intéresse, de ne pas vraiment boucler un roman. Quand on laisse une fin soit ouverte, soit trouble, on est beaucoup plus réaliste, car nos vies ne sont au fond pas closes sur elles-mêmes. » Ce sera au lecteur de conclure. Ou pas.

La Vengeance m’appartient de Marie NDiaye, Gallimard, 2021, 240 p.À 53 ans, Marie NDiaye, dont vient de paraître le douzième roman, La Vengeance m’appartient, publie depuis trente-six ans. Elle a été découverte à 17 ans – elle était en terminale au lycée – par Jérôme Lindon (1925-2001), le mythique directeur des éditions de Minuit. « J’avais porté...

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