À Tripoli, l’enfer des émeutes s’est étendu au patrimoine historique. Subissant désormais dans leur grande majorité les effets de la pauvreté et du manque d’accès à l’éducation, les Tripolitains ont constaté jeudi que les monuments de leur cité n’étaient pas à l’abri du vandalisme. Pendant que, pour le quatrième jour consécutif, des manifestants réclamaient à un État failli leurs droits vitaux, des émeutiers en ont profité pour mettre le feu à des bâtiments historiques, notamment l’entrée du Sérail, le siège du tribunal religieux et surtout le prestigieux palais municipal, un symbole patrimonial datant de l’époque ottomane.
« Une catastrophe dans le plein sens du mot », regrette Jalal Halwani, ancien membre du conseil municipal de Tripoli qui, habitant non loin du siège de la municipalité, a vécu jusqu’aux aurores l’ampleur du drame. « Le plus touché est le bâtiment principal », indique-t-il à L’Orient-Le Jour. « Au rez-de-chaussée, la salle réservée à l’accueil des citoyens et celle où ont lieu les réunions des membres du conseil municipal ont subi des dommages importants. Situés au 1er étage, les bureaux du président et du vice-président, et les salles où se trie le courrier et se traitent les affaires juridiques ont subi le même sort. Au-dessus, dans ce qui ressemble à une mezzanine, le bureau des relations extérieures (chargé de la communication avec les institutions publiques) et le secrétariat général du conseil municipal n’ont pas échappé aux flammes », déplore M. Halwani, indiquant que les documents qui s’y trouvaient, soit se sont carbonisés, soit ont volé à travers les fenêtres. Il n’y a plus de trace des formalités en cours ou du courrier que le président du conseil municipal, Riad Yamak, n’a pas eu le temps de signer. Mais heureusement, les archives sont numérisées. « Les locaux de l’office d’ingénierie abritant le département informatique sont restés intacts », se console-t-il, soulignant que la numérisation des données avait débuté il y a quinze ans.
Le siège de la police municipale, situé dans l’entresol et auquel on accède par une entrée indépendante, a été quelque peu épargné. Mais la voiture de police garée en face a été incendiée, tandis que les motos utilisées par les policiers municipaux ont été détruites. Deux agents municipaux étaient en poste au moment des faits, mais ils ne sont pas intervenus, n’ayant le droit de tirer en l’air que s’ils sont menacés personnellement, indique M. Halwani. Le réservoir de carburant qui alimente les générateurs fournissant l’électricité au bâtiment municipal n’a pas flambé, se félicite-t-il, précisant que le véhicule des pompiers de la municipalité, arrivé à peine cinq minutes après le début de l’incendie (vers 23h), a d’abord procédé à l’extinction des flammes ayant ravagé la voiture de police pour empêcher qu’elles ne s’étendent. « Quant à la Défense civile, elle n’a envoyé ses renforts que plus d’une demi-heure plus tard, alors que son siège se trouve à deux minutes à pied de la municipalité », note l’ancien membre municipal. « De quoi se poser des questions », lâche-t-il.
Mémoire de la ville
Il est relayé par Wassim Naghi, président de l’Union méditerranéenne des architectes et professeur à l’Université libanaise. « Veut-on effacer la mémoire de la ville ? » s’interroge l’architecte-restaurateur. « En s’attaquant à ses institutions et bâtiments publics, on cherche à réduire la ville, que le mandat français voulait au départ choisir comme capitale du Liban, à un complexe d’habitations », se désole-t-il. Et de se demander plus particulièrement : « Pourquoi un bâtiment aussi grandiose et riche en histoire doit-il subir les règlements de comptes entre les différents pouvoirs qui exploitent à ce dessein des jeunes vulnérables ? »
« Le palais municipal a un style architectural dont les Tripolitains sont fiers », indique-t-il. « Le rez-de-chaussée et l’entresol ont été construits en 1918, vers la fin de l’époque ottomane, après que les constructeurs ottomans se sont imprégnés du style européen de construction tout au long de l’expansion de l’empire. Le premier étage a été bâti plus tard, du temps du mandat français, selon un plan établi par les Ottomans », souligne M. Naghi. « Il s’agit d’un style colonial, inspiré lui-même du style Renaissance (caractérisé par les notions de symétrie et de régularité), ajoute l’architecte, évoquant une entrée « monumentale » à laquelle on accède par un escalier « majestueux ». « Entièrement construite en pierre naturelle, la façade est surmontée d’un arc en berceau », poursuit-il, s’enorgueillissant des colonnes dressées tant à l’extérieur du bâtiment qu’à l’intérieur, ainsi que des chapiteaux, corniches, frises et autres éléments décoratifs. Wassim Naghi déplore particulièrement la destruction des fenêtres, et portes extérieures et intérieures, toutes fabriquées en bois de cèdre, qui ne seront naturellement pas remplacées avec la même matière. Pour le reste, les dégâts sont « sévères mais récupérables », estime-t-il, souhaitant une rapide réhabilitation de « ce qui fait partie de la fierté architecturale de Tripoli ».
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Difficile de croire que des tripolitains avait mis le feu à ce bâtiment. A noter que depuis la guerre de 1975 les mains invisibles ont toujours localisés les conflits et la destruction dans les endroits les plus commerçants et les plus symboliques pour saper au maximum le moral du peuple, faciliter le pillage et atteindre les plus hauts niveaux de pertes financières !
Shou fi
13 h 58, le 31 janvier 2021